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Cameroun

Un air de soupçon sur l’audiovisuel privé

City FM, une radio qu’envisage de lancer le groupe multimédia Le Messager, attend toujours la levée des scellés apposés sur ses installations à Douala, ainsi qu’une autorisation du ministère de la Communication qui a prononcé son interdiction en se fondant sur des arguments de droit qui ne font pas l’unanimité. De quoi relancer toutes les polémiques qui accompagnent la libéralisation de l’audiovisuel dans ce pays où le gouvernement n’hésite pas à ordonner la fermeture des chaînes de télévision et des stations de radios privées.
De notre correspondant à Yaoundé

«L’affaire», puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, a gagné en gravité. La justice, saisie en urgence d’une procédure dite de «référé d’heure en heure» depuis le 3 septembre 2003, semble prendre son temps. Et Pius Njawé, directeur général du groupe multimédia Le Messager, dont l’une des composantes phares est le trihebdomadaire privé Le Messager, a déjà commencé à se demander, non sans une pointe d’ironie matinée d’agacement, si on ne s’achemine pas finalement vers un «référé d’an à an». Le directeur du Messager avait cru que l’affaire, au moins pour ce volet, serait simple, espérant que les tribunaux de Douala ordonneraient la levée des scellés apposés depuis le mois de mai, sur instruction des autorités, sur les installations de Freedom FM, la station de radio que le groupe souhaite lancer dans la capitale économique, et dont les promoteurs redoutent que les équipements ne s’abîment.
Le dossier, il est vrai, n’est pas des moins complexes, bien que les apparences ne le laissent pas suggérer. Il y a, d’un côté, Pius Njawé, qui a déjà accepté, à l’en croire, de faire quelques concessions au gouvernement, au gré des «négociations» étalées sur de longs mois. Ainsi, la radio, si elle devait être autorisée à émettre, changerait de nom, pour devenir City FM. Elle concentrerait sa ligné éditoriale sur le thème du «développement urbain». Elle délocaliserait son émetteur vers une localité située dans la périphérie de Douala, pour faire face à la saturation de la bande MF (modulation de fréquence) dans la ville invoquée par le ministère de la Communication.

Le gouvernement de son côté continue d’invoquer les raisons qui l’ont poussé à interdire le fonctionnement, puis à ordonner la pose des scellés sur les locaux de la radio du groupe Le Messager. Elle «a fait l’objet d’une mesure d’interdiction pour exercice illégal de la profession de diffuseur en communication audiovisuelle», déclare Félix Zogo, premier conseiller technique au ministère de la Communication.
D’autre part, alors que la situation ne faisait déjà pas l’unanimité, une récente décision du ministre de la Communication portant «autorisation provisoire de l’usage des canaux et des fréquences dans le secteur privé de l’audiovisuel» est venue s’ajouter à la polémique. Le gouvernement, qui a accordé lesdites autorisations à des structures bénéficiant du parrainage de certains ministres en fonction, n’a pas volé les soupçons en tout genre qui ont fusé d’une partie de l’opinion et de la presse. «Les autorisations accordées, dont l’essentiel est octroyé aux promoteurs proches du parti au pouvoir, ne confortent-elles pas la thèse selon laquelle le pouvoir ne tolérerait le pluralisme audiovisuel que pour autant qu’il a la garantie que les nouveaux projets ne peuvent le contrarier ?», s’interrogeait Le Messager.

Les autorités ont de la mémoire

Alors que le ministère de la Communication certifiait «qu’il s’agit donc d’un pas décisif que nous venons de franchir dans le processus de diversification et de consolidation du paysage audiovisuel camerounais», Pius Njawé a marqué son étonnement à propos de l’attribution, par la même décision, de trois nouvelles fréquences dans la ville de Douala pour laquelle le ministère avait déjà, semble-t-il, parlé de saturation de la bande de modulation de fréquence lors des pourparlers avec le promoteur de City FM. «Il est en tout cas édifiant de constater que pendant qu’on nous mène ainsi en bateau, des autorisations, même si elles sont provisoires, continuent d’être distribuées de façon on ne peut plus discriminatoires. Et non sans prendre l’allure de provocation», avait commenté le directeur du groupe Le Messager. Et de se demander: «Comment expliquer par exemple que l’on trouve aujourd’hui des fréquences à attribuer dans une ville de Douala que l’on dit saturée, au point de nous imposer une délocalisation de nos émetteurs ?».

Les sous-entendus que charrient cette «affaire» ne manquent pas. Ils prennent parfois une connotation politique. Au Messager, comme dans une partie de l’opinion, on n’est pas loin d’insinuer que les autorités, peu oublieuses, ne veulent pas de la radio de celui qui, en 1997, avait fait état dans les colonnes du journal d’un «malaise cardiaque» dont aurait été victime le président Biya lors de la finale de la coupe du Cameroun de football. L’affaire fit paniquer le pouvoir qui, en plus de démentis, ne fit pas particulièrement preuve de mansuétude à l’égard de Pius Njawé, qui dut purger une peine de prison pour propagation de fausse nouvelle. Une «affaire» de plus ou une «affaire» de trop, s’étaient alors interrogés les observateurs désormais familiers des rapports tumultueux entre Le Messager et le régime du président Biya.

En tout cas, les autorités ont formellement réfuté ces «explications» politiques, arguant que d’autres radios privées, dont il est établi que les lignes éditoriales ne sont pas nécessairement favorables au pouvoir, ont reçu des autorisations et fonctionnent. En voulant récuser le bien-fondé des accusations selon lesquelles le pouvoir voudrait surveiller ces radios privées, les autorités ont péché par omission. Les décisions antérieures du ministre de la Communication portant fermeture provisoire de certaines stations de radios privées, se sont accompagnées de leur lot d’incompréhensions. Le gouvernement évoquait le «manque de professionnalisme» argument au demeurant souvent largement partagé chez les professionnels- de ces structures, dans le cas de traitements de l’information qui ne le présentaient pas sous ses meilleurs jours. C’est au milieu de ces controverses que deux chaînes de télévision privées ont été interdites depuis l’année dernière.

Il reste que dans ce paysage audiovisuel en mutation, qui ne manque ni de tonalités plurielles, ni de soupçons, le gouvernement peine à expliquer la non-attribution de véritables licences d’exploitation aux entreprises du secteur, qui les attendent depuis l’an 2000. La situation a fini par susciter de virulentes critiques, venues parfois des endroits où elles étaient les moins attendues. «Notre sentiment est que le gouvernement lui aussi ne respecte pas la procédure. Voilà plus d’un an qu’un décret d’application a été promulgué, autorisant la création de stations de radio et de télévisions privées. Mais à ce jour, aucune station n’a reçu de licence», regrettait John Melvin Yates, alors ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, en août 2001.



par Valentin  Zinga

Article publié le 11/10/2003