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Grande-Bretagne

La presse censurée pour l’honneur des Windsor

Soucieux d’éviter les foudres de la justice britannique, les distributeurs d’une vingtaine de journaux européens qui avaient rendu compte des accusations à caractère sexuel portées à l’encontre du prince Charles, ont choisi de ne pas les mettre en vente dans les kiosques de Grande-Bretagne. Cette auto-censure préventive, qui intervient à l’heure où toutes les informations sont disponibles sur Internet, révèle tout l’anachronisme d’une décision qui a permis une nouvelle fois aux journaux britanniques de faire des gorges chaudes sur une affaire pour laquelle ils ont reçu l’ordre de ne révéler aucun détail et pour laquelle ils s’empressent pourtant de noircir des colonnes.
La rumeur hante les salles de rédaction londoniennes depuis des mois et aurait sans doute pu continuer à le faire sans le soudain empressement du prince Charles à la démentir. L’affaire débute il y a une dizaine de jours lorsqu’un hebdomadaire populaire, le Mail on Sunday, annonce à grand renfort de publicité qu’il s’apprête à publier un scoop «explosif» mettant en cause l’ancien majordome du prince Charles, Michael Fawcett. Les révélations émanent d’un autre serviteur, George Smith, ancien valet des Windsor pendant onze ans, qui s’apprêtait également à dévoiler avoir surpris «un membre de la famille royale» dans une situation compromettante avec le même Michael Fawcett. Ce dernier obtient in extremis une décision de justice, en vertu de la loi très stricte sur la diffamation, qui empêche la publication de l’article incriminé et interdit à tous les médias –presse écrite et radio-télévision– d’Angleterre et du Pays de Galles de donner des détails concernant les accusations de George Smith. L’Ecosse, province semi-autonome, n’est paradoxalement pas touchée par cette interdiction.

L’affaire aurait pu en rester là, l’auteur des révélations ayant une réputation d’alcoolique et d’affabulateur. Certains n’hésitant pas à évoquer sa santé mentale fragile. Mais un coup de théâtre est venu relancer l’histoire. En visite officielle en Inde et dans le Golfe, le prince de Galles a en effet décidé d’intervenir dans l’affaire, un fait sans précédent dans la famille royale britannique pour qui le «never complain, and never explain» –Ne jamais se plaindre, et ne jamais expliquer– est une règle d’or. Dans un communiqué publié à Londres, le secrétaire particulier du prince Charles, a ainsi affirmé qu’il était «complètement faux» qu’un ancien domestique ait «assisté à un incident impliquant un membre important de la famille royale il y a quelques années». «Quiconque connaît le prince de Galles comprendra que cette allégation est totalement ridicule et même risible», a en outre ajouté Sir Michael Peat qui s’est empressé de rappeler que George Smith avait souffert de «problèmes de santé et d’alcoolisme après avoir servi» aux Malouines. Alors qu’à aucun moment le nom de l’héritier de la couronne britannique n’avait été évoqué, le communiqué de son secrétariat l’a placé sous les feux de la rampe.

A ce jour toujours frappée par la censure de la justice de Sa Majesté, l’affaire n’en continue pas moins de passionner les Britanniques. Contournant l’interdit, les médias rivalisent d’euphémismes et de sous-entendus pour rendre compte d’un sujet qui remet sans conteste au goût du jour le débat récurrent sur l’avenir de la monarchie. Dans ce contexte, la censure qui frappe depuis plus jours certaines publications étrangères constitue une occasion renouvelée de reparler du «scandale», certains journaux n’hésitant pas aiguiller leurs lecteurs vers les sites Internet des journaux censurés.

Le débat sur la monarchie ravivé

En éclaboussant le prince de Galles, cette nouvelle affaire a, en quelques jours, sérieusement mis en péril ses chances, déjà compromises par son divorce avec la princesse Diana, de succéder à sa mère sur le trône d’Angleterre. Après la mort de son ex-épouse, le prince Charles, à grand renfort d’opérations de communication, avait certes réussi à se forger une image de père zélé et les Britanniques lui avaient peu à peu renouvelé leur confiance. Mais cette confiance risque d’avoir beaucoup de mal à résister à ces dernières rumeurs. D’autant plus qu’un récent sondage a révélé que de plus en plus de sujets de Sa Majesté considéraient le prince William, deuxième dans l’ordre de succession au trône derrière son père le prince Charles, ferait un meilleur roi que celui-ci.

Mais au-delà de ce débat sur le nom du successeur de la reine d’Angleterre, c’est l’avenir même de la monarchie qui est aujourd’hui posé. «Il va certainement sans dire que la famille royale connaît de graves ennuis. Chaque épreuve la laisse de plus en plus faible», écrit l’éditorialiste du journal par qui le scandale est arrivé. Selon lui, «la politique d’absence de changement de la monarchie est par conséquent une politique de mort certaine. Elle doit s’adapter ou mourir», a-t-il ajouté. Après une année d’enquête indépendante, la Fabian Society –un organisme de réflexion de centre-gauche affilié au part travailliste– a publié un rapport détaillé sur les réformes de grande ampleur auxquelles devrait se soumettre la couronne britannique. Il y est notamment question de la suppression des pouvoirs politiques de la reine, de la réduction du nombre de personnes subventionnées par la famille royale ou encore de l’accès public aux bâtiments et patrimoines artistiques royaux.

Bien que minoritaires et plutôt discrets –ils représenteraient 20% tout au plus de la population–, les adeptes d’un système républicain ont profité de ce nouveau scandale qui frappe la monarchie pour donner de la voix. «Je pense que le moment est venu pour la monarchie de mourir. Il serait cruel d’imposer le mode de vie de la royauté à une autre génération», a ainsi déclaré Paul Flyn. Ce député travailliste sait toutefois qu’il a très peu de chance d’être entendu dans un pays où l’institution monarchique est soutenue par 75 à 80% de la population. «Même si certains membres de la famille royale sont problématiques, les Britanniques les préfèrent à un vieil homme politique qui serait nommé président», résume un analyste de la Fabian Society.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 12/11/2003