Francophonie
Vingt ans de francophonie à Limoges
Le festival des Francophonies en Limousin fête cette année son vingtième anniversaire avec une édition placée sous le signe de la baisse des subventions, comme l’explique son directeur, Patrick Le Mauff, très attaché à la polyphonie des langues autour du français. Tirthankar Chanda s’en entretient avec lui, après un tour de la programmation en Limousin. Les Francophonies du 23 septembre au 5 octobre 2003.
Retravaillée, La Trilogie des dragons (1987) promet d’être le clou de cette vingtième édition d’un festival de Limoges qui a l’ambition d’être le miroir fidèle de l’inventivité et de la vitalité exceptionnelles du théâtre francophone. A travers une intrigue qui se déroule dans les Chinatown du Canada et un langage théâtral ritualisé, inspiré du «nô» japonais, ce spectacle évoque un Orient splendide mais double, déchiré entre le mythe et le réel, l’imaginaire et le contemporain. Après l’Orient, l’Afrique. Celle-ci sera au cœur d’une dizaine de spectacles, dont deux pièces chorégraphiques particulièrement originales.
Alors que dans son spectacle intitulé Ja (née), le chorégraphe sud-africain Boyzie Cekwana s’efforce de donner corps et forme à la menace terrible que représente le sida en Afrique, les danseurs de la compagnie malgache «Up the rap» transformeront le plateau du Grand Théâtre de Limoges en une salle de fête où ils pourront évoluer au rythme de la musique traditionnelle d’une Grande île métissée de hip hop et de modern jazz. Pour leur part, les metteurs en scène Ousmane Aledji et Pie Tshibinda feront entendre la force poignante de la parole africaine à travers leurs pièces Un fou noir au pays des Blancs et Imonlé), où le comique frise parfois le tragique et l’Histoire le présent le plus intime.
Au programme également, la Française Nathalie Sarraute, le Libano-Canadien Wajdi Mouawad et le Belge Jacques Delcuvellerie dont Rwanda 94, on se souvient, fit l’événement à Limoges il y a trois ans. Pour faire rimer théâtre et fête, Limoges résonnera aussi, quinze jours durant, des sonorités des musiques du monde entier. Au programme, les cuivres du Bénin, les polyphonies françaises, le slam congolais, le gumbri algérien et les percussions orientales.
Le bilan de Patrick
Le Mauff
Quel bilan faites-vous de ces vingt ans de rendez-vous avec le théâtre francophone ?
Patrick Le Mauff : C’est un bilan globalement positif dans la mesure où ces rencontres autour du théâtre, mais aussi autour de la musique et de la danse depuis quelques années, ont fait de Limoges et de sa région un pôle francophone important, composé notamment d’une bibliothèque francophone multimédia, d’une université de la francophonie et d’un centre de diffusion du film francophone. A ces institutions s’ajoutent des jumelages avec les villes des pays francophones et des coopérations accrues entre les régions. Rien ne prédisposait la région limousine à un tel destin en 1984 lorsque Pierre Debauche et Monique Blin ont fondé ce festival et ont décidé de l’ancrer ici, au cœur de la France. L’idée pouvait même sembler saugrenue car Limoges n’avait aucun lien historique ou géographique avec le monde francophone. Vingt ans de fréquentation assidue des cultures de ces pays ont aussi permis de rapprocher leurs artistes, de les faire connaître de part et d’autre. Mais là, il s’agit de répercussions invisibles, plus difficilement quantifiables.
Vous êtes aux commandes de ce festival depuis quatre ans. Dès la deuxième année de votre mandat, vous avez introduit la formule de «langue invitée» qui vous a permis d’accueillir des spectacles en flamand, en arabe et, cette année, en zoulou. Ce faisant, ne sortez-vous pas de la francophonie stricto sensu ?
P.L.M. : Pour se rendre compte qu’on parle une langue, il faut en entendre une autre. Cette autre langue est bien entendu une langue étrangère. D’autre part, dans le monde francophone, les exemples sont multiples de gens en situation de bilinguisme, voire même de trilinguisme. C’est le cas dans beaucoup de pays africains où le français est une simple langue d’échange. L’avenir du théâtre dans ces pays passe par l’utilisation des langues locales à travers lesquelles s’exprime la créativité des populations. C’est pourquoi la francophonie étriquée qui ne s’occupe que de lutter contre l’anglophonie ne m’intéresse pas. Je veux donner à voir un théâtre de qualité et si pour cela il me faut passer par une autre langue que le français, je n’en fais pas une affaire d’Etat. Il y a deux ans, j’ai présenté dans le cadre du festival un spectacle en arabe tunisien. Pourquoi ? Parce que c’était le meilleur spectacle que j’avais vu en Tunisie. Demain, si je me trouve au Nigeria et que je vois une très bonne pièce de théâtre en anglais, je n’aurai aucun scrupule à l’accueillir à Limoges.
Dans l’esprit du public, les Francophonies en Limousin sont étroitement associées au théâtre du monde noir à cause de la forte présence des Africains à ce festival depuis sa création. Comptez-vous perpétuer cette orientation traditionnelle ?
P.L.M. : L’Afrique représente cette année encore presque 50 % de notre programmation. Cela s’explique par le fait qu’un grand nombre de pays francophones se trouve sur le continent africain. Davantage de gens parlent le français dans les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne qu’en France. Ces locuteurs du français sont en train d’enrichir la langue de Molière avec leurs apports lexicaux originaux. Mais je n’oublie pas que notre festival est un festival francophone. D’où mon souci, dès ma première année à la tête du festival, de le rendre représentatif de l’ensemble du monde francophone. J’ai donc programmé des spectacles issus des autres régions de la francophonie, notamment de la Belgique et du Canada.
Comment se fait la sélection des spectacles ?
P.L.M. : Elle se fait au cours de l’année ou d’une année sur l’autre. Par exemple, les Malgaches de la compagnie «Up the rap» sur lesquels je compte beaucoup cette année étaient déjà venus il y a deux ans. Comme leur spectacle avait très bien marché, j’ai souhaité qu’ils reviennent. Il me semble, par ailleurs, que le spectacle qu’ils vont présenter renvoie à une tendance profonde de la scène théâtrale: le retour aux racines, à l’intimité. Le théâtre bouge. A l’époque où Mnouchkine mettait en scène 1789, les gens voulaient sortir des théâtres. Maintenant tout le monde veut y rentrer. C’est le triomphe du théâtre «cocon».
Le bruit court que le festival sous sa forme présente est menacé à cause d’une baisse substantielle des subventions. Vous réfléchissez, semble-t-il, à une formule biennale ?
P.L.M. : La biennalisation du festival qui, précisons-le, n’est absolument pas aujourd’hui à l’ordre du jour, n’a rien à voir avec la baisse des subventions. Elle s’inscrit dans une réflexion à long terme sur les moyens à mettre en oeuvre pour rendre le festival plus efficace, plus visible. Pour ce qui est des problèmes financiers, ils sont réels. Le ministère des affaires étrangères a revu à la baisse cette année l’aide financière qu’il nous octroie. Cela m’inquiète car je crains que cette baisse ne soit moins le fruit d’une élucubration technocratique que le résultat d’un déficit de volonté politique en faveur de la francophonie centripète et ouverte que nous nous sommes employés à bâtir aux Francophonies de Limoges depuis vingt ans.
Alors que dans son spectacle intitulé Ja (née), le chorégraphe sud-africain Boyzie Cekwana s’efforce de donner corps et forme à la menace terrible que représente le sida en Afrique, les danseurs de la compagnie malgache «Up the rap» transformeront le plateau du Grand Théâtre de Limoges en une salle de fête où ils pourront évoluer au rythme de la musique traditionnelle d’une Grande île métissée de hip hop et de modern jazz. Pour leur part, les metteurs en scène Ousmane Aledji et Pie Tshibinda feront entendre la force poignante de la parole africaine à travers leurs pièces Un fou noir au pays des Blancs et Imonlé), où le comique frise parfois le tragique et l’Histoire le présent le plus intime.
Au programme également, la Française Nathalie Sarraute, le Libano-Canadien Wajdi Mouawad et le Belge Jacques Delcuvellerie dont Rwanda 94, on se souvient, fit l’événement à Limoges il y a trois ans. Pour faire rimer théâtre et fête, Limoges résonnera aussi, quinze jours durant, des sonorités des musiques du monde entier. Au programme, les cuivres du Bénin, les polyphonies françaises, le slam congolais, le gumbri algérien et les percussions orientales.
Le bilan de Patrick
Le Mauff
Quel bilan faites-vous de ces vingt ans de rendez-vous avec le théâtre francophone ?
Patrick Le Mauff : C’est un bilan globalement positif dans la mesure où ces rencontres autour du théâtre, mais aussi autour de la musique et de la danse depuis quelques années, ont fait de Limoges et de sa région un pôle francophone important, composé notamment d’une bibliothèque francophone multimédia, d’une université de la francophonie et d’un centre de diffusion du film francophone. A ces institutions s’ajoutent des jumelages avec les villes des pays francophones et des coopérations accrues entre les régions. Rien ne prédisposait la région limousine à un tel destin en 1984 lorsque Pierre Debauche et Monique Blin ont fondé ce festival et ont décidé de l’ancrer ici, au cœur de la France. L’idée pouvait même sembler saugrenue car Limoges n’avait aucun lien historique ou géographique avec le monde francophone. Vingt ans de fréquentation assidue des cultures de ces pays ont aussi permis de rapprocher leurs artistes, de les faire connaître de part et d’autre. Mais là, il s’agit de répercussions invisibles, plus difficilement quantifiables.
Vous êtes aux commandes de ce festival depuis quatre ans. Dès la deuxième année de votre mandat, vous avez introduit la formule de «langue invitée» qui vous a permis d’accueillir des spectacles en flamand, en arabe et, cette année, en zoulou. Ce faisant, ne sortez-vous pas de la francophonie stricto sensu ?
P.L.M. : Pour se rendre compte qu’on parle une langue, il faut en entendre une autre. Cette autre langue est bien entendu une langue étrangère. D’autre part, dans le monde francophone, les exemples sont multiples de gens en situation de bilinguisme, voire même de trilinguisme. C’est le cas dans beaucoup de pays africains où le français est une simple langue d’échange. L’avenir du théâtre dans ces pays passe par l’utilisation des langues locales à travers lesquelles s’exprime la créativité des populations. C’est pourquoi la francophonie étriquée qui ne s’occupe que de lutter contre l’anglophonie ne m’intéresse pas. Je veux donner à voir un théâtre de qualité et si pour cela il me faut passer par une autre langue que le français, je n’en fais pas une affaire d’Etat. Il y a deux ans, j’ai présenté dans le cadre du festival un spectacle en arabe tunisien. Pourquoi ? Parce que c’était le meilleur spectacle que j’avais vu en Tunisie. Demain, si je me trouve au Nigeria et que je vois une très bonne pièce de théâtre en anglais, je n’aurai aucun scrupule à l’accueillir à Limoges.
Dans l’esprit du public, les Francophonies en Limousin sont étroitement associées au théâtre du monde noir à cause de la forte présence des Africains à ce festival depuis sa création. Comptez-vous perpétuer cette orientation traditionnelle ?
P.L.M. : L’Afrique représente cette année encore presque 50 % de notre programmation. Cela s’explique par le fait qu’un grand nombre de pays francophones se trouve sur le continent africain. Davantage de gens parlent le français dans les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne qu’en France. Ces locuteurs du français sont en train d’enrichir la langue de Molière avec leurs apports lexicaux originaux. Mais je n’oublie pas que notre festival est un festival francophone. D’où mon souci, dès ma première année à la tête du festival, de le rendre représentatif de l’ensemble du monde francophone. J’ai donc programmé des spectacles issus des autres régions de la francophonie, notamment de la Belgique et du Canada.
Comment se fait la sélection des spectacles ?
P.L.M. : Elle se fait au cours de l’année ou d’une année sur l’autre. Par exemple, les Malgaches de la compagnie «Up the rap» sur lesquels je compte beaucoup cette année étaient déjà venus il y a deux ans. Comme leur spectacle avait très bien marché, j’ai souhaité qu’ils reviennent. Il me semble, par ailleurs, que le spectacle qu’ils vont présenter renvoie à une tendance profonde de la scène théâtrale: le retour aux racines, à l’intimité. Le théâtre bouge. A l’époque où Mnouchkine mettait en scène 1789, les gens voulaient sortir des théâtres. Maintenant tout le monde veut y rentrer. C’est le triomphe du théâtre «cocon».
Le bruit court que le festival sous sa forme présente est menacé à cause d’une baisse substantielle des subventions. Vous réfléchissez, semble-t-il, à une formule biennale ?
P.L.M. : La biennalisation du festival qui, précisons-le, n’est absolument pas aujourd’hui à l’ordre du jour, n’a rien à voir avec la baisse des subventions. Elle s’inscrit dans une réflexion à long terme sur les moyens à mettre en oeuvre pour rendre le festival plus efficace, plus visible. Pour ce qui est des problèmes financiers, ils sont réels. Le ministère des affaires étrangères a revu à la baisse cette année l’aide financière qu’il nous octroie. Cela m’inquiète car je crains que cette baisse ne soit moins le fruit d’une élucubration technocratique que le résultat d’un déficit de volonté politique en faveur de la francophonie centripète et ouverte que nous nous sommes employés à bâtir aux Francophonies de Limoges depuis vingt ans.
par Propos recueillis recueillis par Tirthankar Chanda
Article publié le 27/09/2003