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Politique française

Paris, c’est fini pour l’ENA

Plus de dix ans après la première tentative de délocaliser la prestigieuse Ecole nationale d’Administration (ENA) loin des ors de la capitale, à Strasbourg, qui s’était soldée par la mise en place d’une double implantation particulièrement coûteuse, le ministre de la Fonction publique Jean-Paul Delevoye propose de transférer complètement l’école en Alsace et de vendre les locaux parisiens. Cette proposition s’inscrit dans un projet de réforme de l’encadrement supérieur de la Fonction publique et touche au-delà du problème de la localisation, à l’organisation de la scolarité et aux missions d’une institution destinée à former les hauts fonctionnaires français.
Symbole s’il en est de l’exception française, l’ENA, vivier des hauts fonctionnaires hexagonaux souvent accusés d’être formatés et élitistes, est au cœur de nombreuses polémiques depuis quelques années. Surtout depuis l’annonce de son déménagement manqué à Strasbourg en 1991, sous le gouvernement de la socialiste Edith Cresson. Le désir de bouter hors de Paris l’école dans laquelle est formé le corps d’élite de la Fonction publique française s’était heurté à l’époque à de fortes résistances, notamment de la part des premiers concernés: les élèves. Du coup, on a tranché la poire en deux, ou plutôt en deux tiers, un tiers. Et on a abouti à une double localisation qui a eu pour principal effet de multiplier les coûts.

Les étudiants de l’ENA ont en effet continué à suivre une grande partie de leur cursus à Paris mais ont été obligés d’assister à certains cours à Strasbourg où des locaux ont été achetés et aménagés à grands frais pour pouvoir les accueillir. Il a aussi fallu recruter des agents sur place pour assurer le fonctionnement du site, dédoubler les outils pédagogiques (laboratoires de langues, centres de documentation, salles informatique…). Par rapport au budget initial prévu pour financer l’installation à Strasbourg d’environ 100 millions de francs, on est très vite arrivé à 170 millions. Sans compter l’augmentation annuelle des frais de fonctionnement de l’école engendrés par la nouvelle organisation du cursus, la nécessité d’assurer les allers et venues des élèves et des professeurs...

Un avenir européen

L’annonce de Jean-Paul Delevoye de procéder finalement à l’installation de l’ENA à Strasbourg à partir de 2005 vise donc à mettre un terme à une situation contre-productive de plus en plus difficile à justifier, en tout cas sur le plan comptable. Certains députés comme Louis Giscard d’Estaing demandent depuis l’année dernière une réduction des crédits de fonctionnement de l’ENA. La commission des Finances de l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté dernièrement un amendement qui réduit de 2,5 millions d’euros le budget de l’école alors que le projet du ministère de la Fonction publique prévoie une augmentation d’un million.

La décision de vendre les locaux «historiques» de l’ENA à Paris, situés rue de l’Université, est quant à elle très symbolique et semble signifier qu’il n’y aura plus de retour en arrière possible. Avec l’ENA à Strasbourg, son avenir n’est plus seulement français, il est forcément européen. D’ailleurs, la réforme de la scolarité de l’école consacre clairement cette ambition d’ouverture vers les pays de l’Union. Le cursus sera désormais organisé autour de trois modules: gestion publique et des entreprises, administration des territoires et Europe. Les ressortissants communautaires pourront même passer le concours de l’ENA et entrer dans la Fonction publique française, où seuls certains postes comportant des prérogatives de puissance publique dans la police, la justice ou l’armée, leur seront interdits.

D’autre part, le ministre a mis en avant le désir de redonner à l’ENA sa mission première: celle d’être une école d’application. Il est donc prévu de remettre au programme les stages en entreprise et de réduire le délai durant lequel les énarques sont tenus de se consacrer à l’administration de 5 à 2 ans. L’ENA version strasbourgeoise assurera aussi «tout ou partie de la formation initiale des futurs administrateurs territoriaux» dispensé actuellement par l’Institut national des études territoriale situé dans cette ville.

Malgré ces modifications qui bouleversent certains modes de fonctionnement de l’école, Jean-Paul Delevoye ne remet pas en cause le système du choix de l’affectation des diplômés à partir de leur classement qu’avait pourtant suggéré Yves-Thibault de Silguy, ancien commissaire européen et auteur d’un rapport sur l’ENA rendu au début de l’année 2003. Pour le ministre, il «s’agit d’un gage d’objectivité et de neutralité». Par contre, les critères du classement seront modifiés et tiendront compte notamment de la dominante professionnelle. Et les énarques ne pourront plus choisir que leur corps d’affection, l’attribution du poste relevant désormais du ministère.

Les propositions du ministre qui s’intègrent dans un projet plus large de réforme de l’encadrement de la Fonction publique, au sein duquel figure aussi un volet sur l’aménagement de la rémunération au mérite des fonctionnaires, ont provoqué la satisfaction des élus alsaciens. La maire de Strasbourg Fabienne Keller a ainsi estimé qu’il s’agissait «d’une formidable reconnaissance du statut européen» de la ville. Mais elles ont aussi provoqué des réactions négatives. L’Association des administrateurs territoriaux de France a rejeté le projet de fusion du Centre national de la Fonction publique territoriale avec l’ENA. Là où certains voient une tentative louable d’aller dans le sens de la décentralisation mais aussi de décloisonner et rationaliser les rapports entre les différents secteurs de la Fonction publique, les responsables de l’AAFT estiment qu’il s’agit d’une mesure susceptible d’«occulter» leur spécificité et de les faire entrer dans un «moule unique de formation»… Celui des énarques parisiens exilés à Strasbourg.



par Valérie  Gas

Article publié le 23/10/2003