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Kurdistan irakien

Kirkouk: le retour des Kurdes

Le drapeau kurde flotte sur Kirkouk. Du moins il flotte sur la masure occupée par une famille de réfugiés kurdes dans l’ancienne base militaire Khaled. Mais il n’y a pas là de quoi pavoiser. Ces familles vivent dans le plus grand dénuement, sans bénéficier d’aucune assistance, et leur futur est bien incertain.
De notre envoyé spécial

Victimes de la campagne d’arabisation systématique de la population du centre pétrolier du nord de l’Irak poursuivie par le régime baasiste depuis plusieurs décennies, ces familles avaient été chassées de leurs maisons et de leurs terres, et étaient allées vivre dans des camps de réfugiés autour d’Erbil et Souleimania, en zone libre depuis 1991. Les statistiques sont hasardeuses, mais on estime qu’environ 300 000 Kurdes ont été chassés de la région de Kirkouk, et 200 000 à 250 000 Arabes, souvent des chiites, y ont été implantés.

La libération de la ville en avril dernier par les forces spéciales américaines et les pechmergas kurdes a donné le signal du retour. Ils sont des milliers à être revenus dans le plus grand désordre. Plusieurs centaines de familles campent dans des abris de fortune construits à la va vite sous les gradins du stade de la capitale pétrolière de l’Irak. D’autres sont installés tant bien que mal dans des tentes aux portes du stade. Plusieurs dizaines de familles squattent plusieurs maisons du camp «Arafa» de la «North Oil Company», la compagnie pétrolière qui exploite le pétrole de Kirkouk. Et deux mille familles vivent dans les ruines de l’ancien camp militaire Khaled, où était basée, jusqu’à l’effondrement du régime baasiste, une division de l’armée irakienne.

Plusieurs familles se sont partagées les pièces de l’impressionnant palais dallé de marbre et orné d’un porche monumental qui abritait les bureaux du général commandant la division. D’autres squattent les beaucoup plus modestes casernements de la troupe qui s’étalent sur des kilomètres le long des rues qui sillonnent l’immense base militaire. On peut encore lire sur les murs de ces édifices en ruines des inscriptions du genre: «Saddam Hussein est un grand leader pour un grand peuple» ou «Saddam Hussein conduit le peuple vers les sommets». Mais il ne reste plus rien de ces grandeurs et de ces sommets. Les Kurdes qui squattent ces ruines s’éclairent en branchant des lignes pirates sur le réseau électrique de la ville. Et ils restent parfois plusieurs jours sans eau.

Le HCR ne veut pas le savoir

«Est-ce que nous méritons de vivre dans de telles conditions», demande Idris Jowhar, 36 ans, responsable d’un «quartier» du camp Khaled regroupant 229 familles. «La plupart des familles qui vivent ici sont venues parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer un loyer. Pourquoi sont elles venues ? Parce que nous croyions que les Américains allaient nous aider. Ils avaient promis de nous construire des maisons. Nous avions aussi entendu dire que de nombreuses ONG allaient nous aider parce que nous avons beaucoup souffert. Mais nous n’avons rien vu: au contraire, nous n’avons rien, ni écoles, ni électricité. Nous avons été complètement abandonnés»... Et pourtant, tous les jours, de nouveaux arrivants viennent gonfler les rangs des réfugiés de Kirkouk, ces «IDP» (personnes déplacées à l’intérieur) qui sont devenues des «returnees» (littéralement, des revenants). Assib Rozbayani, l’adjoint du nouveau gouverneur de Kirkouk responsable de la réinstallation des réfugiés de retour à Kirkouk, estime que quelque 400 IDP sont revenus à Kirkouk enune semaine à la mi-octobre. «Personne ne peut les arrêter, ni Maésssoud Barzani, ni Jalal Talabani», affirme Assib Rozbayani. «Ces gens ne peuvent pas attendre de revenir dans leurs maisons, quand ils en ont. Et tous ceux qui ont des terres veulent revenir maintenant, car c’est l’époque des labours et des semailles. La pression est irrésistible. Les Américains disent que ces gens peuvent attendre jusqu’à ce que le problème soit résolu légalement, mais ce n’est pas vrai, ces gens ne peuvent pas attendre».

Deux logiques s’affrontent, celle des Kurdes, qui veulent revenir chez eux, et celle des Américains, qui cherchent à temporiser, tant les enjeux à Kirkouk sont explosifs. On se demande si les autorités kurdes n’encouragent pas, en sous-main, les familles kurdes à revenir à Kirkouk. «Nous disons aux Arabes qui sont venus dans le cadre de la campagne d’arabisation qu’ils doivent repartir», explique Kemal Kirkouki, représentant du PDK à Kirkouk. «Avec respect, et avec l’aide financière du Conseil intérimaire de gouvernement, mais ils doivent partir. Nous leur disons que s’ils essaient de rester, la situation va devenir dangereuse pour eux. Ils sont responsables de ces charniers que l’on découvre tous les jours. Les familles des victimes de la campagne de l’Anfal (1988) qui reviennent risquent de se venger et de les tuer».

«Nous ne pouvons pas discuter l’avenir de Kirkouk sans avoir annulé les effets de la campagne d’arabisation», dit de son côté Adnan Mufti, représentant de l’UPK à Erbil. «La campagne d’arabisation doit être annulée.»

«Le problème de l’arabisation est une bombe à retardement», conclut Nechirvan Barzani, Premier ministre du gouvernement kurde (PDK) d’Erbil, «c’est un problème d’une importance stratégique pour nous, et les Américains n’ont pas de politique claire à ce sujet»...

Les Nations unies non plus: pendant notre visite à Assib Rozbayani, l’adjoint du gouverneur de Kirkouk chargé d’aider les Kurdes de retour, celui-ci a reçu un message du bureau du HCR replié à Amman, en Jordanie, annonçant que le HCR avait décidé de suspendre toute aide aux familles kurdes de retour à Kirkouk, «pour ne pas encourager d’autres familles à revenir». Que vont devenir avec l’hiver qui s’annonce ces milliers de personnes qui campent dans des conditions lamentables ? Le HCR ne veut pas le savoir...



par Chris  Kutschera

Article publié le 13/11/2003