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Politique française

L’extrême gauche contre la gauche classique

Lors de son congrès, la Ligue communiste révolutionnaire a décidé de faire liste commune avec Lutte ouvrière dans la perspective des élections du printemps 2004. Pour la LCR, il s’agit d’une première étape vers la construction d’un grand parti anticapitaliste.
Jamais un congrès de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) n’avait enregistré une présence aussi massive dans les médias. L’extrême gauche française pèse, il est vrai, d’un poids considérable. Dans le contexte d’une offre politique dispersée et surabondante, où chaque voix compte, avec un score de plus de 10% des voix lors de l’élection présidentielle d’avril 2002 (Ligue communiste révolutionnaire + Lutte ouvrière + Parti des travailleurs), on lui impute notamment une contribution décisive à la défaite de la gauche institutionnelle. A l’heure du bilan, Alain Krivine, l’un des pères-fondateurs de la LCR, est satisfait: ce fut «un de nos meilleurs congrès», a-t-il déclaré à l’issue des travaux. Dans un pays qui s’apprête, en 2004, à entrer en campagne pour les élections régionales et européennes l’extrême gauche française se sent donc pousser des ailes et se surprend à rêver à la création du grand «parti anticapitaliste» capable d’incarner l’alternance en rassemblant tous les déçus de la gauche traditionnelle. D’autant plus que, selon un sondage effectué les 30 et 31 octobre, 22% des Français sont tentés de voter pour l’extrême gauche.

La première pierre à la construction du grand parti anticapitaliste a donc été posée à l’issue des quatre jours du congrès de la LCR lorsque les deux tiers des militants ont entériné un accord électoral avec l’autre principale formation trotskiste du paysage politique français: Lutte ouvrière (LO). Concrètement, cela signifie la présentation de listes communes LCR-LO au printemps prochain et l’engagement de ne donner de consigne de vote en faveur de la gauche classique au second tour qu’en cas de menace de prise de contrôle d’une région par le Front national. Et pour ne pas effrayer l’électeur, la LCR décide, 27 ans après le Parti communiste français, d’abandonner la référence historique à «la dictature du prolétariat», devenue «inintelligible» et «péjorative», explique la direction de la Ligue.

«Grosse opération marketing»

Les partis de gauche traditionnels font grise mine. Fermement campés sur une posture réformiste, ils sont farouchement opposés à toute forme d’alliance électorale avec les partis révolutionnaires. Néanmoins, ces frères-ennemis de la gauche française appartiennent tous deux à la même grande famille socialiste et à ce titre en partagent l’héritage, voire les militants. Car l’un des effets pervers de cette filiation plus ou moins bien assumée est l’infidélité des électeurs qui tantôt soutiendront les partis réformistes, et tantôt les sanctionneront en donnant leurs voix aux révolutionnaires. Actuellement, dans le contexte de contestation radicale de la mondialisation capitaliste, faute d’offrir une alternative capable de re-mobiliser les déçus de la «gauche plurielle» institutionnelle, le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts voient donc leur influence s’affaiblir.

Communistes, socialistes et écologistes font preuve d’une remarquable unanimité pour dénoncer «le coup électoral que tentent les deux partis trotskistes» (Noël Mamère, Verts), «un accord commercial» (Julien Dray, ancien membre de la LCR aujourd’hui porte-parole du PS), «une grosse opération marketing» (Robert Hue, PC). Des déclarations à la mesure de la déception ressentie par ces trois partis qui s’étaient accommodés d’une LCR bon-enfant, plus libertaire et petite bourgeoise que dogmatique et prolétarienne, à la fois aiguillon de la gauche et pépinière d’idées, et avec laquelle on pouvait discuter sans se compromettre. Ce qui est absolument exclu avec le parti marxiste-léniniste révolutionnaire d’Arlette Laguiller, réputé doctrinaire, intolérant et sectaire, et qui renvoie dos à dos droite conservatrice et gauche réformiste.
La droite française, elle, peut attendre beaucoup de cette alliance LCR-LO, et plus généralement de la montée en puissance de l’extrême gauche. De la même manière que, depuis près d’un quart de siècle, les partis conservateurs républicains sont lourdement handicapés par la présence d’une extrême droite qui détourne leur électorat, ils se réjouissent que la gauche soit à son tour affectée par une offre concurrente de nature à la discréditer, en raison de sa nature communiste et révolutionnaire, et à éparpiller ses voix pour, finalement, favoriser sa défaite.
La LCR vient donc d’accomplir le premier pas en approuvant son alliance électorale avec LO. Reste à cette dernière d’en faire autant lors de son congrès qui se tiendra début décembre, à huis clos. Simple formalité.



par Georges  Abou

Article publié le 03/11/2003