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Eglise catholique

La stratégie du voyage

Le pape Jean-Paul II 

		(Photo: AFP)
Le pape Jean-Paul II
(Photo: AFP)
En vingt-cinq ans de pontificat, Jean-Paul II a fait le tour du monde en 103 voyages pour remplir sa mission d’évangélisation, mais surtout pour servir sa politique d’unité chrétienne ou de dialogue des religions, mais aussi ses vues anti-communistes.
En vingt-cinq ans de pontificat, Jean-Paul II a fait le tour du monde en 131 pays et 103 voyages. Des «voyages apostoliques» répondant à sa mission d’évangélisation, certes, mais pas seulement, car c’est sur bien d’autres plans que le pape s’est employé à répandre la bonne parole de l’Eglise catholique romaine. Il s’en est d’ailleurs jadis expliqué devant une Curie romaine prise de tournis par le rythme soutenu de ses périples parfois très longs (jusqu’à treize jours en Asie en 1986, puis en Amérique latine l’année suivante). Aux cardinaux, il a fait valoir l’intérêt de donner une plus grande visibilité à leur Eglise, avec les grands rassemblements de fidèles suscités par ses visites. Il aussi évoqué son ambition d’œuvrer pour l’unité des églises chrétiennes et de tendre une main oecuménique par-dessus les chapelles, dans les pays à majorité musulmane ou en Israël. Mais de fait, ses déplacements auront également éteint la théologie de la libération en Amérique latine, bousculé les frères orthodoxes d’Europe de l’Est ou appuyé le combat anti-communiste des ouailles polonaises, avant de fustiger le capitalisme triomphant, après la chute du mur, aux Etats-Unis, par exemple.

Même lorsqu’ils prennent tournure de pèlerinages, les voyages de Jean-Paul II sont l’instrument principal de son action politique. Ils participent d’une véritable stratégie du mouvement qui a pris à la fin de son règne la forme d’une passion pontificale lourde de souffrance et délibérément placée sous le feu des commentaires sur sa capacité à supporter le déplacement, du trône pontifical à la papa mobile qui attend sur quelque tarmac. A un jet de lave du Vatican, le sanctuaire virginal de Pompéi aura sans doute marqué ce 7 octobre 2003 la dernière station d’un chemin de croix ponctué de dévotion mariale. Une dévotion qui aura servi son pontificat autant qu’il en aura lui même cultivé le cercle, de Fatima (Portugal, du 2 au15 mai 1982 la première fois) à Lourdes (14-15 août 1983). Mais en l’occurrence, c’est le sanctuaire portugais qui restera dans l’histoire, avec en particulier sa visite du 13 mai 2000, jour anniversaire de la première «apparition» de la Vierge Marie à Fatima, le 13 mai 1917, devant des jeunes bergers portugais auxquels elle aurait révélé trois secrets. C’est aussi le jour anniversaire de la tentative d’assassinat perpétrée par le Turc Ali Agça contre le Saint Père sur la place Saint-Pierre, le 13 mai 1981.

En faisant enchâsser la balle extraite de son corps dans la couronne de la statue mariale, Jean-Paul II a confirmé ses fidèles dans leurs croyances: Marie a évité le pire, c’était d’ailleurs le contenu de sa troisième révélation à Fatima, a suggéré le Vatican, en ce tournant de millénaire. Mais aux premières heures de son pontificat, le pape avait rendez-vous avec une autre mater dolorosa, la Vierge noire, celle des Polonais et en particulier de Solidarnosc, le mouvement syndical dirigé par Lech Walesa, le premier président post-communiste. Karol Wojtyla est allé sept fois en Pologne (1979, 1983, 1987, 1991, 1995, 1997, 1999), toujours au mois de juin, et du 2 au 10 juin 1979, pour la première fois. Ses retrouvailles avec son pays natal ont été ouvertement politiques et anti-communistes. La seule présence du pape permettant de regrouper les partisans du signe de la croix sur la place publique, Jean-Paul II a donné l’occasion à l’opposition anti-communiste de prendre ses propres mesures. Il a ensuite soutenu son combat contre le régime Jaruzelsky avant de l’exhorter à ne pas céder aux sirènes du capitalisme triomphant.

Juste avant la Pologne, entre le 25 janvier et le 1er février 1979, Jean-Paul II a consacré l’essentiel d’une tournée en Amérique latine à la Troisième conférence général de l’épiscopat latino-américaine (Celam), à Puebla au Mexique, après une escale en République dominicaine et avant une autre au Bahamas. La Celam a été pour lui l’occasion de remettre au pas les artisans d’une théologie de la libération trop militante à ses yeux et en voie de succomber à des tentations marxisantes. En mars 1983, une autre tournée le conduisant au Costa Rica, au Panama, au Salvador, au Guatemala, au Honduras, à Belize, à Haïti, et au Nicaragua de Daniel Ortega, le Saint-Père n’hésitera pas à admonester publiquement un prêtre, devenu ministre de l’ancien guérillero. Plus tard, du 31 mars au 13 avril 1987, entre l’Uruguay et l’Argentine, où Buenos Aires accueillait les Deuxièmes journées mondiales de la Jeunesse, le très catholique général Augusto Pinochet s’empressera autour de la tribune pontificale chilienne, comme le fera Fidel Castro dix ans plus tard.

Au total, Jean-Paul II s’est déplacé plus d’une quinzaine de fois en Amérique centrale ou du Sud, labourant des terres évangélisées de longue date par les conquistadors chrétiens, adoucissant finalement d’un zeste de compréhension ses diatribes contre les pasteurs militants des bidonvilles ou des confins paysans et bénissant les rites locaux mâtinés d’antiques croyances. Mais surtout, sans modifier bien sûr ses intimes convictions, Jean-Paul II a répondu en 1998 (21-26 janvier) aux appels du pied de Fidel Castro par une visite en forme d’échange de prisonniers. Elle a permis aux Eglises cubaines de ressusciter, le lider maximo ressortant le crucifix remisé depuis ses études chez les Jésuites, le pape jugeant l’île fréquentable et le dialogue possible. Mais entre temps, au milieu de la décennie quatre-vingt dix, le temps passant depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et l’Est s’émancipant du communisme, l’amertume du pape avait grandi quant aux choix de société de ses anciens protégés.

Après le matérialisme historique des marxistes, le matérialisme du profit des capitalistes est devenu l’autre cheval de bataille pontifical et, souvent, le sujet principal de ses adresses aux peuples visités, Européens et Américains du Nord en tête. En 1995, son encyclique Evangelium Vitae dénonce ce qu’il qualifie de «culture de mort de l’Occident». En clair, l’avortement ou l’usage des préservatifs dans la limitation des naissances par exemple. Ces questions, il les avaient déjà abordées sans grand succès en Pologne, en Suisse (15 juin 1982), en Allemagne (fédérale en novembre 1980), en Autriche (septembre 1983), au Benelux (11-21 mai 1985: Pays-Bas, Belgique et Luxemburg) ou en France où il s’est rendu quatre fois pour de grandes célébrations mondiales de la jeunesse, instances privilégiées pour son action en matière de «préservation de la vie».

L’avortement et la peine de mort sur le même plan

Après la chute du mur de Berlin en 1989, l’opprobre pontificale vise de plus en plus souvent les sociétés qui «déclarent que des groupes entiers d’êtres humains… considérés comme inutiles, doivent être en dehors des frontières de la protection légale». Et, à Mexico, en 1999, il fustige la domination Nord-Sud, déplorant que «les peuples puissants, le soient davantage chaque jour et les peuples faibles chaque jour plus dépendants». Pendant ce même voyage, il fait un crochet impromptu à Saint-Louis dans le Missouri pour rencontrer le président américain Bill Clinton. Se faisant l’apôtre du retour nécessaire aux «valeurs du véritable humanisme transmises par la foi chrétienne», le souverain pontife met sur le même plan l’avortement rétabli aux Etats-Unis en 1973 et la peine de mort, rétablie en 1976.

De l’Irlande, déchirée entre catholiques et protestants, à la tribune mondiale de l’ONU pour lancer son pontificat de pèlerin en septembre-octobre 1979, Jean-Paul II organise le calendrier de ses déplacements en fonction de ses objectifs concernant l’œcuménisme, le dialogue inter religions, l’unité et l’expansion des chrétiens, mais aussi la réunification de l’Eglise catholique. Du 28 au 30 novembre 1979, Jean-Paul II est en Turquie, terre d’islam, mais aussi siège du patriarche de Constantinople, Dimitrios 1er. La rencontre est historique. C’est une première depuis que les prédécesseurs des deux prélats, Jean XXIII et le patriarche Athënagoras ont levé leurs mesures d’excommunication réciproque, en décembre 1965. Au cours de sa visite en Grande-Bretagne (29 mai 1982), Jean-Paul II fait le déplacement de Cantorbery où il rencontre le plus haut dignitaire des «antipapistes», l’archevêque primat de la Communion anglicane. De sa visite au Conseil oecuménique des Eglises à Genève (12 juin 1984) à la déclaration conjointe avec la fédération luthérienne mondiale sur des points de doctrine à Augsbourg (Allemagne, 31 octobre 1999), Jean-Paul II n’aura de cesse de jeter des ponts entre Eglises chrétiennes et c’est avec les sœurs catholiques orthodoxes qu’il rencontrera le plus de difficultés.

Jusqu’à aujourd’hui, Jean-Paul II reste persona non grata en Russie, et cela non point du fait du Kremlin de Vladimir Poutine, mais en raison de l’opposition déterminée du chef de l’Eglise orthodoxe, le patriarche Alexis. Sous le communisme, les Eglises orthodoxes ont survécu, confinées dans la place assignée par le pouvoir soviétique. Elles redoutent de se voir damer le pion par la concurrence romaine. En outre, en Europe du Sud-Est, tout particulièrement du côté des Serbes et des Grecs orthodoxes, plane toujours le soupçon d’une collusion entre islam et Eglise catholique romaine, legs d’une histoire chargée et sanglante. Dans l’ex-Yougoslavie, en septembre 1994, Jean-Paul II évitera Belgrade, territoire serbe orthodoxe, au profit de Zagreb (10-11 septembre 1994), la Croate catholique, où il retournera en 1998 (2-4 octobre). Son premier voyage en terre orthodoxe sera pour la Roumanie, le 7 mai 1999. Deux ans plus tard, le chef de l’Eglise catholique romaine fait une visite express en Grèce, le 6 mai 2001, pour très officiellement et très largement demander pardon aux orthodoxes pour la lutte fratricide entre les deux branches latine et byzantine, comme il l’avait fait pour les excès de la Contre-Réforme du XVIIe siècle devant les protestants de Moravie (République Tchèque, 20-22 mai 1995).

Les voyages du pape mettent à l’épreuve de la réalité sa politique de repentance tous azimuts, mais en particulier à l’égard du judaïsme, désormais reconnu comme «frère aîné» du christianisme, et du peuple juif, auprès duquel Jean-Paul II a voulu participer de la mémoire de l’holocauste. Après les camps d’extermination d’Auschwitz (1979), de Mauthausen (1998) et de Majdanek (1991), conformément aux multiples documents qu’il a signés depuis le début des années quatre-vingt-dix pour faire admettre par ses ouailles la filiation entre les deux premières religions du Livre, aux lendemains de la repentance publique de l’Eglise catholique romaine pour ses errements anti-sémites, le pèlerinage de Jean-Paul II en «Terre sainte» (Jordanie, Israël, Palestine du 24 au 26 mars 2000) aura marqué aussi la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Vatican. Premier pape à se recueillir au mausolée de la Shoah de Yad Vashem, à Jérusalem, en l’an 2000, Jean-Paul II a aussi été le premier à pénétrer dans une synagogue (en 1986, à Rome) et dans une mosquée en 2001, à Damas (Syrie).

Hostile à la guerre contre l’Irak où les fidèles de l’Eglise chrétienne d’Orient représentent 5% de la population, le pape s’est appuyé sur son bâton de pèlerin pour prêcher la paix entre les hommes et le dialogue entre les trois religions monothéistes. En Egypte, en février 2000, il a rencontré aussi bien le recteur de l’université islamique Al Azhar du Caire que le «pape» des chrétiens coptes, Chenouda III. Le mois suivant dans les lieux saints du christianisme, outre Jérusalem et son tombeau du Christ, il se rend à Bethléem, théâtre de sa naissance. Là, il ne limite pas à ses bénédictions à la communauté chrétienne de Palestine mais compatit avec les souffrances des Palestiniens, musulmans en majorité. En Asie, où il s’est rendu sept fois, dont plusieurs fois en Corée du Sud, en passant par le Pakistan musulman (1981), le Japon bouddhiste , ou les Philippines à majorité catholique et minorité musulmane, Jean-Paul II réaffirme le droit à la religion. Il le fait en particulier à New Delhi (Inde, 31 janvier-11 février 1986 et 6-8 novembre 1999) où la micro-communauté chrétienne reçoit à l’occasion de sa visite une visibilité inespérée.

Enfin, le continent africain aussi, prodigue en fidèles et en prélats, a enregistré de vastes tournées pontificales, de l’Afrique centrale des deux Congo, en mai 1980, à l’Afrique occidentale (12-19 février 1982) et la Côte d’ivoire où le président Houphouët a érigé sa basilique de Yamoussoukro sur le modèle de celle de Saint-Pierre de Rome. Jean-Paul II est allé bénir le petit Bénin du Vaudou, terre natale de l’un de ses apôtres de l’inculturation (adaptation à la culture locale), l’archevêque de Cotonou, Monseigneur de Souza qui avait même réussi au début des années quatre-vingt-dix à reconvertir Mathieu Kérékou, dictateur à l’étoile rouge désormais président catholique. En 1985, il honore le Togo voisin (4-8 août 1985). Du Nigeria ( février 1982 et mars 1998) au Soudan en 1993, tous deux géants déchirés par la guerre entre musulmans et chrétiens, en passant par le Rwanda (septembre 1990), voué au Christ Roi avec le succès que l’on sait, Jean-Paul II a foulé douze fois le sol du continent noir et visité la majorité des cinquante Afrique.



par Monique  Mas

Article publié le 14/10/2003 Dernière mise à jour le 02/02/2005 à 10:25 TU