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Colombie

Double camouflet pour le président Uribe

Alors que la gauche vient de faire la différence aux municipales de ce week-end en emportant pour la première fois la mairie de la capitale Bogota, les autorités colombiennes renvoient à «mercredi ou jeudi» les résultats du référendum de samedi qui paraît voué à l’invalidation. Le dépouillement de 97, 94% des suffrages a en effet été interrompu, en attendant l’arrivée d’une poignée de bulletins en provenance de provinces reculées. C’est du moins ce qu’affirment les autorités, très désappointées de constater que, malgré son taux de popularité de plus de 60% et le caractère consensuel, sinon démagogique, des quinze questions posées par le référendum, le président Uribe ne semble pas parvenu à convaincre de se déplacer aux urnes au moins 25 % des électeurs, comme l’exige la constitution pour valider le scrutin.
Le président Uribe rêvait d’un référendum en forme de plébiscite. En le proposant pendant la campagne présidentielle qui l’a porté au pouvoir en mai 2002, Alvaro Uribe en avait fait le fer de lance de son programme de réformes politiques et sociales. Qualifié de référendum anti-corruption, le scrutin proposait quinze questions. La première prévoyait le retrait des droits civiques des élus coupables de détournement de fonds publics. D’autres portaient sur la réduction du nombre de sièges (de 268 à 218) au Congrès ou le gel des salaires des fonctionnaires en 2004-2005, au profit de la répression militaire des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Dans sa forme, il constituait une première dans l’histoire colombienne et, avec sa cote de popularité de plus de 60%, 14 mois après son investiture le 7 août 2002, le chef de l’Etat attendait une confirmation triomphale de sa politique de lutte contre la corruption et contre la guérilla des Farc. Mais pour l’instant, même si chacune des questions a recueilli plus de 80% des suffrages exprimés, il manque encore quelque 10 666 voix pour passer le cap des 25% de participation exigés pour valider le scrutin.

«ça sent la fraude»

Suspendu quelques heures, ce dimanche à l’aube, le dépouillement du référendum a repris avec une lenteur de mauvais aloi, selon l’opposition, dont l’une des porte-parole du Parti libéral, Piedad Cordoba, a commenté: «ça sent la fraude». Il s’en faut en effet d’un cheveu, 0,4% du corps électoral pour éponger les sueurs froides du président Uribe. Pour sa part, le chef de l’Inspection électorale assure qu’il a «la conscience tranquille». Mais lorsqu’il évoque «le pourcentage habituel de 3%» de bureaux de vote en retard de dépouillement pour cause d’éloignement, les calculettes de l’opposition s’interrogent sur les risques de «tripatouillage» dans les villages des confins amazoniens, uniquement accessibles par voie fluviale, au prix de plusieurs jours de navigation. Il faudra aussi compter sans les urnes brûlées dans trois villages, par des présumés rebelles. Quel que soit le verdict finalement affiché, le score référendaire s’annonce comme une défaite personnelle pour Uribe, même si voter reste une performance risquée pour les citoyens colombiens.

Chaque année, quelque 3 500 Colombiens, des civils en majorité, paient de leur vie le conflit qui oppose ou allie, depuis quatre décennies, narco-trafiquants, guérilla marxiste, forces gouvernementales et para-militaires d’extrême droite (Autodéfenses unies de Colombie, Auc). A l’heure des petits ou grands scrutins, la surenchère est en règle générale très violente. Au cours de cette dernière campagne électorale, trente candidats aux municipales et neuf maires en exercice ont été assassinés, une douzaine kidnappés. Les Farc se sont tout particulièrement illustrées dans cette campagne de terreur. Mais comme à l’accoutumée, les Auc n’ont pas été en reste. Première du genre, l’avènement d’un maire de gauche à Bogota est aussi une revanche pour ses candidats victimes de précédentes campagnes de terreur. Cette fois, les huit millions d’habitants de la métropole colombienne ont choisi de confier leur destin à un ancien syndicaliste communiste, Luis Eduardo Garzon, «Lucho», converti à la social-démocratie dans un Pôle démocratique indépendant (PDI).

Le PDI rassemble des mouvements de la gauche modérée. En outre, Lucho a pu compter sur l’appui de ses anciens camarades communistes et même sur celui des guérilleros repentis du M19, qui approuvent ses positions concernant l’ouverture d’un dialogue avec les Farc et son programme social face à une classe dirigeante libérale. Fils d’une «dona Eloisa» descendue du pauvrissime El Dorado des Andes indiennes pour gagner le pain familial comme femme de ménage à Bogota, Lucho Garzon est né dans la capitale. Dès l’âge de dix ans, il a tenu mille petits emplois plus ou moins informels, avant d’entrer à Ecopetrol, la pétrolière colombienne. Trente ans durant, il a grimpé les échelons du syndicat du pétrole avant d’accéder, en 1997, à la présidence de la Centrale unitaire des travailleurs, la sociale démocrate Cut. Candidat malheureux aux présidentielles de 2002 remportées par Uribe, le voilà assis, à 52 ans, dans le fauteuil de maire de Bogota, tremplin possible pour la magistrature suprême, après un itinéraire comparable à celui de son ami brésilien, le président «Lula» Da Silva.

A Bogota, Lucho Garzon l’a emporté avec 47% des suffrages contre 40% accordés à son concurrent de droite, le journaliste Juan Lozano. Une victoire qui renvoie conservateurs et libéraux à leurs promesses sans effets depuis des décennies. Un mouvement d’humeur électorale qui sonne comme une claque pour le président Uribe en mal de référendum. Sitôt élu, Lucho Garzon a lancé un appel aux Farc pour la libération de l’ancienne candidate des Verts colombiens à la présidence de 2002, Ingrid Betancourt, otage depuis vingt mois comme des centaines de Colombiens, célèbres ou anonymes. Le nouveau maire veut marquer sa différence. Pendant ces municipales qui viennent de le consacrer, il avait d’ailleurs symboliquement voté lui-même pour Ingrid Betancourt, tandis que l’époux de cette dernière glissait dans l’urne un bulletin aux couleurs de Garzon. «Ce n’est pas juste qu’elle soit séquestrée, nous voulons la voir faire de la politique…Qu’ils nous la rendent, nous souhaitons l’avoir avec nous», explique l’ancien syndicaliste qui surnomme affectueusement «Marxela» sa compagne Marcela Hernandez. En s’inscrivant dans la «gauche modérée», comme on dit en Colombie, le maire Garzon a aussi décidé de ratisser au plus large, contre la droite et ses extrêmes.



par Monique  Mas

Article publié le 27/10/2003