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Mauritanie

Présidentielle à suspense

Le premier tour de l’élection présidentielle a lieu vendredi 7 novembre en Mauritanie. Le scrutin est marqué par une forte présence de l’opposition. Contrairement à 1997 où les grands leaders avaient boycotté le scrutin, cette année, trois pointures politiques affronteront le président Maaouya ould Taya qui brigue un troisième mandat dans un climat tendu.
De notre correspondante à Nouakchott

«Après 19 ans, nous voulons le changement». C’est par ces mots que la plupart des candidats à la présidentielle justifient leur candidature. Ils seront cinq cette année à s’opposer au président sortant avec parmi eux trois ténors de la politique mauritanienne. On retrouve ainsi Ahmed ould Daddah, l’opposant historique, candidat malheureux de la présidentielle de 1992 et frère du premier chef de l’Etat mauritanien Moktar ould Daddah, décédé mi-octobre, Mohamed Khouna ould Haïdalla, ancien militaire au pouvoir de 1880 à 1884, écarté par un coup d’Etat mené par l’actuel président, et Messaoud ould Boulkheir, défenseur de la cause des haratines, les descendants d’esclaves, et ex-leader du parti Action pour le changement interdit en 2002. On compte également deux autres candidats: Moulaye Hacen ould Jiyed, leader d’un petit parti, et Aïcha mint Jeddane, ancienne conseillère municipale du parti au pouvoir et première femme à briguer la magistrature suprême. Tous les deux font office de figurants dans ce scrutin.

La forte présence de l’opposition a donné du corps à cette campagne dans un esprit globalement fair play à l’exception de quelques incidents déplorés par certains candidats (jets de pierre sur des véhicules, meeting retardé par les forces de police…). Depuis ce mardi le ton est cependant monté d’un cran. Une vague de perquisitions a été lancée dans l’entourage du candidat ould Haidalla. Sa maison, celle de son directeur de campagne, celle d’un important homme d’affaires qui le soutient ont été fouillées. L’érudit ould Dedew, porte-voix des islamistes qui soutiennent l’ancien militaire a également été brièvement interpellé. Sa maison a elle aussi été perquisitionnée ainsi que plusieurs mosquées. Les autorités ont déclaré avoir lancé cette opération sur la base de renseignements fournis par des proches du candidat. Selon leurs sources, certains groupuscules extrémistes envisageaient de contester avec violence tout résultat du scrutin qui ne leur serait pas favorable. Les fouilles auraient permis aux autorités de récupérer plusieurs armes. Ce mardi un des fils du candidat de l’opposition a également été arrêté.

Chez ould Haidalla on dénonce une tentative de sabordage du processus électoral en cours. Le porte-parole du candidat appelle néanmoins au calme et à la raison. «On ne trouvera jamais chez nous de cache d’armes. On veut ternir notre image mais nous ne répondrons pas à la provocation» a-t-il déclaré.

Un enjeu: la transparence

Pour les observateurs, ces événements ne font que rappeler l’enjeu que représente ce scrutin. Après 19 ans passés au pouvoir et une tentative de coup d’Etat le 8 juin dernier, le président Maaouya ould Taya doit plus que jamais séduire son électorat. Il doit notamment faire face à des dissensions au sein de l’armée, à une gestion contestée des deniers publics et à des critiques persistantes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays pour ses atteintes aux droits de l’homme. Plusieurs opposants et notamment les auteurs présumés de la tentative de putsch du 8 juin qui sont en fuite brandissent la menace d’en découdre à tout prix avec le président. Dans la société civile, on calme le jeu car la violence vécue le 8 juin a beaucoup choqué. L’hebdomadaire indépendant le Calame, va même jusqu’à afficher à sa une depuis quelques semaines «Présidentielles 2003, la paix civile d’abord, la démocratie ensuite».

Officiellement le pouvoir joue d’ailleurs la carte de la stabilité. Maaouya ould Taya se présente comme l’homme qui a fait échouer les événements du 8 juin et celui qui garantit au citoyen sa tranquillité. Dans un contexte régional africain tendu, la Mauritanie affiche depuis 19 ans une certaine stabilité. Personne n’a cependant oublié les événements ethniques qui ont eu lieu entre 89 et 92 et qui ont fait plusieurs centaines de victimes essentiellement dans la communauté négro-mauritanienne, et conduit des dizaines de milliers de personnes à se réfugier dans les pays limitrophes.

Aujourd’hui le premier enjeu du scrutin du 7 novembre est la transparence. «Les candidats d’opposition n’accepteront un scrutin que s’il n’est pas entaché de fraude», disent-ils. Le pouvoir assure que la fraude est désormais impossible avec la nouvelle carte d’identité infalsifiable alors qu’en face on réplique en énumérant déjà des irrégularités dans le processus électoral.

Pour ces élections, aucune délégation officielle d’observateurs étrangers ne sera présente à l’exception d’une petite équipe américaine. La Mauritanie n’en n’a pas fait la demande. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent cette situation. Depuis l’instauration du multipartisme en 1991, le président sortant a toujours été réélu au premier tour.



par Marie-Pierre  Olphand

Article publié le 05/11/2003