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Mondialisation

Le social et la presse en conflit

Le Forum social européen (FSE), qui a drainé 50 000 participants dans les divers ateliers et conférences organisés dans la région parisienne et s’est terminé samedi par une grande manifestation qui a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues de la capitale, a engagé le débat sur le rôle de la presse dans le traitement de l’actualité sociale. Le travail des médias a été mis en cause lors d’un séminaire à l’ouverture des travaux du FSE, jeudi matin.
A la tribune, parmi les journalistes et les chercheurs, il y avait au moins unanimité sur un point : le traitement de l’actualité sociale laisse à désirer. Une fois ce constat établi, chacun dans son domaine de compétence, avec sa sensibilité et son expérience, a fourni les fragments d’explications qui nourriront la réflexion du forum et de l’Observatoire national des médias auquel travaille un groupe constitué de professionnels de l’information, de chercheurs et d’usagers. Son rôle sera de porter un regard vigilant sur le travail des entreprises de presse et de dénoncer les dérives déontologiques et/ou commerciales, «de créer un sentiment d’insécurité pour les manipulateurs», déclare Bernard Cassen (le Monde diplomatique et ATTAC). Cet Observatoire national a lui-même vocation à s’intégrer au sein d’un Observatoire international des médias lui aussi en chantier.

La réflexion sur la qualité de la presse est sérieusement engagée depuis une vingtaine d’années, mais la critique n’a pris un tournant résolument plus radical que depuis une dizaine d’années, notamment sous l’influence de l’école de sociologie de Pierre Bourdieu, relayée par une poignée de chercheurs et de journalistes, souvent des collaborateurs du Monde diplomatique dont on connaît bien la contribution au mouvement altermondialiste. De toutes les formes de presse, c’est l’audiovisuelle qui est la principale cible, avec un acharnement particulier sur la télévision, traditionnel enjeu de pouvoir.

Leur constat est sans appel : le phénomène de concentration capitalistique qui affecte le secteur ne permet plus le pluralisme. En Italie, explique le pionnier des agences d’informations alternatives des années 60 Roberto Salvio, deux éditeurs se partagent 92% du marché : Silvio Berlusconi et Rupert Murdoch. «Le 4ème pouvoir n’est pas un contre-pouvoir, mais un vecteur du pouvoir», déclare Bernard Cassen, et il est illusoire d’en attendre un traitement juste et équilibrée des questions sociales, surenchérit en substance Serge Halimi (du Monde diplomatique et co-fondateur du journal satirique PLPL). Ce dernier explique que «l’ordre social est naturel aux médias» et que les entreprises de presse fonctionnent selon des critères qui font davantage appel aux clichés, aux slogans et au spectacle qu’aux mots d’ordre, considérés comme archaïque. Dans ces conditions, il s’interroge brièvement sur la tentation de se servir des médias pour conclure que les mouvements sociaux n’ont jamais rien gagné en devançant les exigences des médias : «l’expérience historique montre que tous ceux qui ont essayé d’instrumentaliser les médias ont échoué. Mieux vaut travailler à construire du politique».

Le syndrome du «tous pourris»

Avec le professeur en sciences politiques Henri Maler, fondateur d’ACRIMED (Action-Critique-Médias) ils estiment que la télévision publique s’est laissée entraînée dans la dérive. «Qui osera dire que le secteur public est service public ? Le Forum social européen sur France 2, c’est silence, silence, silence… et micro-trottoir ! La FSE, c’est un produit médiatique !», s’exclame Henri Maler à la tribune. En conséquence Halimi et Maler revendiquent radicalité et intransigeance et estiment qu’il faut, sinon rompre avec les médias, du moins ne plus accepter les règles du jeu (temps de parole rétréci, mises en scène de l’information) qu’ils imposent à leurs interlocuteurs. Et, pour rester maître du contenu, invitent le mouvement social «à ne pas confondre visibilité médiatique et conditions d’accès aux médias» et à se tourner vers des formes de presse qui offrent des solutions alternatives, dont le forum propose des ateliers de présentation et d’initiation (metallosmedialab).

Prenant la parole à leur tour, les journalistes membres des syndicats présents à la tribune ont replacé le débat dans le cadre de leur exercice quotidien pour rappeler les fortes contraintes professionnelles, technique et rédactionnelle, qui pèsent sur eux et l’environnement social de plus en plus marqué par la précarité dans lequel ils évoluent. Ils ont expliqué comment, depuis le début des années 80, a lentement dépéri la fonction de journaliste spécialisé des questions sociales, le traitement de l’actualité étant renvoyé aux rubriques «Economie», «Informations générales», «Société».

Paule Masson de l’Humanité, s’appuyant sur les derniers épisodes de la vie politique française a déclaré qu’il était «urgent de recentrer la question sociale dans les médias pour lutter contre la montée du populisme», établissant une relation entre «fracture politique» et «insécurité sociale» et craignant qu’aux yeux de l’opinion publique «les journalistes rejoignent le camp des ‘tous pourris’». Pierre Ganz, de RFI, a notamment rappelé qu’il s’agissait d’une matière exigeante et que les journalistes disposaient de «peu de temps pour traiter des sujets qui en demandaient beaucoup». Il a également souligné le problème de la formation des journalistes.

Dotés d’une faible culture sociale, méfiants à l’égard du syndicalisme et formés par des écoles de plus en plus soumises aux entreprises de presse, ils ne sont naturellement pas prédisposés à s’orienter vers l’actualité sociale. Néanmoins, tant Paule Masson que Pierre Ganz ont précisé qu’en dépit de tout, les rédactions ne sont pas monolithiques, qu’elles sont agitées de débats et capables, malgré les contraintes, de produire aussi du bon travail.

ACRIMED

PLPL

Metallosmedialab



par Georges  Abou

Article publié le 16/11/2003