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Mauritanie

La disparition du «père fondateur»

Moktar Ould Daddah, ancien président de Mauritanie est décédé à Paris le 14 octobre à l’âge de 79 ans. Un deuil national de trois jours a immédiatement été décrété en Mauritanie en hommage à celui qui est aussi considéré comme le «père de la nation».
Moktar Ould Daddah a été admis à l’hôpital militaire parisien du Val de Grâce en août dernier, pour y être soigné d’une pneumonie. A 79 ans, et au vue de l’état général de l’ancien président l’issue de cette maladie était prévisible au point que l’actuel président de Mauritanie, Maouiya Ould Taya s’est rendu à son chevet le 7 septembre dernier. Mais pour la famille il y avait une autre urgence, publier les mémoires du premier président de Mauritanie, et surtout du fondateur de la République islamique de Mauritanie. La parution de ses mémoires, La Mauritanie contre vents et marées, aux éditions Karthala, était prévue le 27 octobre. L’ouvrage de 650 pages qui revient sur les dix-huit années de son exercice du pouvoir et sur les vingt-deux années d’exil, se veut néanmoins un ouvrage destiné aux «jeunes générations», comme le souhaitait l’ancien président lui-même. La Mauritanie contre vents et marées sera aussi présenté au Salon du livre d’histoire à Blois (centre de la France), le 18 octobre, mais Mariem Daddah, épouse du l’ancien président, contrairement à ses souhaits ne pourra participer personnellement à l’opération de lancement du livre.

En effet, après la levée du corps le vendredi 17, un vol spécial ramènera la dépouille mortelle de l’ancien président dans sa ville natale Boutilimit où les cérémonies d’inhumation auront lieu le samedi 18 octobre. La famille qui veut à tout prix éviter la récupération politique s’est opposée à toute implication directe de l’Etat mauritanien dans les obsèques de Moktar Ould Daddah. Au faste de l’Etat la famille a préféré «un recueillement partagé avec le peuple», précise un proche de la famille. La perspective de l’élection présidentielle du 7 novembre en Mauritanie, à laquelle devrait participer Ahmed Ould Daddah, le demi frère du défunt, force la famille à beaucoup de vigilance. C’est aussi pourquoi Mariem Daddah n’avait pas accueilli le président Maouiya Ould Taya au chevet du lit de son époux malade.
Il n’empêche qu’à l’annonce de sa mort, un deuil national de trois jours a été décrété et les drapeaux mis en berne. Les radios et télévisons nationales ont bouleversé leurs programmes pour ne diffuser que des chants religieux et des versets coraniques et quelques bulletins d’information. Mohamed Ould Tolba, le ministre mauritanien des Affaires étrangères et de la Communication a aussi précisé que «toutes les dispositions requises seront prises pour lui rendre hommage et rehausser sa mémoire».

«Père fondateur»

Né le 24 décembre 1924 dans une famille de chefs religieux, Moktar Ould Daddah a reçu une éducation traditionnelle musulmane avant de poursuivre ses études secondaires et supérieures de droit en France. Avocat, il épouse en 1959 une Française, Marie-thérèse Gadroy, qui se convertit ensuite à l’islam en adoptant le prénom Mariem. Elle lui donne trois enfants, une fille et deux garçons. Personnage central dans la vie politique de son pays, il fait accepter au peuple mauritanien «l’appartenance à la communauté française» par référendum en 1958. Il est naturellement élu président de la nouvelle république le 28 novembre 1960. A la tête du Parti du peuple mauritanien (PPM), il est réélu président de la république en 1966, 1971 et 1976, avant d’être renversé par un coup d’Etat militaire le 10 juillet 1978.
Son nom est attaché à l’histoire sociale et politique des premières années de la nouvelle république. Après avoir dit «oui» à la communauté française voulue par le général de Gaulle, il a été l’artisan du retrait de la Mauritanie de la zone franc et de l’adoption d’une nouvelle monnaie, ouguiya. Il a rendu l’apprentissage de la langue arabe obligatoire dans les collèges, ce qui n’avait pas manqué de susciter quelques mouvements sociaux dans les populations négro-mauritaniennes. Les organisations de défense des droits de l’homme lui ont souvent reproché de ne rien entreprendre pour lutter efficacement contre l’esclavage auquel les populations noires étaient soumises.

Parmi les temps forts de son règne on note également la nationalisation des sociétés d’exploitation des mines de fer et le conflit du Sahara occidental. En 1975 il avait signé l’accord tripartite de Madrid, entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie, qui consacrait le partage du Sahara occidental, ex-colonie espagnole, entre le Maroc et son pays. Cet accord a été à l’origine du conflit mené par le Front Polisario pour une indépendance du Sahara occidental. Ce conflit fragilise son régime et il est destitué le 10 juillet 1978 par un Comité militaire de salut national. Placé en résidence surveillée, il part finalement en France en 1979 pour y suivre des examens médicaux. C’est le début de l’exil, puisqu’un an plus tard une Cour spéciale de justice le condamne par contumace aux travaux forcés à perpétuité pour «haute trahison, violation de la constitution et atteinte aux intérêts économiques de la nation». Vingt-deux ans plus tard, en 2001 le président Maouiya Ould Taya fait lever toutes les poursuites contre l’ancien chef de l’Etat. Il rentre au pays à la faveur de cette amnistie pour être «une sorte d’arbitre, celui auquel on s’adresse pour résoudre les problèmes», comme il définissait lui-même son nouveau rôle au service de son pays.



par Didier  Samson

Article publié le 16/10/2003