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Proche-Orient

Le malaise israélien face à l’occupation

L’enlisement du conflit israélo-palestinien et l’absence d’espoir qu’il suscite poussent de plus en plus d’Israéliens à ouvertement dénoncer la politique menée par Ariel Sharon. Si ces critiques semblent naturelles venant de la part d’intellectuels de gauche ou de pacifistes, elles surprennent en revanche lorsqu’elles émanent de responsables de la sécurité ou de l’armée. Ainsi quatre anciens chefs du Shin Beth, le service israélien de sécurité intérieure, ont lancé vendredi un cri d’alarme sans précédent, estimant notamment que le pays courait à la catastrophe si l’occupation des territoires palestiniens se poursuivait.
Le coup de gueule lancé par les quatre anciens patrons du Shin Beth n’aura sans doute pas de répercussions politiques en Israël et sera vraisemblablement sans menace pour le gouvernement d’Ariel Sharon. Il n’en demeure pas moins que le fait qu’il émane de quatre personnalités ayant oeuvré de nombreuses années durant pour la sécurité intérieure du pays, lui donne un poids particulier. Dans une interview au journal à grand tirage Yediot Aharonot, les quatre hommes ont ainsi accusé les différents gouvernements qui se sont succédé en Israël –à l’exception du cabinet d’Yitzhak Rabin– d’avoir une lourde responsabilité dans l’impasse du processus de paix. «Nous courrons au désastre si nous ne renonçons pas au Grand Israël, si nous ne reconnaissons pas une fois pour toutes qu’il y a un autre peuple qui souffre et envers lequel nous avons un comportement honteux», a ainsi déclaré Avraham Shalom, qui a dirigé le Shin Beth de 1980 à 1986. Et d’insister : «Nous humilions les Palestiniens et ils ne le tolèrent pas, tout comme nous, nous ne pourrions le tolérer si nous étions à leur place. Et nous sommes incapables de faire le plus petit geste pour changer cette situation».

Yaakov Peri, qui a dirigé la sécurité intérieure israélienne de 1988 à 1995, a pour sa part pointé les conséquences désastreuses de la politique d’Ariel Sharon sur la vie du pays. «Nous nous enfonçons chaque jour davantage, a-t-il déploré, dans un bourbier sanglant, payant un prix de plus en plus lourd économiquement et internationalement». Il a également reproché au cabinet d’Ariel Sharon d’avoir rejeté sans même l’examiner l’Initiative de Genève, ce plan de paix non officiel qui prévoit un calendrier très précis de règlement du conflit avec d’importantes concessions de part et d’autre.

Les quatre hommes ont surtout appelé d’une même voix à un démantèlement immédiat des colonies israéliennes, seule initiative selon eux à pouvoir relancer un dialogue avec les Palestiniens. Ils reconnaissent également que le gouvernement d’Ariel Sharon, s’il venait à s’engager dans une telle voie, ne pourrait pas faire l’économie d’une épreuve de force avec les colons. Ami Ayalon, le patron du Shin Beth de 1996 à 2000, a toutefois relativisé cet affrontement, estimant notamment que seuls 10 à 15% des 230 000 colons vivant dans les territoires occupés risquaient de s’opposer à un démantèlement des colonies de peuplement. Leur résistance, a-t-il en outre ajouté, ne poserait pas réellement de problèmes si «le gouvernement était vraiment décidé à les faire plier».

Quand le sécuritaire s’oppose au politique

Ce nouveau pavé jeté dans la mare politique israélienne traduit un malaise de plus en plus croissant au sein de la société israélienne qui a de plus en plus de mal à accepter l’occupation des territoires palestiniens alors que le pays s’enfonce dans une crise économique et sociale sans précédent. «De plus en plus d’Israéliens, surtout dans la classe dirigeante, se rendent compte aujourd’hui que la poursuite de l’occupation et la colonisation menacent l’existence même d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, ne serait-ce qu’à cause de l’équilibre démographique», analyse ainsi le chercheur Joseph Alpher, relayant le discours du dirigeant travailliste Avraham Burg. Cet ancien président du Parlement et de l'Agence juive avait ouvert le débat dès le mois d’août en évoquant le risque d'une «mort du sionisme». Selon lui, si les dirigeants israéliens persévéraient dans leur entêtement à occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza, l’Etat hébreu ne pourrait pas «préserver une majorité juive».

Dans ce contexte, la prise de position des quatre anciens patrons du Shin Beth ne peut que trouver un large écho au sein de la population. D’autant plus que cette prise de position ne constitue pas un acte isolé. En septembre, vingt-sept pilotes et instructeurs de réserve de l'aviation, considérés comme l'élite de l'armée, proclamaient leur refus d'obéir à «des ordres illégaux et immoraux» et dénonçaient les méfaits de l'occupation. Se faisant, ils rejoignaient le mouvement des refuzniks qui comptent quelque 500 soldats et réservistes de l’armée de terre qui refusent de servir dans les territoires palestiniens. Certains d’entre eux ont même été condamnés à des peine de prison. Plus récemment, c'était au tour du chef d'état-major Moshe Yaalon de pousser le gouvernement à un compromis avec les Palestiniens alors qu'il s'était fait jusqu'à présent le champion d'une politique de poigne.

Si elle n’a pour l’instant aucune conséquence politique sur l’action menée par le gouvernement israélien, cette dénonciation de la colonisation a au moins le mérite d’ancrer le débat dans la société.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 14/11/2003