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Justice

Alain Juppé, bouclier présidentiel

L’ancien Premier ministre Alain Juppé, patron du parti présidentiel UMP et dauphin supposé de Jacques Chirac, comparaît devant un tribunal correctionnel pour une affaire d’emplois fictifs au bénéfice de l’ancien parti de Jacques Chirac, le RPR. Une condamnation à une peine d’inéligibilité compromettrait la poursuite de sa carrière politique.
Le tribunal correctionnel de Nanterre ouvre ce 29 septembre le procès de 27 personnes accusées d’avoir mis au point une méthode frauduleuse de rémunération de militants permanents de l’ancien parti gaulliste RPR (Rassemblement pour la République). Ces permanents étaient rémunérés soit par la mairie de Paris, alors dirigée par Jacques Chirac, soit par des chefs d’entreprises du bâtiment et des travaux publics. En échange de leur générosité, ces derniers espéraient obtenir la réalisation de projets publiques. Parmi les accusés figurent en conséquence une majorité de chefs d’entreprise, et d’anciens notables du RPR tels que le patron de l’actuel parti présidentiel Union pour un mouvement populaire (UMP), Alain Juppé, au titre d’ancien secrétaire général puis président du RPR, ainsi que nombre d’anciens responsables financiers de ce parti, considérés comme les «chevilles ouvrières» du système.

Les faits remontent aux années 1988-1995. Alain Juppé, qui est également aujourd’hui maire de Bordeaux, est accusé d’avoir couvert l’embauche fictive de sept personnes. Il est poursuivi sous le chef d’inculpation de «prise illégale d’intérêt». Il risque, en théorie, cinq ans de prison, 75 000 euros d’amende et surtout une peine d’inéligibilité qui handicaperait gravement sa carrière politique. Au terme de huit années d’enquête, les avocats de M. Juppé ont obtenu des magistrats qu’ils ne retiennent pas les inculpations particulièrement lourdes de «détournement de fonds publics» et «abus de confiance aggravé». L’instruction n’a finalement retenu contre lui que les salaires payés par la mairie de Paris, à l’exclusion de ceux versés par les entreprises privés. Mais c’est néanmoins un élément qui pèsera lourdement sur les débats en raison du fait que certains de ses co-accusés ne semblent pas prêts à endosser les responsabilités que, selon eux, le chef ne veut pas assumer. Et notamment le chef suprême, aujourd’hui protégé par l’immunité présidentielle.

Au sommet de l’impopularité

L’affaire est en tout cas exemplaire, dit-on, du fonctionnement et du financement des partis politiques de l’époque. A ce titre Alain Juppé proclame, non sans raison, que ce procès n’est pas le sien mais celui d’un système qui dépasse largement le fonctionnement du seul RPR. D’autres «pompes à finances» entrant dans le fonctionnement d’autres partis politiques ont été examinées en leur temps par la justice et ont révélé des pratiques corruptrices à une époque, il est vrai, où le financement public n’avait pas été prévu par le législateur. Mais ces pratiques auraient dû cesser dès l’entrée en vigueur de la loi du 15 janvier 1990.

Dans cette affaire, les juges ont donc entre les mains l’avenir politique du président de l’UMP. Si toutefois il arrive à remonter la pente des sondages qui font de lui l’un des ténors de la droite française parmi les plus rejetés de l’opinion publique. Il a d’ores et déjà averti qu’une peine d’inéligibilité mettrait un terme définitif à sa carrière. Pourtant, tant du point de vue de sa qualité de président du parti présidentiel qu’en raison des liens étroits qui l’unissent à Jacques Chirac, il est volontiers présenté comme le dauphin du chef de l’Etat dans la perspective de l’élection présidentielle de 2007. Sa fidélité à Jacques Chirac est indiscutable et indéfectible. Cette aventure judiciaire en est un avatar selon nombre d’observateurs de la vie politique française qui ne manquent pas de rappeler qu’il endosse seul aujourd’hui des responsabilités communes. Les deux hommes ont partagé ensemble, l’un à Matignon, l’autre au Quai d’Orsay, les affres de la cohabitation sous la présidence d’un François Mitterrand imbu jusqu’à l’orgueil de ses prérogatives. Alain Juppé fut, par la suite, un Premier ministre zélé, jusqu’à l’impopularité lors des grandes grèves de l’hiver 1995 et jusqu’à la funeste décision de Jacques Chirac de dissoudre l’assemblée.

Agé de 58 ans, ancien inspecteur des finances, il a récemment fait valoir ses droits à la retraite. Le réquisitoire du parquet est attendu le 9 octobre. Les plaidoiries de la défense démarreront en principe le 10.



par Georges  Abou

Article publié le 29/09/2003