Mondialisation
L’arc en ciel européen
L’Europe a changé de couleur – de faciès diront certains – et de composition culturo-religieuse. En même temps, les circuits économiques se sont mondialisés et les alter mondialistes dénoncent la construction d’une «Europe forteresse». Leurs principaux credo sont anti-libéraliste, anti-guerre, anti-raciste. Ils ambitionnent de lutter contre les extrêmes-droite et les populismes qui paraissent gagner du terrain en Europe. Ils demandent le droit de circulation, de résidence, de logement et d’emploi pour tous les «sans» (droits, papiers, terre d’asile etc.). Ils reconnaissent le droit à la différence culturelle ou cultuelle mais rejettent le communautarisme. Parmi eux, un nombre grandissant d’organisations issues de l’immigration investissent le champ social européen et revendiquent une citoyenneté entière et sans arrières-pensées.
Mondial ou européen, le Forum social est une auberge espagnole qui préconise «l’échange en toute liberté d’expériences». Il repose sur une Charte de principes qui accepte en son sein les «mouvements de la société civile qui s’opposent à la domination du monde par le capital comme à toute forme d’impérialisme et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain», excluant donc racisme, sexisme et autres discriminations. Bien sûr la circulation des idées ne suffit pas, il faut inventer des pratiques. «La Révolution française n’aurait jamais eu lieu sans les Lumières de Voltaire ou de Rousseau», rappelle un délégué du Forum social européen (FSE), en ajoutant : «elle n’aurait pas eu lieu non plus sans la prise de la Bastille». Mais comme l’Europe, la France d’aujourd’hui est plurielle. Et à côté de la raison pure, les alter mondialistes font place aux différentes dimensions spirituelles qui émanent du champ socio-culturel contemporain.
Entre autres possibles «catégories», le FSE brasse athées, agnostiques et croyants, chrétiens, juifs et musulmans, venus jeter un pont entre «théologie de la libération» et «islam de résistance». Et cela dans le cadre de luttes sociales nationales ou régionales visant à contrecarrer «l’ordre global». C’est ainsi qu’un Brésilien juif, athée et marxiste (il tient à l’étiquette pour éviter au public de se tromper de débat), le professeur Michael Lowy, décrit le «rôle capital des militants chrétiens» dans la résistance à la dictature militaire, dans le soutien des luttes sociales au Brésil, et même dans les initiatives qui ont conduit au Forum social de Porto Alegre, le premier du genre. Michael Lowy a retenu de la théologie de libération chrétienne en Amérique latine que dans l’engagement : «il y a seulement la religion des opprimés ou celle des oppresseurs». «Le paradis sur terre est possible», ajoute le Français Miguel Benassayag, rescapé du militantisme latino-américain grâce au sacrifice de deux «bonnes soeurs».
Eviter le communautarisme
Sans dieu lui-même, père de deux filles en âge de désobéir aux ordres qu’il ne donne pas, Miguel Benassayag estime que le rationalisme occidental a manqué de perspicacité, là où l’univers traditionnel indien, par exemple, avait déjà inventé l’écologie quand il évoquait la Terre comme un être vivant, en état de plénitude ou de souffrance. «Il faut accepter la complexité humaine et le besoin spirituel. Il faut parvenir à l’universalité par les singularités», plaide-t-il, «mais, il faut éviter le communautarisme car c’est en fait un individualisme élargi. C’est néolibéral» et la tradition atteint ses limites quand elle commence à contrarier l’émancipation humaine. «La mondialisation c’est la contrainte, la soumission par la force», poursuit le professeur libanais Ali Fayyad, il faut rechercher «la mondialité qui est interaction, échange».
«Le contexte universel humain a besoin de nouvelles fondations», estime le professeur Fayyad, et «c’est une bataille qui ne peut pas être seulement celle des chrétiens ou celle des musulmans, celle des Européens ou des Arabes. Ce doit être une bataille commune pour un monde stable et sûr». Lui-même rejette la thèse de la guerre des civilisations et la logique du Bien et du Mal versus Bush. Il lui oppose celle de la lutte entre le front des opprimés et celui des dominants. Et, à ses yeux, les temps sont mûrs pour une politique de reconnaissance, mais aussi de justice et de sécurité entre les peuples, dans un monde multipolaire qui ne serait pas fondé sur la religion. Mais dans le monde musulman, la religion a joué un rôle central de protection sociale et d’unification des peuples, rappelle-t-il. Elle a été le moteur des luttes de souveraineté nationales.
Aujourd’hui, «les mouvements islamistes sont le produit de l’incapacité des régimes arabes à faire face au sous-développement et aux ingérences américaines», estime Ali Fayyad, convaincu que le processus social islamique est entré dans une phase de lutte de libération qui consiste à promouvoir des programmes de développement en convergence avec les autres acteurs sociaux de la planète. «Les Arabes croient au Forum social», assure-t-il. «En Egypte ou en Tunisie, les dictateurs sont aussi des arabes et des musulmans», rappelle une autre table ronde occupée à démêler l’écheveau des amalgames qui stigmatisent les Européens arabes et musulmans après avoir infligé le même traitement aux non moins européens juifs. «Des millions d’Européens sont musulmans, il faut les prendre en compte», demande le représentant de Présence musulmane, Tariq Ramadan, expliquant qu’il existe «36 islam» selon les régions du monde, mais aussi selon les lectures littéralistes, fondamentalistes, adeptes ou non de la violence, réformistes etc…
Tous acceptent sans peine – il n’en coûte rien – l’objection des femmes qui reprochent leur patriarcat commun aux tenants des trois religions du Livre. Et pour prendre les devant du voile qui obscurcit régulièrement chaque débat de fond, la résistante et historienne Madeleine Rébérioux proclame au nom de la Ligue des droits de l’homme : «Toute expression individuelle peut nous être étrangère. Mais nous la défendrons contre ceux qui veulent chasser de l’école de la République des jeunes filles voilées». Un tonnerre d’applaudissement explose quant la Tunisienne (non voilée) Bahija Ouezini ajoute que «l’affaire du foulard» qui concerne moins de 150 cas illustre en fait «l’instrumentalisation du soi-disant bien des femmes» qui permet à ses artisans de renvoyer les musulmans à l’obscurantisme rétrograde, d’ailleurs privilégié par les colonisateurs et leurs successeurs pour diviser et dominer le monde arabe.
Les Roms de Hongrie ont fait le déplacement dans la ceinture rouge de Paris, en quête d’une place enfin digne dans l’Europe des 25. Une Macédonienne raconte son micro pays mosaïque. «Gaulois, beurs, renois et feuj» répondent en français à des alter ego venu d’autres horizons européens où existent par exemple des associations de «Personnes d’ascendance africaine». Tariq Ramadan prêche pour une autre voie musulmane et, dans la tribune lui répond une autre voix juive, celle du Belge Henri Walhaum du Réseau européen des juifs pour la paix. L’islamophobie existe, il l’a rencontrée au côté de l’antisémitisme. Islamophobie et judéophobie sont tissées de la même peur de l’autre, de théories du complot identiques – celui des banques juives et du pétrole arabe - , raconte Madeleine Rébérioux, mais aussi d’une suspicion permanente concernant la loyauté citoyenne des juifs et des musulmans, ajoute Tariq Ramadan.
De l’affaire Dreyfus à celle du foulard, la contorsion n’est pas si grande finalement. Sur tous pèse l’hypothèque des conflits internationaux, celui entre Israéliens et Palestiniens bien sûr, la guerre en Irak, le terrorisme. Les fauteurs de guerre cherchent à enraciner leurs intérêts dans le terreau désocialisé de jeunesses laissées pour compte et en perte d’identité. «Tout musulman est un terroriste en puissance dans l’esprit de certains de ses compatriotes», un non-dit terrible que le Mouvement immigration banlieue (MIB), les groupes de quartiers confessionnels ou non comme les islamistes réformistes énoncent de concert avec les non musulmans alter mondialistes. La République ne semble pas aimer tous ses enfants d’un amour égal. C’est pourtant la Sainte égalité - conçue par la Révolution française, rappelle Madeleine Rébérioux – que revendiquent les citoyens d’une France qui ne veut pas reconnaître qu’elle est aussi arabe, kabyle, noire ou musulmane que judéo-chrétienne et laïque.
Entre autres possibles «catégories», le FSE brasse athées, agnostiques et croyants, chrétiens, juifs et musulmans, venus jeter un pont entre «théologie de la libération» et «islam de résistance». Et cela dans le cadre de luttes sociales nationales ou régionales visant à contrecarrer «l’ordre global». C’est ainsi qu’un Brésilien juif, athée et marxiste (il tient à l’étiquette pour éviter au public de se tromper de débat), le professeur Michael Lowy, décrit le «rôle capital des militants chrétiens» dans la résistance à la dictature militaire, dans le soutien des luttes sociales au Brésil, et même dans les initiatives qui ont conduit au Forum social de Porto Alegre, le premier du genre. Michael Lowy a retenu de la théologie de libération chrétienne en Amérique latine que dans l’engagement : «il y a seulement la religion des opprimés ou celle des oppresseurs». «Le paradis sur terre est possible», ajoute le Français Miguel Benassayag, rescapé du militantisme latino-américain grâce au sacrifice de deux «bonnes soeurs».
Eviter le communautarisme
Sans dieu lui-même, père de deux filles en âge de désobéir aux ordres qu’il ne donne pas, Miguel Benassayag estime que le rationalisme occidental a manqué de perspicacité, là où l’univers traditionnel indien, par exemple, avait déjà inventé l’écologie quand il évoquait la Terre comme un être vivant, en état de plénitude ou de souffrance. «Il faut accepter la complexité humaine et le besoin spirituel. Il faut parvenir à l’universalité par les singularités», plaide-t-il, «mais, il faut éviter le communautarisme car c’est en fait un individualisme élargi. C’est néolibéral» et la tradition atteint ses limites quand elle commence à contrarier l’émancipation humaine. «La mondialisation c’est la contrainte, la soumission par la force», poursuit le professeur libanais Ali Fayyad, il faut rechercher «la mondialité qui est interaction, échange».
«Le contexte universel humain a besoin de nouvelles fondations», estime le professeur Fayyad, et «c’est une bataille qui ne peut pas être seulement celle des chrétiens ou celle des musulmans, celle des Européens ou des Arabes. Ce doit être une bataille commune pour un monde stable et sûr». Lui-même rejette la thèse de la guerre des civilisations et la logique du Bien et du Mal versus Bush. Il lui oppose celle de la lutte entre le front des opprimés et celui des dominants. Et, à ses yeux, les temps sont mûrs pour une politique de reconnaissance, mais aussi de justice et de sécurité entre les peuples, dans un monde multipolaire qui ne serait pas fondé sur la religion. Mais dans le monde musulman, la religion a joué un rôle central de protection sociale et d’unification des peuples, rappelle-t-il. Elle a été le moteur des luttes de souveraineté nationales.
Aujourd’hui, «les mouvements islamistes sont le produit de l’incapacité des régimes arabes à faire face au sous-développement et aux ingérences américaines», estime Ali Fayyad, convaincu que le processus social islamique est entré dans une phase de lutte de libération qui consiste à promouvoir des programmes de développement en convergence avec les autres acteurs sociaux de la planète. «Les Arabes croient au Forum social», assure-t-il. «En Egypte ou en Tunisie, les dictateurs sont aussi des arabes et des musulmans», rappelle une autre table ronde occupée à démêler l’écheveau des amalgames qui stigmatisent les Européens arabes et musulmans après avoir infligé le même traitement aux non moins européens juifs. «Des millions d’Européens sont musulmans, il faut les prendre en compte», demande le représentant de Présence musulmane, Tariq Ramadan, expliquant qu’il existe «36 islam» selon les régions du monde, mais aussi selon les lectures littéralistes, fondamentalistes, adeptes ou non de la violence, réformistes etc…
Tous acceptent sans peine – il n’en coûte rien – l’objection des femmes qui reprochent leur patriarcat commun aux tenants des trois religions du Livre. Et pour prendre les devant du voile qui obscurcit régulièrement chaque débat de fond, la résistante et historienne Madeleine Rébérioux proclame au nom de la Ligue des droits de l’homme : «Toute expression individuelle peut nous être étrangère. Mais nous la défendrons contre ceux qui veulent chasser de l’école de la République des jeunes filles voilées». Un tonnerre d’applaudissement explose quant la Tunisienne (non voilée) Bahija Ouezini ajoute que «l’affaire du foulard» qui concerne moins de 150 cas illustre en fait «l’instrumentalisation du soi-disant bien des femmes» qui permet à ses artisans de renvoyer les musulmans à l’obscurantisme rétrograde, d’ailleurs privilégié par les colonisateurs et leurs successeurs pour diviser et dominer le monde arabe.
Les Roms de Hongrie ont fait le déplacement dans la ceinture rouge de Paris, en quête d’une place enfin digne dans l’Europe des 25. Une Macédonienne raconte son micro pays mosaïque. «Gaulois, beurs, renois et feuj» répondent en français à des alter ego venu d’autres horizons européens où existent par exemple des associations de «Personnes d’ascendance africaine». Tariq Ramadan prêche pour une autre voie musulmane et, dans la tribune lui répond une autre voix juive, celle du Belge Henri Walhaum du Réseau européen des juifs pour la paix. L’islamophobie existe, il l’a rencontrée au côté de l’antisémitisme. Islamophobie et judéophobie sont tissées de la même peur de l’autre, de théories du complot identiques – celui des banques juives et du pétrole arabe - , raconte Madeleine Rébérioux, mais aussi d’une suspicion permanente concernant la loyauté citoyenne des juifs et des musulmans, ajoute Tariq Ramadan.
De l’affaire Dreyfus à celle du foulard, la contorsion n’est pas si grande finalement. Sur tous pèse l’hypothèque des conflits internationaux, celui entre Israéliens et Palestiniens bien sûr, la guerre en Irak, le terrorisme. Les fauteurs de guerre cherchent à enraciner leurs intérêts dans le terreau désocialisé de jeunesses laissées pour compte et en perte d’identité. «Tout musulman est un terroriste en puissance dans l’esprit de certains de ses compatriotes», un non-dit terrible que le Mouvement immigration banlieue (MIB), les groupes de quartiers confessionnels ou non comme les islamistes réformistes énoncent de concert avec les non musulmans alter mondialistes. La République ne semble pas aimer tous ses enfants d’un amour égal. C’est pourtant la Sainte égalité - conçue par la Révolution française, rappelle Madeleine Rébérioux – que revendiquent les citoyens d’une France qui ne veut pas reconnaître qu’elle est aussi arabe, kabyle, noire ou musulmane que judéo-chrétienne et laïque.
par Monique Mas
Article publié le 16/11/2003