Cameroun
Sous l’empire de la peur
Alors que le président Paul Biya célèbre ses 21 ans de pouvoir, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) s’inquiète des risques d’implosion qui menacent le Cameroun. Dans son dernier rapport publié fin octobre, au terme d’une mission d’enquête dépêchée sur place fin août, la FIDH dénonce «l’obsession sécuritaire» d’un régime qui règne sous l’empire de la peur, usant de la torture et des exécutions sans jugement et délégant ses basses œuvres aux tribunaux militaires, mais aussi aux chefs traditionnels, en particulier aux lamibé du Nord, en pays foulbé.
Courtisé par l’administration américaine à la veille de sa guerre contre l’Irak, signataire diligent de la plupart des résolutions internationales concernant les droits de l’homme, riche d’un pétrole prodigue en amitiés affichées, le Cameroun n’en est pas moins régulièrement inscrit en tête de la liste des pays les plus corrompus de la planète par les observateurs de Transparency international, mais aussi dans les carnets noirs des rapporteurs onusiens du comité des droits de l’homme. C’est d’ailleurs en préparation à la réunion de novembre de la commission des droits de l’homme de l’ONU que la FIDH vient de publier son propre rapport, s’appuyant sur ceux de ses prédécesseurs onusiens pour expliquer que «emploi abusif d’armes par la police…exécutions extrajudiciaires…disparitions de personnes» ( comme le notait le comité des droits de l’homme du 4 novembre 1999) ou la «torture qui semble rester une pratique fort répandue… l'internement administratif» abusif et sans fin prévisible (Comité contre la torture du 6 décembre 2000) participent en fait d’un système subordonné à des «impératifs sécuritaires» d’ordre éminemment politique.
La FIDH souligne «la place exorbitante des juridictions militaires» dans une justice camerounaise frappée par ailleurs d’impuissance. Le pouvoir a estimé habile de transférer dans ces juridictions d’exception toutes les affaires réelles ou supposées concernant des infractions «à la législation sur les armes de guerre et assimilées», pour réprimer une délinquance effectivement galopante. En dépouillant les juridictions de droit commun, il a surtout transmis l’essentiel des pouvoirs judiciaires au ministre de la Défense dont les décisions en matière de détention préventive ou de procès ne relèvent donc plus de son collègue de la Justice. En devenant la règle, l’exception augmente l’opacité d’un système judiciaire qui prolonge l’action de corps spéciaux également militaires, le Commandement opérationnel et le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), tous deux affectés à la répression du vol à main armée et des «coupeurs de route».
Extorsion de fonds ou d’aveux sous la torture
La FIDH relève que, «loin de restaurer un climat de paix au sein de la population et de la rassurer», ces corps spéciaux, «contribuent à diffuser un sentiment de terreur et à étouffer toute velléité de contestation du régime». De même, l’organisation dénonce «la totale liberté d’action et d’excès» accordée à certains chefs traditionnels qui, «sous le prétexte fallacieux de la justice traditionnelle pillent et torturent leurs concitoyens», en particulier dans les provinces du Nord camerounais, «fortement marginalisées», selon la FIDH. Légalement, les chefs traditionnels, les lamibé en l’occurrence, ne peuvent appliquer le droit coutumier qu’avec l’accord plein et entier de chacune des parties en litige. Mais de fait, «ils sont dans la plupart des cas des militants du parti au pouvoir, donc au-dessus de la loi» et les autorités administratives et judiciaires se gardent bien de lever le «petit doigt pour les rappeler à l’ordre». Dans la région de Garoua, à Tchéboa «c’est la jungle», rapporte la FIDH en décrivant de multiples exactions du lamido Moussa Aboubakary, expert en tortures et extorsion de fonds.
Non seulement la torture est pratique courante -et bien sûr impunie au Cameroun-, explique la FIDH, mais elle est de surcroît employée comme le moyen privilégié d’arracher des aveux –ou de l’argent– «et d’infliger un châtiment extrajudiciaire immédiat», sans autre forme de procès donc et même assez souvent avec une peine capitale à la clef. En 1999, la Commission des droits de l’homme de l’ONU observait déjà que «ni la jeunesse, ni la vieillesse ne met à l’abri d’un traitement inhumain». Les rapporteurs de la FIDH multiplient les exemples pour démontrer le risque mortel encouru par toute personne appréhendée pour quelque raison que ce soit au Cameroun. Et si les prisons surpeuplées affichent un taux de mortalité effarant, nombre de détenus meurent peu après leur arrivée car c’est principalement dans les commissariats et les gendarmeries que l’on torture. De nombreux cas d’intimidation relevés par la FIDH indiquent qu’il y a ensuite danger à se plaindre. Dans ces conditions, poursuit le rapport «les Camerounais sont à la fois partagés entre un sentiment de peur, la crainte de représailles et un profond découragement, car aucun ne croit à une justice rapide et indépendante».
Dans une étude comparative avec la fin du mobutisme dans l’ex-Zaïre, la FIDH entrevoit un risque «d’implosion à la zaïroise» dans un Cameroun qu’elle décrit comme une chaudière sans soupape. Elle consacre également un chapitre de son rapport à la mise «sous surveillance de la société civile», avec en particulier le Comité national des droits de l’homme (CNDHL), qui «reste désespérément fermé à tout représentant de l’opposition» et la presse camerounaise strictement contenue dans une «liberté de bavardage» ménageant le régime. Tout ceci, conclut la FIDH, «participe de cette chape de plomb qui écrase le Cameroun», avec force menaces physiques, disparitions voire meurtres, à peine voilés par une justice d’exception expéditive qui échappe aux lois effectivement adoptées et revendiquées par le pouvoir pour s’exonérer de l’arbitraire qui lui sert de rempart. Au total, la FIDH considère comme une véritable «option politique» ce totalitarisme sécuritaire adopté par un régime Biya invoquant la criminalité galopante qui accompagne la misère grandissante d’une partie notable de la société camerounaise. Dans ce contexte, rien n’indique que le pouvoir puisse songer à changer de stratégie, à un an des présidentielles d’octobre 2004.
La FIDH souligne «la place exorbitante des juridictions militaires» dans une justice camerounaise frappée par ailleurs d’impuissance. Le pouvoir a estimé habile de transférer dans ces juridictions d’exception toutes les affaires réelles ou supposées concernant des infractions «à la législation sur les armes de guerre et assimilées», pour réprimer une délinquance effectivement galopante. En dépouillant les juridictions de droit commun, il a surtout transmis l’essentiel des pouvoirs judiciaires au ministre de la Défense dont les décisions en matière de détention préventive ou de procès ne relèvent donc plus de son collègue de la Justice. En devenant la règle, l’exception augmente l’opacité d’un système judiciaire qui prolonge l’action de corps spéciaux également militaires, le Commandement opérationnel et le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), tous deux affectés à la répression du vol à main armée et des «coupeurs de route».
Extorsion de fonds ou d’aveux sous la torture
La FIDH relève que, «loin de restaurer un climat de paix au sein de la population et de la rassurer», ces corps spéciaux, «contribuent à diffuser un sentiment de terreur et à étouffer toute velléité de contestation du régime». De même, l’organisation dénonce «la totale liberté d’action et d’excès» accordée à certains chefs traditionnels qui, «sous le prétexte fallacieux de la justice traditionnelle pillent et torturent leurs concitoyens», en particulier dans les provinces du Nord camerounais, «fortement marginalisées», selon la FIDH. Légalement, les chefs traditionnels, les lamibé en l’occurrence, ne peuvent appliquer le droit coutumier qu’avec l’accord plein et entier de chacune des parties en litige. Mais de fait, «ils sont dans la plupart des cas des militants du parti au pouvoir, donc au-dessus de la loi» et les autorités administratives et judiciaires se gardent bien de lever le «petit doigt pour les rappeler à l’ordre». Dans la région de Garoua, à Tchéboa «c’est la jungle», rapporte la FIDH en décrivant de multiples exactions du lamido Moussa Aboubakary, expert en tortures et extorsion de fonds.
Non seulement la torture est pratique courante -et bien sûr impunie au Cameroun-, explique la FIDH, mais elle est de surcroît employée comme le moyen privilégié d’arracher des aveux –ou de l’argent– «et d’infliger un châtiment extrajudiciaire immédiat», sans autre forme de procès donc et même assez souvent avec une peine capitale à la clef. En 1999, la Commission des droits de l’homme de l’ONU observait déjà que «ni la jeunesse, ni la vieillesse ne met à l’abri d’un traitement inhumain». Les rapporteurs de la FIDH multiplient les exemples pour démontrer le risque mortel encouru par toute personne appréhendée pour quelque raison que ce soit au Cameroun. Et si les prisons surpeuplées affichent un taux de mortalité effarant, nombre de détenus meurent peu après leur arrivée car c’est principalement dans les commissariats et les gendarmeries que l’on torture. De nombreux cas d’intimidation relevés par la FIDH indiquent qu’il y a ensuite danger à se plaindre. Dans ces conditions, poursuit le rapport «les Camerounais sont à la fois partagés entre un sentiment de peur, la crainte de représailles et un profond découragement, car aucun ne croit à une justice rapide et indépendante».
Dans une étude comparative avec la fin du mobutisme dans l’ex-Zaïre, la FIDH entrevoit un risque «d’implosion à la zaïroise» dans un Cameroun qu’elle décrit comme une chaudière sans soupape. Elle consacre également un chapitre de son rapport à la mise «sous surveillance de la société civile», avec en particulier le Comité national des droits de l’homme (CNDHL), qui «reste désespérément fermé à tout représentant de l’opposition» et la presse camerounaise strictement contenue dans une «liberté de bavardage» ménageant le régime. Tout ceci, conclut la FIDH, «participe de cette chape de plomb qui écrase le Cameroun», avec force menaces physiques, disparitions voire meurtres, à peine voilés par une justice d’exception expéditive qui échappe aux lois effectivement adoptées et revendiquées par le pouvoir pour s’exonérer de l’arbitraire qui lui sert de rempart. Au total, la FIDH considère comme une véritable «option politique» ce totalitarisme sécuritaire adopté par un régime Biya invoquant la criminalité galopante qui accompagne la misère grandissante d’une partie notable de la société camerounaise. Dans ce contexte, rien n’indique que le pouvoir puisse songer à changer de stratégie, à un an des présidentielles d’octobre 2004.
par Monique Mas
Article publié le 08/11/2003