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Comores

L’arrestation d’un opposant tourne à la confusion

Maître Saïd Larifou, avocat à Paris et à Saint-Denis de la Réunion, était venu entamer une tournée politique contre le pouvoir en place dans son pays natal. En réponse, les autorités ont presque aussitôt brandi une menace de déstabilisation. Il est aujourd’hui incarcéré.
De nationalité franco-comorienne, exerçant principalement en territoire français, Maître Saïd Larifou était, jusqu’à son arrestation, ce qu’on appelle un opposant «mineur» au pouvoir du colonel Azali. Aux dernières élections présidentielles, il était certes sorti troisième de la liste. Mais selon les observateurs locaux, son parti, le Ridja (Rassemblement pour une initiative de développement avec une jeunesse avertie), n’avait réussi à ravir 8,71% des voix qu’au prix d’un effacement forcé des «dinosaures», représentant la scène politique traditionnelle. «Il était l’un des rares candidats en lice. Par ailleurs, très peu de gens ont participé à ce scrutin, qui faisait suite à la mise en place de l’Union des Comores», confie un confrère.

Mais qu’à cela ne tienne, l’avocat «tenait à battre campagne» pour répondre aux blocages actuels des institutions nationales. Entamant une tournée dans le sud de la grande île, qui devait ensuite le mener à Moroni, la capitale, il s’était «débrouillé, selon un proche, pour convier un journaliste français, afin de filmer la situation réelle et actuelle du pays». Dans un contexte, où l’opposition semble complètement laminée et où l’Etat perd de plus en plus pied face aux attaques des différents camps «autonomistes» de l’Archipel, Me Larifou pensait l’emporter sans peine, avec un peu de médiatisation. Les leaders d’opinion se faisant rares, une série de marches pacifiques lui semblait toute indiquée pour «canaliser le mécontentement populaire».

Coup d’éclat inattendu: le journaliste en question, Morad Aït-Habbouche, «officiellement» en tournage pour Canal + dans l’Archipel, est embarqué par la police locale, et son matériel confisqué. Deux autres Français, Philippe Verdon et Pascal Lupar, venus soutenir la campagne de Me Larifou, sont également arrêtés. Ce dernier ne tarde pas à se faire interpeller à son tour. Motif invoqué : la préparation d’une opération de déstabilisation contre le pouvoir et incitation à la violence. «Nous disposons de preuves compromettantes», indique aussitôt Houmed M’Saidié, le porte-parole du gouvernement. Hamada Madi Boléro, le ministre de la Défense, parle quant à lui d’éléments recueillis sur l’ordinateur de Philippe Verdon, qu’il accuse d’avoir établi un contact avec le mercenaire français Bob Denard, lors de son dernier procès à Paris. Un officier de l’armée comorienne, Combo Ayouba, a remis une cassette audio, contenant l’enregistrement d’une discussion avec le même Verdon : ils y parlent d’un «soulèvement» à organiser durant cette période où le chef de l’Etat était absent.

L’ovni du paysage politique comorien

Conséquence immédiate de ces arrestations, Me Larifou s’est vu affublé du jour au lendemain d’un titre de premier opposant national au pouvoir du colonel Azali dans la presse régionale, grâce notamment à un battage médiatique soutenu sur l’île de la Réunion, où se trouve sa résidence principale et où il est rattaché au barreau de Saint-Pierre. Son parti devient soudainement «important» aux yeux d’une opinion, qui paraît à la fois surprise et curieuse de «savoir qui se cache en réalité derrière ce petit avocat». Pendant que ses sympathisants en appellent au soulèvement de la population, ses détracteurs instillent le doute. Certes, il a été l’avocat d’Ibrahim Ali, le jeune Français d’origine comorienne assassiné à Marseille par des colleurs d’affiches du Front national en 1995. Mais il est aussi celui qui défend Saïd Hachim Achirafi, l’ancien ministre de l’Intérieur (1996-1997), aujourd’hui mis en examen pour tentative de coup d’Etat en décembre 2001, une affaire qui est loin d’être totalement élucidée à ce jour. Cela suffit pour nourrir une certaine méfiance chez les autres membres de l’opposition, qui jugent néanmoins que son arrestation se base sur une «machination un peu grossière».

En fait, Larifou, à 39 ans, incarne une sorte d’ovni dans le paysage comorien. «Il va, il vient. Il promet des choses, assurent avoir des soutiens dans les réseaux politiques français. Il dépense des sommes énormes dans ses campagnes et tout le monde se pose la question de savoir d’où lui vient son argent. Personne ne sait véritablement qui il est. Il a un parcours qui nous échappe. Et cette affaire fait de lui un élément essentiel de l’opposition, alors que les gens le connaissent à peine ici. Il devrait remercier les hommes d’Azali au final. On peut dire qu’ils lui ont donné un sérieux coup de pouce pour sa carrière. Son arrestation fait de lui un héros, alors qu’on ne lui connaît aucun fait d’armes». Ce propos d’un jeune leader d’opinion, plutôt apparenté au pouvoir en place, achève de dresser le portrait d’un homme, dont le principal souhait, affirment ses partisans, est de «rétablir l’image de la politique dans [le] pays», en redonnant «l’espoir aux Comoriens».

Ahamada Achirafi, secrétaire général du Ridja, déclare que les français inculpés, Philippe Verdon et Pascal Lupar (Morad Aït-Habbouche ayant été relâché entre-temps) n’ont aucun lien avec son parti. Mais, dernier coup de théâtre: Philippe Verdon, connu des services de police en France pour avoir été proche de l’ancien président malgache Didier Ratsiraka, aurait exercé des responsabilités locales au sein du RPR, l’ancien parti gaulliste français.

Serait-il l’un des amis «supposés» de Me Larifou dans les réseaux politiques français ? Contacté par l’AFP à Paris, Bob Denard déclare le connaître mais ne pas savoir qui le lui a présenté. Concernant la fameuse cassette compromettante, M. Verdon reconnaît lors d’un interrogatoire avoir contacté l’officier Ayouba, sans prévenir Larifou. Il affirme être en contact «avec l’exécutif français» et surtout qu’il cherchait à «faire croire aux Comoriens que la France était derrière [le leader du Ridja]».

En comparution jeudi dernier au Palais de justice de Moroni pour un motif curieusement négligeable, «outrage à magistrat», Me Larifou a écopé de trois mois d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Ce qui a achevé de semer la confusion dans l’opinion. Pour finir, depuis trois jours, un chauffeur de taxi-brousse en rajoute: il raconte avoir été pris en otage par des mercenaires (sept européens et un noir) cagoulés et armés sur l’île de Mohéli. Mise en alerte, l’armée nationale n’a retrouvé aucune trace de leur présence. Qui croire ? Que croire ? Les îles de la lune sont devenues depuis trente ans le pays des mille coups d’Etat, fantasmés ou réels. Et les légendes -comme on le sait- ont la vie dure!

A écouter également :

Le colonel Assoumani Azzali, président de l'Union des Comores au micro de Stéphanie Braquehais
L'invité Afrique (07/10/2003, 5')



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 06/10/2003