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France

Baudis confond ses accusatrices

Coup de théâtre dans l’affaire du tueur en série Patrice Alègre : le dossier d’accusation contre l’ancien maire de Toulouse s’effondre après la rétractation du principal témoin à charge. Après une confrontation décisive, mercredi, «Fanny» a reconnu avoir menti sous l’influence des enquêteurs et après les conseils de ses avocats, qui démentent formellement.
Depuis mercredi 17 septembre, l’affaire du tueur en série Patrice Alègre semble être retourné dans le registre du fait divers sordide d’où il n’aurait peut-être jamais dû sortir. Mercredi, en effet, l’ex-prostituée «Fanny» a été soumise à l’épreuve de la confrontation avec l’ancien maire de Toulouse, et actuel président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, et a reconnu qu’elle n’avait jamais rencontré ce dernier et qu’il ne l’avait donc jamais violée, comme elle l’affirmait auparavant. Dominique Baudis, qui fait face depuis plusieurs mois à de terribles soupçons, voit donc s’effondrer l’accusation qui pesait contre lui. «Nous n’avons aucun élément nous permettant de dire que l’on peut lui reprocher un acte pénalement répréhensible», déclarait jeudi au Monde le procureur de la République de Toulouse, Michel Bréard.

Patrice Alègre est un assassin qui a sévit dans le milieu toulousain de la prostitution. En février 2002 il a été reconnu coupable de cinq meurtres et un viol pour lesquels il purge actuellement une peine de réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Ces crimes ont été commis au début des années 90. Et Alègre est soupçonné d’en avoir commis cinq autres. Mais l’affaire de ce tueur en série, déjà exceptionnelle par la nature et le nombre de ses crimes, se double d’une autre dimension : celle de savoir si cet assassin n’a pas été, en fait, le maillon d’une chaîne criminelle chargée d’alimenter un vaste réseau de prostitution locale, un homme de main chargé des basses œuvres et notamment de recruter et de «former» des jeunes femmes, victimes dociles et silencieuses, de soirées sado-masochistes ultra-violentes auxquelles participaient des notables locaux, et d’éliminer les récalcitrantes et les bavardes. C’est du moins l’hypothèse qui commençaient à circuler parmi les enquêteurs, les avocats, les journalistes, notamment en raison des graves insuffisances constatées dans la conduite des investigations, propice aux soupçons d’incompétence ou de complicité. A partir de là, «l’affaire Alègre» est devenue une affaire hautement susceptible d’en contenir plusieurs autres.

Aujourd’hui «Fanny» passe pour une menteuse

Mais lorsqu’en mai 2003 Dominique Baudis annonce qu’il est lui-même cité dans cette affaire, dénoncé par d’ex-prostituées en tant qu’acteur de ces véritables séances de tortures, et dénonce une «effarante machination», on franchit une nouvelle étape dans l’horreur. La presse ouvre alors largement ses colonnes aux témoignages accusateurs, qui salissent également des magistrats et des policiers, comme elle ne manque jamais de le faire pour les nécessités de l’investigation, mais au mépris bien souvent de la plus élémentaire prudence et de la présomption d’innocence. C’est en effet une grande classique du genre que de révéler, parmi les paradoxes qui font une «bonne information», que l’infortune des plus humbles est aggravée par la cruauté des notables. Aujourd’hui, après la rétractation de «Fanny», certains journaux semblent embarrassés par ce coup de théâtre qui met en lumière une certaine précipitation à transformer «l’affaire Alègre» en «affaire Baudis». Et il est tout aussi troublant de constater, dans ce fonctionnement, la hâte avec laquelle les journaux s’empressent aujourd’hui de proclamer, sur la foi d’un témoin dont la fiabilité est loin d’être avérée, qu’un pan de l’enquête, en s’effondrant, conduit à une impasse. «Le magistrat devrait vérifier pourquoi elle se rétracte à nouveau. Cette fille a peur de quelque chose…», déclare son ancienne avocate dans Le Monde datée de samedi.

Alors la rétractation de l’ancienne prostituée met-elle un terme à l’affaire dans l’affaire ? Si le dossier dont dispose désormais Dominique Baudis, éléments à l’appui, semble effectivement reléguer l’accusation dont il a été victime au rayon calomnie, il n’en reste pas moins qu’il va falloir à présent rechercher (et trouver) les causes de cette diffamation. On peut aisément comprendre la fragilité des accusateurs après les épreuves qu’ils ont enduré. Mais alors pourquoi, comment, se sont-ils laissés manipuler et entraîner dans une dérive qui, a posteriori, paraît aussi grossière ? Même si l’on a pu constater à maintes reprises que, dans son travail, l’officier de police judiciaire instruit plutôt à charge, à quels intérêts les enquêteurs et avocats de «Fanny» (qui démentent formellement avoir incité «Fanny») ont-ils obéi en compromettant M. Baudis, comme le prétend son nouveau conseil ? Qui a manipulé cette enquête, et pour quel profit ? Aujourd’hui «Fanny» passe ni plus ni moins pour une menteuse dont les témoignages devront, à l’avenir, être pris avec la plus grande circonspection. Ce qui risque de singulièrement compliquer la manifestation de la vérité.



par Georges  Abou

Article publié le 19/09/2003