Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liberia

Le mal des frontières

Le 1er novembre, le chef de la transition, le président Gyude Bryant, a annoncé qu’il dirigerait lui-même la Commission de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) où seront représentées les deux ex-rébellions, Mouvement pour la démocratie au Libéria (Model) et Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd), les ministères libériens de la Défense, de la Justice et des Finances, mais aussi les partisans du président déchu Charles Taylor ainsi que la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), les Nations unies, l’Union africaine et le groupe de contact international sur le Libéria. Cette commission devrait commencer à siéger à la mi-novembre. Le début de ses opérations de DDR est annoncé pour le 1er décembre. Ce DDR crucial pour la survie du Libéria s’annonce tout particulièrement épineux aux frontières et dans les zones reculées où les humanitaires n’ont toujours pas accès.
Gyude Bryant veut s’assurer le concours international le plus large possible et il a demandé à l’ambassadeur des Etats-Unis et au délégué de l’Union européenne de siéger comme observateurs dans la commission chargée du DDR. Investi de la magistrature suprême le 14 octobre dernier, il a consacré sa première visite diplomatique à la Guinée voisine, le 31 octobre, pour tenter de dénouer entre les deux pays les «relations tendues», et même belliqueuses, jusqu’au départ de Charles Taylor qui soutenait une opposition armée au président Lansana Conté, ce dernier appuyant le Lurd, en représailles. Au passage, Gyude Bryant a remercié Conakry pour sa «généreuse hospitalité réservée à ses compatriotes réfugiés depuis quatorze ans». Dans un communiqué commun, les deux chefs d’Etat se proposent de relancer l’organisation sous-régionale qui associait une décennie plus tôt la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, l’Union du fleuve Mano dont ils sont riverains. Reste qu’à l’heure du DDR, le Libéria a mal à ses frontières.

«Nous avons besoin de vos gendarmes»

Avec ses métastases en Guinée, Côte d’Ivoire ou Sierra Leone, le conflit libérien a été parfaitement transfrontalier, impliquant multiples factions, voire pouvoirs, de manière interactive. Le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan n’a jamais manqué de le rappeler. Son représentant spécial au Libéria, l’Américain Jacques Klein aussi. Les échéances du DDR approchant, «nous avons besoin de troupes francophones», pour empêcher la dispersion des armes et des hommes de l’autre côté de la frontière libérienne, en Guinée ou en Côte d’Ivoire, comme pour prévenir tout mouvement inverse, explique Jacques Klein, ajoutant «j’ai dit aux autorités françaises : nous avons besoin de vos gendarmes pour les questions transfrontalières». Les premiers retours de réfugiés ont commencé, en provenance des pays francophones voisins. En outre, malgré l’installation de la transition qui rassemble des représentants des anciennes factions, des attaques de villages ont été signalées début novembre, dans le comté de Nimba, près de la localité de Saclepea, à la frontière de la Côte d’Ivoire.

Les villages de Graie et de Gbanquoi auraient été passés par le feu et nombre de leurs habitants tués par des assaillants non identifiés. Un responsable du Model, désormais député dans le parlement de transition, a démenti toute implication de son mouvement dont les positions sont à portée de fusil de cette zone. Officiellement issu d’une scission du Lurd vers mars-avril 2003, le Model est sorti tout armé du giron ivoirien ravagé par les hommes de main de Taylor. Les deux anciennes rébellions sont aujourd’hui associées à la transition. C’est du moins le cas de leurs chefs. Pour sa part, le Model a été officiellement le premier groupe armé à se conformer aux exigences de l’accord de paix du 18 août qui «oblige les belligérants à relâcher tous les prisonniers de guerre et les détenus politiques». Le 3 novembre, le Comité international de la Croix rouge (CICR) faisait état de 28 prisonniers de guerre relâchés la semaine dernière par le Model à Zwedru, la métropole du comté de Grand Geddeh, dans le sud-est libérien.

De son côté, le chef du Lurd, Sekou Conneh, vient tout juste de refermer les hostilités ouverte fin octobre avec Giude Bryant, à propos de nominations dans les nouvelles instances. Son préposé à la présidence de l’Assemblée nationale, George Dweh, expliquait la semaine dernière que le «Lurd et Sekou Conneh, en tant que personne, n’ont pas l’intention de se retirer du processus de paix». «Le chef du Lurd», ajoute-t-il, «a fait part de ses reproches et nous faisons tout pour nous assurer qu’il en soit tenu compte». En l’occurrence, le Lurd avait bloqué l’accès au pont sur la rivière Po, fermant la route vers le nord-ouest du pays qu’il contrôle. La voie rouverte, les humanitaires vont pouvoir reprendre leurs convois de vivres et de médicaments.

«Les Nations unies sont libres de circuler dans toutes les régions que je contrôle», même à Gbarnga, son fief historique du Centre, assure Conneh, bon prince. Mais le Libéria reste gangrené par d’immenses zones grises où le désarmement des sans - grades – outre celui des 15 000 enfants soldats – sera bien plus difficile à négocier que celui des seigneurs de guerre, en quête de costumes trois pièces. Selon les humanitaires, à l’intérieur du pays, des dizaines de milliers de Libériens restent coincés derrière les positions des différentes factions, dans des conditions de survie des plus précaires. A Monrovia, en revanche, «les civils deviennent très courageux. Personne ne peut désormais terroriser les habitants, simplement parce qu’il est armé», assure un banlieusard de Barnersville où des voleurs à main armée ont été lynchés à mort le 1er novembre, après qu’ils aient tué un commerçant mandingue de la place. A contrario, on peut imaginer qu’un banditisme plus ordinaire et moins contrôlé succède à la guerre des clans, si le désarmement n’est pas rapide et peu ou prou définitif.

«Quand j’ai prêté serment le 14 octobre, j’ai trouvé les caisses du gouvernement complètement vides», déplore Gyude Bryant, qui vient de baisser les prix du riz et du carburant, tout en promettant de payer les fonctionnaires civils et militaires, en retard de douze à quinze mois de salaires. Il sonne en même temps le glas de la corruption et annonce des dégraissages dans le secteur public qui «doit être réduit pour devenir plus efficace». Ce n’est sûrement pas une bonne nouvelle pour les familles élargies qui vivaient de ces subsides à éclipses. Et, si l’Onu espère contrôler l’ensemble du territoire libérien avec ses 15 000 casques bleus (contre 4 500 actuellement) attendus d’ici le premier trimestre 2004, il faudra d’énormes moyens financiers pour que les anciens combattants ou les coupeurs de route acceptent d’échanger leurs armes nourricières contre des promesses de réinsertion sociale. A moins qu’ils ne soient las du son des canons, comme cela s’est produit au Mozambique, au début des années quatre-vingt-dix, où, après deux décennies de guerre, les soldats se rêvaient laboureurs, la nouvelle armée nationale ne parvenant pas à faire le plein, faute de volontaires.



par Monique  Mas

Article publié le 04/11/2003