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Liberia

La réconciliation n’est pas au rendez-vous

Le 14 octobre prochain, le remplaçant intérimaire de Charles Taylor, le président Moses Blah, doit céder la place à des institutions de transition chargées de conduire le pays à des élections d’ici deux ans. Entre temps, il s’agira notamment de désarmer les anciens belligérants censés se réconcilier. Cette tâche est largement dévolue à la Mission des Nations unies au Libéria (Minul). Celle-ci célébrait justement son avènement en grande pompe mercredi lorsque l’entrée en scène politique à Monrovia du chef des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd), Sekou Damate Conneh, s’est soldée par un caillassage populaire auquel ses hommes ont répondu par des tirs. Les casques bleus ne sont pas intervenus, soulevant maintes interrogations parmi les habitants de Monrovia. La première rencontre Blah-Conneh a une fois de plus été reportée sine die. Les deux hommes gardent la main sur la gachette.
Moses Blah est encore président par intérim pour une dizaine de jours seulement. A première vue, il n’était pas vraiment indispensable pour Sekou Damate Conneh de marquer son retour au Libéria par une rencontre avec le successeur «en exercice» de Charles Taylor. D’ailleurs, le rendez-vous en était déjà mercredi à son deuxième report depuis le week-end dernier. Il s’est finalement transformé en duel verbal après une fusillade devant les bérets bleus, marquant la perpétuation de la circulation d’hommes en armes jusqu’au cœur de la capitale. Ce pourrait être une simple péripétie d’après-guerre. Mais l’ont sait le peu d’attrait exercé sur les anciens belligérants par la transition civile à venir. Et pour le moment, ce n’est pas en partenaires d’un processus de conciliation qu’ils se conduisent, mais véritablement en adversaires, chacun semblant toujours considérer l’autre comme l’obstacle principal à ses intérêts immédiats ou futurs.

Le Lurd a tenté «de me renverser et d’installer Sekou Damate Conneh dans le fauteuil présidentiel», accuse Moses Blah qui doit céder la place le 14 octobre prochain à l’homme d’affaires Gyude Bryant, choisi par la médiation afro-internationale pour présider aux destinées de la transition chargée de tirer le Libéria de son bourbier militarisé. En même temps, l’intérimaire Blah accuse la Minul d’avoir laissé entrer à Monrovia des combattants du Lurd, lourdement armés selon lui. Il demande même l’ouverture d’une enquête. Ses administrés ne le lui reprocheront pas car l’écho des balles et la vue des neuf morts et de la quinzaine de blessés de mercredi ont réellement semé le doute parmi les Libériens sur la détermination et la capacité de la Minul à les protéger.

"Blah a voulu m'assassiner"

Certains témoins accusent les casques bleus d’avoir abandonné leurs barrages lorsque le Lurd a riposté par des tirs aux pierres lancées par des habitants de Monrovia au passage de Sekou Damate Conneh, dans le quartier de Red Light, un fief de Charles Taylor. Dans leur fuite, les anciens rebelles auraient aussi lancé des grenades sur un marché populaire du quartier voisin de Gardnersville. D’autres riverains évoquent l’inaction onusienne face aux réquisitions de voitures particulières ou de taxis, opérées par l’équipe du Lurd pressée de quitter les lieux. Bref, la Minul aurait failli. La résolution 1509 qui lui a donné forme le 19 septembre dernier lui accorde en effet l’usage de la force. Il a sans doute semblé prématuré mercredi. Ce jour là, les 3 500 soldats de la force ouest-africaine (l’Ecomil) déjà sur place revêtaient le béret bleu pour marquer leur intégration dans la Minul dont ils constituent le premier contingent opérationnel. D’ici six mois, ils seront 15 000 soldats et 1 115 policiers au Libéria, mais «notre tâche ne va pas être facile», commente le général kényan, Daniel Opande, chef militaire de la Minul.

De son côté, Sekou Damate Conneh accuse Moses Blah d’avoir voulu l’assassiner. Il a en tout cas raté son entrée victorieuse de «présidentiable» dans la capitale. Mais il ne désespère pas. Le 24 septembre dernier, en quittant Conakry, l’ancien inspecteur des impôts au ministère des Finance de Monrovia, le jeune chef du Lurd (il a 43 ans), époux d’une opportune prophétesse (amie du chef de l'Etat guinéen)avait remercié haut et fort le régime de Lansana Conté pour son «soutien actif» , déterminant, dit-il dans la «libération de son pays du règne de la terreur». «Je demande à la Guinée», ajoute-t-il, «de continuer à soutenir le Libéria dans sa lutte pour sortir de son état actuel et pour permettre aux quelque 900 000 réfugiés de rentrer chez eux». En même temps, le chef du Lurd expliquait qu’il rentrait au Libéria pour «observer ce qui va se passer pendant la période de transition». Une observation active apparemment. D’autant que le Lurd doit participer à la transition, au même titre que les futures composantes des nouvelles institutions qui seront issues des différents protagonistes de la guerre du Libéria, aux côtés des partis politiques non armés et de la société civile.

En attendant la transition, Damate Conneh est rentré avec ses gardes du corps dans son fief de Tubmanburg et le Lurd a profité des incidents de mercredi pour reprendre pied dans les faubourg nord-ouest de Monrovia. Leur prochaine visite dans la capitale, ce sera sans doute pour l’entrée de leurs ministres au gouvernement de transition. D’ici là, la Minul devra prendre des dispositions suffisamment sécurisantes pour chacune des parties.



par Monique  Mas

Article publié le 03/10/2003