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Santé

L’hôpital français proche de la rupture

A en croire les professionnels de la santé, le modèle français a du plomb dans l’aile. Il n’y a pas assez de médecins et, plus généralement, de personnel de santé dans le secteur hospitalier. Le système fonctionne désormais comme dans l’industrie, à flux tendu, et la mécanique n’est pas à l’abri d’aléas qui peuvent rapidement dégénérés en catastrophes sanitaires, comme on l’a vu cet été avec la canicule.
Cent quatre-vingts six chefs de services de Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) avaient envoyé une lettre à la mi-octobre au ministre de la Santé pour lui témoigner leur inquiétude. Jeudi 13 novembre, plusieurs d’entre eux ont à nouveau tiré la sonnette d’alarme pour dénoncer le manque de moyens humains, notamment en région parisienne. «Les hôpitaux aujourd’hui sont au bord de la rupture. Si on ne fait rien maintenant, l’hôpital va casser et l’on aura détruit une grande partie de la qualité du système de santé en France», a notamment déclaré le professeur André Grimaldi.

Selon lui, le nombre des internes, c’est à dire du personnel ayant reçu une formation médicale de sept ans, a été diminué de 50% au cours de ces dernières années et la relève des générations de médecins hospitaliers n’est actuellement pas assurée. Les chefs de services réclament un assouplissement du numerus clausus, qui réduit l’entrée aux études médicales, pour porter le nombre annuel des générations de futurs médecins à 7 000, au lieu de 5 300 aujourd’hui et 5 600 en 2004. Ils demandent aussi l’allongement de 4 à 5 ans de la durée de l’internat de médecine, de façon à accroître immédiatement le nombre de praticiens opérationnels dans les établissements.

Les chefs de services rappellent d’autre part que de nombreux hôpitaux ne seraient pas en mesure de fonctionner sans la collaboration de médecins étrangers, dont les conditions d’accueil et de salaire (un tiers de moins que leurs collègues français) ne sont pas satisfaisantes. Les conditions «sont telles que bien souvent nous recrutons des médecins qui ont une qualification éventuellement moins bonne et qui servent quelque part de sous-main-d’œuvre. C’est inacceptable», précise le docteur Grimaldi.

Huit mille médecins ayant obtenu leur diplôme hors de France (dont 2000 praticiens adjoints contractuels, non titulaires d'un diplôme équivalent français) travaillent actuellement dans les hôpitaux publics où ils représentent environ le tiers du personnel médical en activité. Ces médecins à diplôme étranger assurent jusqu’à 70% des gardes de nuit, 30% en réanimation, 40% en néonatologie et 50% dans les services d’urgence (SAMU compris). De longue date, ces médecins contribuent à pallier l’insuffisance numérique en médecins hospitaliers français. Parmi eux, plus de 5 000 ont obtenu leur diplômes hors de l’Union européenne. C’est précisément ceux-là que l’on retrouve dans les déserts médicaux, ces départements et régions les plus faiblement dotés, qui ne disposent pas de Centre hospitalo-universitaire par exemple, et dans les établissements des banlieues les plus populaires. Bien que ni leurs conditions de recrutement, ni leur statut, ni leur salaire ne soit satisfaisant, ils demeurent indispensables à la bonne marche du système. Tout patient ayant eu à faire appel au service d’urgence de son hôpital de secteur en pleine nuit ou un week-end peut en témoigner.

pour une situation urgente

La question du sous-effectif dans les centres de soins français est ancienne. Les infirmières avaient longuement dénoncé la dégradation de leurs conditions de travail voici quelques années sans obtenir satisfaction. La mise en place de la loi sur les 35 heures dans les hôpitaux avaient également butté sur les contraintes de personnel dans ce secteur et depuis deux ans, la France fait appel à des renforts infirmiers en provenance de l’étranger, d’Espagne en particulier. Les autorités sont donc parfaitement informées de la situation et, outre l’ouverture des facultés de médecine à quelques centaines de candidats supplémentaires, le ministre de la Santé a annoncé le mois dernier un certain nombre de mesure visant à desserrer le goulot d’étranglement, à terme.

Jean-François Mattei veut engager une nouvelle politique d’organisation de l’offre de soins sur la base d’une «meilleure connaissance de l’implantation géographique de l’activité des professionnels» et de mesures incitatives pour réparer les injustice de la carte médicale française. En septembre, un Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire a ainsi prévu «une exonération de la taxe professionnelle pour les professionnels de la santé qui s’installent dans les zones de revitalisation rurales (…), ainsi qu’une aide financière de l’Etat à l’installation et au regroupement des médecins en zone sous-médicalisée». Il est également question d’un transfert des tâches jusqu’alors strictement médical vers d’autres professions et de la création, dans ce cadre, d’un master d’infirmière clinicienne.

Reste que toutes ces mesures n’aboutiront pas à des résultats concrets avant plusieurs années et que les problèmes à résoudre sont immédiats. Le 13 novembre, lors d’une conférence de presse, le président de l’association des médecins urgentistes hospitaliers de France appelait à renforcer les effectifs du secteur hospitalier. «Si nous sommes confrontés à une forte épidémie de grippe ou à toute autre catastrophe cet hiver on se retrouvera à nouveau dans une situation de pénurie, donc de crise», déclarait Patrick Pelloux. Il estimait que «si les promesses ne sont pas tenues, si on ne développe pas une véritable politique de l’emploi, une politique attractive de la profession, si l’on ne donne pas (aux hôpitaux) des moyens significatifs, on ira vers un conflit social très dur».



par Georges  Abou

Article publié le 14/11/2003