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Liberia

Désarmer au plus vite

Selon les accords de paix d’Accra, le désarmement devait démarrer 90 jours après l’investiture du président de la transition, Gyude Bryant, investi mardi 14 octobre. Mais le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu au Libéria, l’Américain Jacques Klein, vient d’annoncer que le début des opérations serait avancé à la mi-novembre. Selon ses estimations, les anciennes forces gouvernementales ( AFL) et les milices de Charles Taylor représenteraient entre 30 et 40 000 hommes, les combattants des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd) seraient entre sept et dix mille et ceux du Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model) quelque trois à cinq mille. La majorité de ces anciens combattants sont des enfants-soldats et nombre d’entre eux sont étrangers, en particulier Sierra-Léonais ou Guinéens.
La mission des Nations unies au Libéria (Minul) va devoir agir avec les seuls 4 500 casques bleus déjà opérationnels, des Ouest-Africains en majorité, provenant de la force de la Cedeao intégrée par l’Onu le 1er octobre dernier. La Minul ne pourra pas compter avant la mi-janvier 2004 sur l’arrivée des renforts indiens, irlandais, ukrainiens ou hollandais qui doivent compléter ses effectifs jusqu’à atteindre les 15 000 casques bleus promis à New-York. Mais Jacques Klein a décidé de battre le fer de la paix pendant qu’il est encore chaud des promesses de partage du pouvoir entre les trois factions. L’heure est en effet à la distribution de portefeuilles ministériels qui valent interdiction de briguer plus tard la magistrature suprême. Et tandis que les anciens chefs de guerre s’accordent le temps de la réflexion en déléguant leurs seconds à Monrovia, il paraît urgent en effet de limiter, sinon d’éradiquer, la circulation des armes au Libéria tout en organisant la reconversion de milliers de soldats de fortune dépourvus de tout autre viatique.

Comme toujours, l’opération de désarmement s’annonce délicate. La guerre a labouré le Libéria jusque dans les tréfonds de son organisation sociale. Jacques Klein rappelle que «50 à 60% des anciens combattants ont moins de 18 ans. Ils ont oublié leur famille». Mais outre les traumatismes habituels enregistrés parmi les enfants de la guerre, il est clair que pour nombre de jeunes, l’autorité des armes a été l’occasion d’une «promotion sociale» hors des normes locales, souvent fondées sur les classes d’âge. Comme le fait observer Kofi Annan, le Libéria ne sortira pas de «la culture de la violence» sans que des alternatives attractives ne soient proposées aux anciens combattants, en particulier aux jeunes qui pourraient sombrer dans le banditisme ou «reprendre le maquis pour devenir des mercenaires, non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi dans une sous-région inondée d’armes légères et de mercenaires».

A New York, Koffi Annan multiplie les appels de fonds. A Monrovia, Jacques Klein explique que les casques bleus vont opérer une manœuvre d’encerclement, en se déployant le long des frontières, car, dit-il, «il ne faut pas que les combattants traversent les frontières». Or, chacune des factions a soutenu ou utilisé dans ses rangs (en général les deux à la fois) des étrangers, en particulier de Guinée ou de Sierra Leone. A la tâche de recensement général des anciens combattants (les chiffres donnés sont toujours à modulation variable selon les intérêts du moment) et de leurs dépendants (femmes ou enfants plus ou moins intégrés dans les factions), s’ajoute donc un impératif de tri par nationalité.

Les étrangers devront «être rassemblés dans des cantonnements différents et nous allons étudier avec leurs gouvernements respectifs les modalités de rapatriement», indique Jacques Klein. Une mission compliquée puisque ces combattants sont justement en rébellion contre les gouvernements concernés et qu’un rapatriement de ce genre a complètement échoué au Congo-Kinshasa par exemple où l’Onu n’est jamais parvenue à convaincre les rebelles rwandais. A défaut de se laisser prendre dans la nasse onusienne, les étrangers du Libéria iront peut-être se fondre dans la masse des réfugiés civils.

"Avec 290 millions de dollars, je peux reconstruire le Libéria"

Jacques Klein presse Gyude Bryant de faire la preuve au plus vite de sa capacité à «contrôler les ressources du pays» et surtout à faire bon usage des fonds des donateurs dont l’Onu est en train de battre le rappel. «Avec seulement 290 millions de dollars – quatre jours de budget américain en Irak–, je peux reconstruire le Libéria. Je vais donc organiser une conférence des donateurs à la mi-décembre», assure le représentant spécial de l’Onu. Toutes les infrastructures du pays ont été laminées par la guerre, en outre, explique Jacques Klein «nous devons reconstruire la police, le système judiciaire. J’espère que les Etats-Unis vont reconstruire l’armée libérienne». En attendant, les autorités de transition ont fixé au 20 octobre la rentrée scolaire de quelque 350 000 enfants que l’Unicef se charge de soustraire à leur dangereuse oisiveté en finançant l’ouverture de 3 700 écoles, les salaires de 20 000 enseignants et les achats de fournitures diverses. Cette opération repose sur un budget de six millions de dollars mais, explique le responsable de l’Unicef, «pour le moment, nous n’avons rien reçu et nous avons emprunté deux millions de dollars» qu’il faudra rembourser au budget général de l’organisation onusienne.

Une bataille des chiffres a commencé sur le nombre d’enfants à scolariser, le ministère libérien de l’Education évoquant un total de un million d’élèves contre 700 000 selon l’Unicef. Par ailleurs, le 10 octobre, le Programme alimentaire mondial (Pam) a suspendu pour une dizaine de jours ses distributions de nourriture à l’intérieur du pays où l’insécurité persiste. Ce jeudi, par exemple, le chef du Model, Thomas Nimely, accusait "des miliciens de l'ancien gouvernement" d’avoir attaqué des positions de son mouvement dans l’une des principales exploitations forestières du pays, près de Buchanan à 90 Kilomètres au sud-est de Monrovia.

Thomas Nimely a accepté de servir le Model comme ministre des Affaires étrangères du gouvernement de transition. En prenant ce fauteuil, il a renoncé à concourir dans les futures présidentielles d’octobre 2005. L’ancien ministre de la Défense de Charles Taylor s’est également dévoué, jouant les prolongations au sein du même ministère. En revanche, le chef du Lurd, Sekou Damate Conneh, s’est mis en réserve de la République, désignant ses proches à la Justice, aux Finances, aux Transports et au ministère du Travail. Depuis son fief de Tubmanburg, à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Monrovia, Damate Conneh a promis de commencer un «désarmement volontaire» de ses troupes, «juste après la cérémonie d’investiture» du président Bryant. L’investiture effective, l’Onu presse le pas du désarmement.



par Monique  Mas

Article publié le 16/10/2003