Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Commerce mondial

Cancun se conclut par un échec

La conférence ministérielle de l’OMC qui se déroulait à Cancun (Mexique) s’est terminée sur un échec. Les négociations ont échoué avant même d’avoir commencé sur le fond. Les pays riches estiment qu’il était prioritaire de négocier les termes de Singapour (investissement, concurrence, marchés publics, facilitation des échanges). Les pays pauvres, menés par le G-22 ont répliqué qu’ils ne négocieraient rien si l’OMC ne commençait pas par régler le dossier agricole (subventions et accès aux marchés). Ils ont claqué la porte comme à Seattle en 1999.
De notre envoyé spécial à Cancun

«Ce qui s’est passé est fort regrettable mais c’était à prévoir. On ne pouvait pas espérer à Cancun avoir pire qu’à Doha, et on a eu pire qu’à Doha. Que ceux qui nous offert cela prennent la responsabilité historique de l’échec de Cancun», a immédiatement déclaré à RFI Mme Aicha Agne Pouye, ministre de l’Agriculture du Sénégal. Dimanche, aux alentours de 16 heures, George Odour Ong’wen, un membre de la délégation du Kenya, est monté à la tribune pour déclarer la rupture des négociations : «C’est fini, ça suffit !». Les délégués ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’Union africaine et les PMA (Pays les moins avancés) n’ont pas supporté que l’ordre du jour des négociations portent sur les thèmes de Singapour alors que depuis une semaine, toutes les discussions de la conférence de l’OMC portaient sur l’agriculture et le coton.

«En commençant par Singapour, cela voulait dire que les pays riches ne voulaient pas tenir compte de la situation dramatique de l’Afrique. C’est une gifle ! explique un délégué du Burkina-Faso. Ils nous ont dit qu’il fallait négocier ces thèmes car c’était leur priorité et qu’ils ne pouvaient retourner en Europe et aux États-Unis sans avoir réglé la question». Les trois groupes africains ont répliqué que leurs priorités étaient la question agricole, l’accès au marché, les subventions et le coton. Devant la réponse négative, l’ensemble du G-22, qui représente plus de la moitié de la planète, a abandonné la salle sous les applaudissements des ONG qui voulaient que cette conférence ne puisse aboutir. Michel Egger, chef d’une importante ONG suisse souligne «qu’il valait mieux pas d’accord qu’un mauvais accord».

Dans ces conditions, Luis Ernesto Derbez, président de la conférence de l’OMC, a estimé qu’il serait impossible de débattre de l’agriculture dans des conditions d’équilibre acceptable et a décidé d’appeler à la clôture de la conférence.

Réactions

Néanmoins, la rupture des négociations à l’OMC est loin de résoudre les problèmes : «C’est un coup dur pour les relations multilatérales. Elle annonce un retour en force du bilatéral, explique François Loos, ministre français du Commerce extérieur. Or, dans ce cadre, ce sont toujours les pays qui ont les normes, les lois et les règlements les plus forts qui finissent par imposer leur voix.» Il estime que «de toute manière, il y aura un après-Cancun, il faudra tirer les leçons, reformuler les questions, être plus à l’écoute des autres, faire des choix et ne pas mélanger idéologie et pragmatisme, car lorsque l’idéologie l’emporte, le concret stagne, ce qui rend difficile les compromis». Un point positif à souligner : l’absence d’accord à Cancun ne remet cependant pas en question celui précédemment obtenu sur les médicaments.

Cancun est une occasion manquée pour le cycle de Doha, mais c’est aussi une chance à saisir. Les États membres de l’OMC doivent maintenant se tourner vers un autre modèle multilatéral, celui qui prétend fonder sa légitimité sur la participation de tous les États et de leurs peuples. Substituer à l’Organisation mondiale du commerce l’Organisation du commerce mondial.

Cette rupture des négociations favorise une nouvelle donne avec la montée en puissances des pays du Sud qui refusent de s’aligner sur les positions des pays riches. Le G-22, dont les lignes de partage ne sont pas Nord-Sud ni Est-Ouest, mais sont de plus en plus des alliances hétéroclites, démontre néanmoins une certaine unité et une force bien qu’en son sein, il y ait des pays aux économies asymétriques. Les propositions qui sont sur la table restent sur la table mais il faudra les aborder d’une nouvelle manière et régler en priorité les problèmes agricoles que le tiers-monde estime plus important que les intérêts des multinationales.

Il faut enfin que l’OMC, dont l’organisation est «médiévale», selon les propos du commissaire européen Pascal Lamy, revoie sans attendre son mode de fonctionnement pour être plus transparente dans ses décisions et plus pragmatique dans ses priorités.

A écouter également
C'est une victoire pour nous (François Dufour, vice-président d'Attac par Nicolas Vescovacci, 0'47")

Certains petits pays n'ont pas choisi la voie sereine (Robert Zellick, Ministre U.S du Commerce, 0'36")

L'invité de la rédaction, Laurent Mossu à Genève (Lionel Gendron, 4'55")



par Patrice  Gouy

Article publié le 15/09/2003