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Société

La mort de Vincent Humbert relance le débat sur l’euthanasie

Vincent Humbert, ce jeune homme de 22 ans, devenu tétraplégique, presque aveugle et muet à la suite d’un accident de voiture, est décédé vendredi. C’est sa mère qui a répondu à ses demandes répétées de mourir et a mis fin à ses souffrances. Placée en garde à vue quelques heures, elle est aujourd’hui libre mais risque d’être mise en examen pour assassinat. Cette affaire qui a ému la France entière pose une nouvelle fois la question de la nécessité d’ouvrir un véritable débat sur la question de l’euthanasie, avec en perspective la possibilité de légiférer pour encadrer des pratiques qui, même si elle restent très limitées, existent néanmoins.
Vincent Humbert ne voulait plus vivre ce qui, pour lui, n’était pas une vie. Totalement paralysé depuis le 24 septembre 2000, jour où il a eu un accident de voiture à côté d’Evreux en Normandie, il ne bougeait plus, ne voyait plus, ne parlait plus, ne mangeait plus. Il ne pouvait communiquer qu’en exerçant une pression avec son pouce droit lorsqu’on lui épelait l’alphabet pour former des mots. Il était maintenu en vie par des appareils dans un service spécialisé de la ville de Berck-sur-Mer et n’a survécu que grâce à une sonde placée directement dans son estomac qui permettait de l’alimenter avec un liquide. C’est en injectant un produit, vraisemblablement une forte dose de barbituriques, dans cette sonde que la mère du jeune homme a essayé de le faire mourir jeudi, tout juste trois ans après le terrible accident qui l’avait cloué sur un lit d’hôpital et privé de toute autonomie. Vincent n’est pas mort tout de suite mais il a sombré dans un coma profond pour finalement s’éteindre vendredi malgré les effort des médecins pour le réanimer.

Marie Humbert avait prévenu qu’elle allait tenter d’aider son fils à mourir. Elle qui a passé ces trois dernières années à venir chaque jour voir son enfant, à essayer de le soutenir, avait décidé d’accéder à sa demande et de mettre un terme à ses souffrances puisque personne d’autre ne pouvait le faire. L’euthanasie est illégale en France. Même si le code pénal distingue l’euthanasie active (le fait de provoquer la mort) qui est assimilée à un homicide et l’euthanasie passive (abstention thérapeutique), les médecins qui la pratiquent peuvent être poursuivis. Une mère ou un proche aussi. Marie Humbert a d’ailleurs été placée en garde à vue dès que le personnel de l’hôpital s’est rendu compte de ce qu’elle venait de faire. Elle risque d’être mise en examen pour assassinat. Mais le caractère exceptionnel et dramatique de cette affaire a conduit le procureur de la République de Boulogne-sur-mer à lever la garde à vue et même à laisser Marie Humbert aller voir son fils en réanimation. Il a par ailleurs indiqué qu’il ouvrirait «en temps utile une instruction judiciaire». Pour le moment, la mère de Vincent a été hospitalisée pour être prise en charge psychologiquement.

«Je voudrais tellement trouver un moyen de crever»

Le jour même où Marie Humbert a décidé d’aider son fils à mourir, un livre témoignage publié par un journaliste, Frédéric Veille, est paru. Il s’intitule «Je vous demande le droit de mourir» et reprend les termes de la lettre que le jeune homme avait envoyé au mois de décembre 2002, comme un ultime appel à l’aide adressé au président de la République Jacques Chirac pour le supplier d’abréger ses souffrances. Il lui avait ainsi écrit : «Vous avez le droit de grâce, moi je vous demande celui de mourir.» Dans ce livre, Vincent demande à la justice de laisser sa mère tranquille : «Ne la jugez pas, ce qu’elle a fait pour moi est certainement la plus belle preuve d’amour au monde». Et il explique ce qu’il ressent depuis trois ans : «Je voudrais tellement trouver un moyen de crever, pour partir avant de devenir cinglé, méchant, aigri. Plus le temps passe et moins je me vois finir mes jours en légume racorni sur un lit d’hôpital. Ce n’est pas possible».

Personne ne pense aujourd’hui à condamner le geste de Marie Humbert. Certains l’approuvent, d’autres non. Mais tout le monde compatît. Et surtout de plus en plus de responsables politiques affirment qu’on ne peut plus rester en France dans la situation actuelle. Bernard Kouchner, ancien ministre socialiste de la Santé, a ainsi souhaité qu’une société qui a «évolué» puisse «affronter» la question de l’euthanasie. Il a ajouté : «Je souhaiterais qu’on se passe de loi mais ce n’est peut-être pas possible

Le question de la nécessité ou non de légiférer sur l’euthanasie est en effet au cœur du débat. Pour certains, comme l’actuel ministre de la Santé Jean-François Mattéi, il est impensable que le droit à l’euthanasie soit inscrit dans la loi et il faut avant tout développer les soins palliatifs et l’assistance psychologique des malades condamnés et désespérés. Pour d’autres, il s’agit de la seule façon d’encadrer une pratique qui existe déjà et de mettre un terme à l’hypocrisie sur cette question mais aussi d’éviter des abus et des dérives, ou d’avoir les moyens de les punir quand ils ont lieu. Julien Dray, le porte-parole du Parti socialiste, a ainsi déclaré qu’il était favorable à «une réflexion pour modifier la législation» car «chacun peut avoir le souci de réussir sa sortie». Le député socialiste Jean-Marie Le Guen a estimé de son côté qu’il était «temps, dans un société démocratique, de légiférer avec tolérance et précaution pour qu’il y ait un certain nombre d’exceptions qui rendent possible l’euthanasie». François Fillon, le ministre des Affaires sociales, a lui aussi proposé «d’ouvrir un débat pour modifier notre législation». Le député UMP Jacques Myard a appelé à la constitution d’une «mission d’information parlementaire» pour éviter de «légiférer sous le coup de l’émotion».

Tout le monde s’accorde sur le fait que le débat sur l’euthanasie ne doit en aucun cas être partisan. D’ailleurs deux parlementaires ont ouvert la voie dans ce sens. Nadine Morano, députée UMP de Meurthe-et-Moselle et Gaëtan Gorce, député socialiste de la Nièvre, ont demandé dans un communiqué commun la création d’une commission parlementaire spéciale pour préparer une loi sur l’euthanasie «par esprit de justice et par devoir d’humanité».

A chaque nouvelle affaire d’euthanasie médiatisée, le débat est relancé. Et avec les progrès de la médecine qui permettent de maintenir en vie de plus en plus longtemps des personnes dans des états pourtant désespérés, des situations semblables à celles de Vincent Humbert risquent d’être de moins en moins exceptionnelles. Dans ce contexte, et avec la pression exercée par les avancées réalisées sur cette question dans certains Etats européens voisins comme les Pays-Bas et la Belgique qui ont légalisé l’euthanasie, il semble inévitable d’ouvrir en France aussi une réflexion sur ce thème longtemps quasiment tabou car il touche à l’éthique, à la justice et met en balance les notions de droit à la vie et de droit à la mort. Le premier paraissant tellement évident que le deuxième semble du coup trop inacceptable.



par Valérie  Gas

Article publié le 26/09/2003