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Santé

Canicule : à qui la faute ?

Alors que la mission sur la canicule mise en place par la mairie de Paris fait état, dans son rapport final, d’un manque d’anticipation et de coordination dans la gestion de cette crise sanitaire majeure qui a provoqué plus de 15 000 décès supplémentaires en France, l’ancien directeur général de la Santé Lucien Abenhaïm publie un ouvrage dans lequel il met en cause le ministre Jean-François Mattéi. Les questions des responsabilités et de l’efficacité du système sanitaire français n’en finissent pas d’être posées.
«L’approche qu’a privilégié le ministre au plus fort de la crise est à mon sens critiquable tant sur la forme que sur le fond». Lucien Abenhaïm s’en prend directement au ministre de la Santé Jean-François Mattéi dans un livre à paraître le 20 novembre, intitulé Canicule, la santé publique en question, dont le quotidien Le Monde a publié les bonnes feuilles mardi. L’ancien directeur général de la Santé y raconte comment il a été poussé à la démission par les propos du ministre au cours d’une interview accordée à la chaîne de radio RTL, le 18 août, à l’occasion de laquelle il a mis plusieurs fois en cause l’action de la direction générale de la Santé et de l’Institut de veille sanitaire. Face à ces accusations, Jean-François Mattéi a préféré ne pas réagir et a déclaré qu’il s’expliquerait devant la commission d’enquête parlementaire sur «les conséquences sanitaires et sociales de la canicule».

Pour Lucien Abenhaïm, ses services et lui-même ont été livrés à «la vindicte publique» par un Jean-François Mattéi dont le principal souci était de minimiser une crise en continuant coûte que coûte à annoncer que l’on se situait «dans une fourchette étroite de 1 600 à 3 000 décès, en dépit des estimations de l’Institut de veille sanitaire fixant le nombre de décès entre 6 000 et 7 000». Pour le directeur général de la Santé démissionnaire, une conclusion s’impose : «Chercher à contrôler trop activement l’information peut s’avérer un jeu dangereux». Surtout lorsque l’on a commis un certain nombre d’erreurs. A ce propos, Lucien Abenhaïm marque son étonnement concernant l’absence de la conseillère en santé publique de Jean-François Mattéi au cœur même de la crise : «Je regrette que le cabinet du ministre ait décidé le 11 août de laisser partir en vacances sa conseillère en santé publique et qu’il n’y ait donc eu personne de compétent à ce niveau».

«La France a payé, dans cette canicule, des décennies d’insuffisances»

Cette critique directe de la gestion du ministre et de son cabinet sur la canicule se poursuit par un certain nombre de remarques concernant les insuffisances du système de santé français. Selon lui, «la France a payé, dans cette canicule, des décennies d’insuffisances». Il met en avant une certaine incapacité des services à travailler ensemble, imputable en grande partie à une «absence de modèles» : «Certains acteurs, détenteurs d’une information qu’ils ne comprenaient peut-être pas, ont cédé à des réflexes administratifs courants en ne la partageant pas». De ce point de vue, l’ancien directeur général de la Santé estime qu’il serait nécessaire de créer un grand ministère des Risques et de regrouper «l’environnement, l’alimentation, la consommation et les produits, sans oublier la question de la santé au travail».

A ce niveau, l’analyse de Lucien Abenhaïm rejoint certains thèmes évoqués par le rapport de la mission d’information mise en place par la mairie de Paris pour évaluer les conséquences de la canicule dans la capitale française. Ce document rédigé par quatorze élus parisiens met, en effet, en valeur des «problèmes de fonds» dans le sens où il confirme ce qui avait été constaté sur le terrain, à savoir que la crise n’a été «ni anticipée, ni détectée rapidement puisqu’il n’existait aucun système d’alerte tant au plan national qu’au plan local». Il insiste aussi sur le fait que les «recoupements d’informations» ont été «inexistants».

Ce ne sont pas «les acteurs publics» qui ont failli individuellement à leur mission, c’est plutôt l’absence de coordination entre eux qui a rendu leurs efforts inadaptés face à une crise d’une telle ampleur qu’elle est décrite comme «une catastrophe sanitaire qui s’est transformée en crise funéraire». Et le bilan a été très lourd : près de 15 000 décès supplémentaires sur le territoire national dont 1 154 à Paris. La canicule a donc montré, selon la mission, à quel point le système de santé français souffrait de l’absence d’un «plan d’action [d'urgence]préexistant» et d’un dispositif d’alerte. Des lacunes auxquelles les élus recommandent de mettre un terme rapidement.

D’autres propositions sont formulées : création de nouveaux dispositifs pour informer le public, repérer les personnes âgées isolées, développement de l’aide à domicile, ou encore équipement des maisons de retraites (climatisation, volets…). Car ce rapport établit en effet qu’une grande partie des victimes de la canicule sont décédées à l’hôpital ou dans les institutions spécialisées. Il relativise aussi le scandale des morts abandonnés par leurs familles dont les corps n’ont jamais été réclamés. A Paris, seuls 0,05 % de l’ensemble des personnes dont le décès a été attribué à la canicule, ont finalement été inhumées par les services de la ville.

Pour les Verts, le rapport de la mission ne met pas assez en valeur les déficiences du système et des institutions. Il passe sous silence «la faible réactivité» de la préfecture de police, des hôpitaux et de la mairie. Ils estiment ainsi qu’il a fallu «sept à huit jours» à la préfecture pour «renforcer ses moyens» après que les pompiers ont tiré la sonnette d’alarme et mis en garde contre l’augmentation massive de leurs interventions (50 %) dans la capitale. La canicule n’a décidément pas fini de provoquer la polémique.

Ecouter également:

Catherine Ninin revient sur la canicule de l’été 2003 (20 novembre 2003, 1’16’’).

Ecoutez Lucien Abenhaïm (Pierre Ganz, 20/11/2003, 8'27").



par Valérie  Gas

Article publié le 19/11/2003