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Kurdistan irakien

Les Kurdes soulignent les erreurs américaines

Pour les Kurdes, l’apparition d’une résistance dans les régions arabes de l’Irak n’est pas véritablement une surprise. S’ils contestent le mot de résistance -ils préfèrent parler de «terrorisme»- les responsables kurdes des questions de sécurité affirment que Saddam Hussein avait prévu la chute de son régime et planifié la résistance.
De notre envoyé spécial à Dohouk (Kurdistan irakien)

«Saddam Hussein avait planifié la résistance en divisant l’Irak en trois zones et en nommant trois civils à la tête des opérations de résistance», affirme Nechirvan Ahmed, gouverneur de Dohouk, ville stratégique où il était en charge des relations avec la Turquie et avec... le gouverneur baasiste de Mossoul.

Pressentant que les militaires ne lui étaient plus loyaux, Saddam Hussein avait écarté Sultan Hachem, son ministre de la Défense et ses autres généraux les plus compétents de la préparation de la résistance, et il avait donc nommé trois civils à la tête des opérations: Ezzat Ibrahim Douri pour la région Nord (où il est toujours actif), son fils Qoussai pour la région Centre (avec Bagdad) et le sinistre Ali Hassan al Majid à la tête du Sud.

Selon les informations recueillies par les services de renseignement du PDK de Massoud Barzani, qui affirment avoir toujours été informés au jour le jour des plans de Bagdad grâce à leurs agents au sein du régime, Saddam Hussein avait préparé un plan en deux phases. Pendant la première phase les agents du régime devaient saboter les installations essentielles –adduction d’eau, centrales électriques, dépôts de carburants, centres de télécommunications, pipelines– des grandes villes (Mossoul et les grandes agglomérations kurdes dans le nord du pays) et créer une anarchie telle que les gens désespèrent de la capacité des forces de coalition de fournir les services essentiels.

Pendant la deuxième phase, les forces irakiennes encore contrôlées par le régime devaient attaquer les villes kurdes avec des missiles et des hélicoptères. Mais ce plan échoua. «Parce que les hommes choisis par Saddam Hussein pour l’exécuter étaient incompétents», affirme Nechirvan Ahmed. Et aussi parce que le réseau de télécommunications permettant à Qoussai de centraliser toutes les liaisons avec Saddam Hussein a été rapidement mis hors d’état de fonctionner par les Américains, qui ont très vite réussi à éliminer les deux fils de Saddam Hussein et à arrêter Ali Hassan al Majid. Seul des trois responsables désignés par Saddam Hussein, Ezzat Ibrahim Douri échappe encore aux Américains.

Mais aujourd’hui on peut se demander si Saddam Hussein a vraiment échoué ? L’économie irakienne est paralysée, la production pétrolière balbutiante et, chaque jour, l’armée américaine est victime d’opérations meurtrières de plus en plus audacieuses. «Je ne parlerais pas de résistance organisée, mais d’actes de terrorisme, pas généralisés, pas organisés», affirme Nechirvan Ahmed qui souligne que les Américains ont commis de nombreuses erreurs, notamment en ne contrôlant pas suffisamment les frontières et en ne prenant pas les mesures nécessaires pour protéger les installations pétrolières irakiennes.

«On a vu des Juifs...»

Tous les spécialistes kurdes des questions de sécurité font la même analyse: «La ‘résistance’ actuelle est le fait de trois groupes très hétérogènes: les islamistes, les Baasistes et des criminels de droit commun», affirme Kerim Sinjari, ministre de l’Intérieur du gouvernement kurde (PDK) d’Erbil, qui a échappé de justesse à une tentative d’attentat à la mi-octobre: les policiers gardant son ministère ont abattu un jeune islamiste conduisant un taxi chargé de 100 kg de TNT juste avant qu’il ne fasse exploser sa charge.

Dans la mouvance baasiste, les anciens «Fedayin» d’Oudaï sont particulièrement actifs. Les Kurdes soulignent que les Américains ont commis de lourdes erreurs, laissant de nombreux responsables baasistes rentrer librement avec leurs armes chez eux après la chute du régime, relâchant même certains cadres dangereux arrêtés par les Kurdes. «Les Américains étaient obsédés par leur jeu de cartes des 55 dirigeants et ont laissé en liberté de redoutables responsables baasistes qui se sont réorganisés et dirigent aujourd’hui les attentats contre les troupes de la coalition», dit un dirigeant kurde. «Ils sont persuadés, conclut Kerim Sinjari, que s’il y a de nombreux morts américains, Bush ne gagnera pas les élections l’année prochaine... Et en arrivant au pouvoir, les Démocrates retireront les troupes américaines d’Irak».

Les islamistes sont particulièrement dangereux. Plusieurs centaines de militants d’Ansar al Islam qui avaient été chassés de leur fief du Kurdistan par une opération combinée des forces spéciales américaines et des peshmergas kurdes de l’UPK de Jalal Talabani, ont gagné Bagdad, après s’être réfugiés pendant un certain temps en Iran. Ce sont eux, et des militants arabes venus de l’extérieur, qui commettent les attentats-suicide contre les troupes américaines et les organisations occidentales.

Un jeune cadre kurde travaillant dans une organisation des Nations unies à Mossoul révèle à quel point ces militants fondamentalistes opèrent sur un terrain fertile: l’un des passagers d’un taxi collectif, évoquant un attentat contre un bureau des Nations unies, demande pourquoi il a été visé. Un autre répond: «On a vu des juifs travailler dans ces bureaux». «Comment le savez-vous ?», demande le premier passager. «C’est simple, le drapeau israélien flotte sur leurs bureaux», affirme péremptoirement le second en parlant du drapeau des Nations unies!

Des tracts distribués aux portes des mosquées de Mossoul après la prière du vendredi affirment que «des Juifs travaillent dans les bureaux de l’OIM», l’Organisation Internationale des Migrations. «Les gens ne font pas la différence entre les Américains et les Nations unies», explique un jeune cadre kurde. «Chaque vendredi, les imams des mosquées prononcent des prêches enflammés contre les Américains. A l’époque de Saddam Hussein, ils n’osaient pas parler contre Saddam Hussein. Maintenant ils osent le faire contre les Américains. Rien n’est impossible». Si les dirigeants kurdes n’ont pas encore pu prouver l’existence de liens organisationnels entre les opposants baasistes et les islamistes, ces liens existent déjà dans les esprits où sévissent un antisémitisme et un antioccidentalisme aveugles entretenus par des décennies de propagande baasiste et islamiste.



par Chris  Kutschera

Article publié le 19/11/2003