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Sécurité alimentaire

Vache folle : quatre anciens ministres en accusation

Les plaintes déposées en janvier 2003 par les familles de cinq des six victimes françaises du nouveau variant humain de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour «homicide involontaire» contre quatre anciens ministres de l’Agriculture, ont été jugées recevables par la commission des requêtes de la Cour de justice de la République. Du coup, Henri Nallet, Louis Mermaz, Jean Puech et Philippe Vasseur, qui se sont succédé entre 1988 et 1997 à ce poste, vont être au centre d’une enquête qui devra établir si oui ou non la décision d’interdire les produits à risque dans la chaîne alimentaire humaine a été trop tardive en France.
L’affaire de la vache folle et de la contamination humaine par des tissus bovins infectés est en train de prendre, en France, des allures de nouvelle affaire du sang contaminé. Quatre anciens ministres de l’Agriculture, Henri Nallet (1988-1990) et Louis Mermaz (1990-1993), Jean Puech (1993-1995) et Philippe Vasseur (1995-1997), sont aujourd’hui mis en cause par les familles de cinq personnes décédées des suites de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui estiment qu’ils n’ont pas pris à temps les mesures nécessaires pour protéger les consommateurs français d’une contamination par les viandes de bovins atteints d’encéphalopathies spongiformes (ESB). Ils ont donc déposé plainte devant la Cour de justice de la République mais aussi le tribunal administratif de Paris et la Cour de justice des communautés européennes.

Les plaignants argumentent autour du fait qu’un certain nombre d’éléments auraient dû alerter les autorités françaises bien plus tôt que 1996, date à laquelle la Commission européenne a décidé un embargo sur les exportations de bovins et de sous-produits en provenance de Grande-Bretagne. «Le tonnage de farines carnées, massivement importées du Royaume-Uni en 1988 et 1989, constituait pour ces autorités de décision l’indication que l’ESB progressait à bas bruit dans le cheptel bovin français et infectait l’ensemble de la chaîne alimentaire». Pour l’avocat des cinq familles, maître François Honnorat, plusieurs décisions prises en Suisse ou en Grande-Bretagne d’interdire la consommation des abats de bovins, dès le début des années 90, montrent bien qu’il y avait déjà des soupçons. Même si la confirmation scientifique du passage du prion de l’animal à l’homme par la voie alimentaire n’est intervenue qu’en 1996. Jusqu’à cette date, en effet, on estimait que la barrière des espèces protégeait l’homme d’une contamination.

Une enquête «tout à fait légitime»

Ces arguments ont été jugés suffisamment convaincants par la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR), qui a estimé qu’il pouvait y avoir «présomption d’homicide involontaire», comme l’a révélé Le Nouvel Observateur sur son site Internet le 28 octobre. Elle a donc décidé de transmettre le dossier au procureur général auprès de le Cour de Cassation, Jean-François Burgelin. Et c’est celui-ci qui a saisi la commission d’instruction de la CJR, seule apte à instruire le dossier, entendre les témoignages des anciens ministres pour des faits commis dans l’exercice de leur fonction et éventuellement les mettre en examen.

L’enquête de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République constitue, selon François Honnorat, «le prolongement de l’enquête de droit commun instruite par la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy.» Après le dépôt d’une plainte contre X pour «empoisonnement, homicides involontaires et mise en danger de la vie d’autrui», par les familles de Laurence Duhamel et Arnaud Eboli, deux victimes françaises du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aujourd’hui décédées, une information judiciaire a en effet été ouverte en décembre 2000. C’est dans ce cadre que des perquisitions ont déjà été effectuées dans les directions des principaux ministères impliqués dans la gestion de cette crise (Santé, Agriculture, Economie) et dans la filière des équarrisseurs. C’est aussi sous la direction de Marie-Odile Bertella-Geffroy que quatre dirigeants de la chaîne de restaurants Buffalo Grill, accusés d’avoir servi de la viande bovine britannique importée frauduleusement, ont été mis en examen. Une décision finalement annulée en octobre dernier par la Cour de Cassation, en vertu de l’absence de preuve liant la mort de deux des victimes de la maladie clientes des établissements Buffalo Grill au fait qu’elles avaient l’habitude de fréquenter ces restaurants.

Les résultats des deux enquêtes menées sur l’affaire de la vache folle en France pourront donc se compléter, pour la plus grande satisfaction de l’avocat des familles plaignantes selon lequel on avait jusqu’à présent trop négligé le rôle de l’Etat. François Honnorat a ainsi estimé que la décision d’ouvrir cette nouvelle instruction renforce «les familles des victimes dans la confiance qu’elles ont résolu de placer dans les institutions judiciaires pour obtenir la sanction des fautes commises et la réparation des préjudices».

Bernard Fau, l’avocat de la famille de la sixième victime française qui ne s’est pas associé à la plainte, n’est pas sur la même ligne que François Honnorat. Selon lui, cette requête devant la Cour de Justice de la République est «prématurée» et fait courir le risque, si le dossier n’est pas assez solide, d’obtenir au bout du compte un non-lieu pour les ministres.

Seul un des ministres concernés, Philippe Vasseur, a réagi pour le moment. Il a estimé que cette enquête était «tout à fait légitime», ajoutant : «Je vais m’y soumettre. C’est la suite logique des plaintes des familles de janvier. Je note au passage qu’il manque un ministre, Jean-Pierre Soisson». Ce dernier, en effet, n’est pas cité alors qu’il était ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy entre octobre 1992 et mars 1993. François Honnorat a d’ailleurs déclaré qu’il allait demander à la commission d’instruction de l’entendre lui aussi.



par Valérie  Gas

Article publié le 29/10/2003