Nations unies
L’ONU a failli dans la protection de ses personnels à Bagdad
Le 19 août dernier, 22 employés de l'ONU étaient tués dans un attentat au camion piégé contre le siège de l'organisation à Bagdad. Parmi eux: l'envoyé spécial du secrétaire général, Sergio Vierra de Mello. Une mission conduite par l’ancien président finlandais, Martti Ahtisaari vient de rendre son rapport d’enquête sur la gestion onusienne de la sécurité de ses personnels. Il lui reproche de ne pas avoir pris au sérieux des menaces avérées et considère que sa gestion sécuritaire est toujours défaillante.
De notre correspondant à New York (Nations unies)
Le rapport de Martti Ahtisaari est accablant pour les Nations unies. L'ancien président finlandais a été chargé par Kofi Annan d'enquêter sur la façon dont l'ONU a géré la sécurité de son personnel en Irak, avant, pendant et après l'attentat du 19 août contre le siège de l'ONU à Bagdad, dans lequel 22 personnes ont été tuées et près de 150 autres blessées. Les conclusions sont sans appel. «La mise en oeuvre de procédures de sécurité élémentaires, telles que la protection du périmètre de l'hôtel Canal (siège de l'ONU) à Bagdad, particulièrement après avoir reçu des informations crédibles sur l'imminence d'attaques à la bombe dans le secteur, auraient pu sauver les vies d'un certain nombre de personnels de l'ONU», affirme le panel dirigé par Martti Ahtisaari. Pour ce dernier: «Le système actuel de gestion de la sécurité présente des dysfonctionnements».
«Impératifs sécuritaires ignorés»
Avant de retourner en Irak dans la foulée des troupes américaines, l'organisation n'a pas procédé à une évaluation sérieuse des nouvelles conditions qui rendaient pourtant son travail beaucoup plus dangereux. «Des hauts fonctionnaires de l'ONU à Bagdad étaient mal à l'aise à cause de la présence visible des forces de la coalition dans et aux alentours du siège de l'ONU, à l'hôtel Canal», explique le rapport. «A plusieurs reprises, ils ont demandé aux forces de la coalition de retirer des équipements et des check-points de protection autour du périmètre de l'hôtel Canal, sans demander des mesures de sécurité alternatives». L'une des conséquences de ces demandes, liées au désir de neutralité de l'organisation, a été la réouverture d'une route passant le long du bâtiment de l'ONU. C’est cette même route qu’a emprunté le camion bourré d’une tonne d'explosif à l'origine de l'attentat.
A l'époque de l'installation de la mission dirigée par Sergio Vieira de Mello, lui-même tué dans l'explosion, les impératifs sécuritaires ont été ignorés. Alors que la présence de l'ONU à Bagdad aurait dû être limitée à 200 personnes, -uniquement pour des tâches essentielles, les listes ont été truquées et près de 500 personnes (dont beaucoup de «non-essentiels») ont été déployées. Après l'attentat, l'absence de listes exactes a rendu très difficile l'établissement d'un bilan précis des morts et des disparus. De même, l'absence de procédure d'urgence en cas d'attaque de grande ampleur a provoqué une totale désorganisation. Des personnels ont quitté les lieux sans prévenir qui que ce soit. Une personne, oubliée dans un hôpital de Bagdad, a même été déclarée morte, par erreur, à sa famille. En dépit des conseils de l'équipe chargée de sa sécurité, Sergio Vieira de Mello a commis l'erreur fatale de refuser d'installer son bureau dans une partie moins exposée du bâtiment.
«L'ONU savait que la situation sécuritaire se détériorait gravement tout au cours de l'été», explique à RFI un des panélistes, Claude Bruderlein, directeur de recherche à Harvard. Et de fait, plusieurs attaques avaient visé les semaines précédentes des agences de l'ONU, puis l'ambassade de Jordanie. «L'ONU avait des informations selon lesquelles le bâtiment et le personnel étaient sur la liste des cibles des mouvements armés en Irak, poursuit-il. L'ONU avait aussi des indications selon lesquelles une attaque allait peut-être être perpétrée dans le secteur de l'hôtel Canal. Malheureusement, les Nations unies n'ont pas réagi».
«Un camion a pu se rendre à quelques mètres du bureau de M. de Mello sans aucun problème. C'est dire à quel point le périmètre n'était pas protégé !», poursuit Claude Bruderlein. «Avec de telles informations, et considérant le manque de protection du périmètre, à notre avis, mais c'est facile à dire après coup, le bâtiment aurait dû tout simplement être évacué». Alors que des films de protection auraient dû être posés sur les fenêtres du bâtiment, l'installation a été retardée, pour cause de lourdeurs bureaucratiques, alors même qu'une agence de l'ONU était prête à les financer. Or, «la fragmentation et la dispersion des vitres à la suite de l'explosion a considérablement contribué au nombre de morts et de blessés», estime le rapport.
La réaction de l'ONU après l'attentat laisse également à désirer. Contrairement à l'avis du coordinateur pour la sécurité, Kofi Annan a refusé de passer en phase 5 de sécurité, ce qui, dans le système onusien, revient à évacuer le pays. Pourtant, tous les critères pour prendre cette décision étaient rassemblés. Plus grave, le 20 septembre, un nouvel attentat à la voiture piégé a visé le siège de l'ONU, faisant plusieurs morts, des policiers irakiens pour la plupart. «Le 22 septembre, la décision unanime a été prise, lors de la réunion de l'équipe de gestion de la sécurité à Bagdad, de recommander au secrétaire général (Kofi Annan) d'évacuer tout le personnel international sous la phase 5. L'équipe dirigeante de l'ONU à New York a endossé cette recommandation. Le secrétaire général a refusé de suivre ces recommandations, principalement pour maintenir une présence institutionnelle de base dans le pays».
«Des mesures de sécurité adéquates n'auraient peut-être pas pu éliminer le risque d'une attaque contre le périmètre de l'hôtel Canal, mais elles auraient certainement minimisé la vulnérabilité des employés et du bâtiment et réduit le nombre de morts causées par l'attaque», conclut le rapport selon lequel les quelques dizaines de personnels qui opèrent toujours en Irak «continuent à être en danger». Les panélistes appellent l'ONU à prendre des mesures urgentes. Kofi Annan a d'ores et déjà promis de mettre en oeuvre les principales recommandations du rapport. Les représentants du personnel de l'ONU demandent de leur côté à ce que les responsables des erreurs commises au plus haut niveau soient clairement désignés. Ils en appellent à l'Assemblée générale de l'ONU pour superviser le processus. D'une manière plus générale, selon Martti Ahtisaari, l'organisation opère aujourd'hui dans un monde de plus en plus hostile, et elle a besoin de revoir de fond en comble ses dispositifs de sécurité.
Le rapport de Martti Ahtisaari est accablant pour les Nations unies. L'ancien président finlandais a été chargé par Kofi Annan d'enquêter sur la façon dont l'ONU a géré la sécurité de son personnel en Irak, avant, pendant et après l'attentat du 19 août contre le siège de l'ONU à Bagdad, dans lequel 22 personnes ont été tuées et près de 150 autres blessées. Les conclusions sont sans appel. «La mise en oeuvre de procédures de sécurité élémentaires, telles que la protection du périmètre de l'hôtel Canal (siège de l'ONU) à Bagdad, particulièrement après avoir reçu des informations crédibles sur l'imminence d'attaques à la bombe dans le secteur, auraient pu sauver les vies d'un certain nombre de personnels de l'ONU», affirme le panel dirigé par Martti Ahtisaari. Pour ce dernier: «Le système actuel de gestion de la sécurité présente des dysfonctionnements».
«Impératifs sécuritaires ignorés»
Avant de retourner en Irak dans la foulée des troupes américaines, l'organisation n'a pas procédé à une évaluation sérieuse des nouvelles conditions qui rendaient pourtant son travail beaucoup plus dangereux. «Des hauts fonctionnaires de l'ONU à Bagdad étaient mal à l'aise à cause de la présence visible des forces de la coalition dans et aux alentours du siège de l'ONU, à l'hôtel Canal», explique le rapport. «A plusieurs reprises, ils ont demandé aux forces de la coalition de retirer des équipements et des check-points de protection autour du périmètre de l'hôtel Canal, sans demander des mesures de sécurité alternatives». L'une des conséquences de ces demandes, liées au désir de neutralité de l'organisation, a été la réouverture d'une route passant le long du bâtiment de l'ONU. C’est cette même route qu’a emprunté le camion bourré d’une tonne d'explosif à l'origine de l'attentat.
A l'époque de l'installation de la mission dirigée par Sergio Vieira de Mello, lui-même tué dans l'explosion, les impératifs sécuritaires ont été ignorés. Alors que la présence de l'ONU à Bagdad aurait dû être limitée à 200 personnes, -uniquement pour des tâches essentielles, les listes ont été truquées et près de 500 personnes (dont beaucoup de «non-essentiels») ont été déployées. Après l'attentat, l'absence de listes exactes a rendu très difficile l'établissement d'un bilan précis des morts et des disparus. De même, l'absence de procédure d'urgence en cas d'attaque de grande ampleur a provoqué une totale désorganisation. Des personnels ont quitté les lieux sans prévenir qui que ce soit. Une personne, oubliée dans un hôpital de Bagdad, a même été déclarée morte, par erreur, à sa famille. En dépit des conseils de l'équipe chargée de sa sécurité, Sergio Vieira de Mello a commis l'erreur fatale de refuser d'installer son bureau dans une partie moins exposée du bâtiment.
«L'ONU savait que la situation sécuritaire se détériorait gravement tout au cours de l'été», explique à RFI un des panélistes, Claude Bruderlein, directeur de recherche à Harvard. Et de fait, plusieurs attaques avaient visé les semaines précédentes des agences de l'ONU, puis l'ambassade de Jordanie. «L'ONU avait des informations selon lesquelles le bâtiment et le personnel étaient sur la liste des cibles des mouvements armés en Irak, poursuit-il. L'ONU avait aussi des indications selon lesquelles une attaque allait peut-être être perpétrée dans le secteur de l'hôtel Canal. Malheureusement, les Nations unies n'ont pas réagi».
«Un camion a pu se rendre à quelques mètres du bureau de M. de Mello sans aucun problème. C'est dire à quel point le périmètre n'était pas protégé !», poursuit Claude Bruderlein. «Avec de telles informations, et considérant le manque de protection du périmètre, à notre avis, mais c'est facile à dire après coup, le bâtiment aurait dû tout simplement être évacué». Alors que des films de protection auraient dû être posés sur les fenêtres du bâtiment, l'installation a été retardée, pour cause de lourdeurs bureaucratiques, alors même qu'une agence de l'ONU était prête à les financer. Or, «la fragmentation et la dispersion des vitres à la suite de l'explosion a considérablement contribué au nombre de morts et de blessés», estime le rapport.
La réaction de l'ONU après l'attentat laisse également à désirer. Contrairement à l'avis du coordinateur pour la sécurité, Kofi Annan a refusé de passer en phase 5 de sécurité, ce qui, dans le système onusien, revient à évacuer le pays. Pourtant, tous les critères pour prendre cette décision étaient rassemblés. Plus grave, le 20 septembre, un nouvel attentat à la voiture piégé a visé le siège de l'ONU, faisant plusieurs morts, des policiers irakiens pour la plupart. «Le 22 septembre, la décision unanime a été prise, lors de la réunion de l'équipe de gestion de la sécurité à Bagdad, de recommander au secrétaire général (Kofi Annan) d'évacuer tout le personnel international sous la phase 5. L'équipe dirigeante de l'ONU à New York a endossé cette recommandation. Le secrétaire général a refusé de suivre ces recommandations, principalement pour maintenir une présence institutionnelle de base dans le pays».
«Des mesures de sécurité adéquates n'auraient peut-être pas pu éliminer le risque d'une attaque contre le périmètre de l'hôtel Canal, mais elles auraient certainement minimisé la vulnérabilité des employés et du bâtiment et réduit le nombre de morts causées par l'attaque», conclut le rapport selon lequel les quelques dizaines de personnels qui opèrent toujours en Irak «continuent à être en danger». Les panélistes appellent l'ONU à prendre des mesures urgentes. Kofi Annan a d'ores et déjà promis de mettre en oeuvre les principales recommandations du rapport. Les représentants du personnel de l'ONU demandent de leur côté à ce que les responsables des erreurs commises au plus haut niveau soient clairement désignés. Ils en appellent à l'Assemblée générale de l'ONU pour superviser le processus. D'une manière plus générale, selon Martti Ahtisaari, l'organisation opère aujourd'hui dans un monde de plus en plus hostile, et elle a besoin de revoir de fond en comble ses dispositifs de sécurité.
par Philippe Bolopion
Article publié le 24/10/2003