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Attentats

Guantanamo : le sort des détenus sera examiné par la Cour Suprême

La Cour suprême des Etats-Unis vient d’annoncer qu’elle examinerait dans le courant de l’année 2004, un appel interjeté par les avocats de 16 détenus (2 Britanniques, 2 Australiens, 12 Koweïtiens) de la base navale de Guantanamo à Cuba. Cette décision est très importante dans la mesure où, pour la première fois, la plus haute juridiction américaine s’empare de la question délicate de la légalité de la détention de 660 personnes depuis leur capture, pendant ou après la guerre en Afghanistan, dans des conditions dénoncées par toutes les associations de défense des droits de l’homme.
«Les Etats-Unis ont-ils la juridiction nécessaire pour détenir légalement des ressortissants étrangers capturés hors du sol américain lors d’hostilités et incarcérés sur la base navale de Guantanamo à Cuba ?» C’est à cette question, et à cette question seulement (pas à celle, par exemple, des mauvais traitements dont ils pourraient être victimes), que les neuf juges de la Cour suprême américaine ont accepté de répondre d’ici le mois de juillet 2004 après l’audition des avocats des 16 détenus. Certes, ils ont d’office limité le champ des questions et donc les conséquences de leur décision (notamment sur le sort des autres prisonniers détenus ailleurs par les Etats-Unis). Mais il n’empêche que le fait même d’examiner ce délicat problème juridique constitue une étape fondamentale parce qu’il pose la question du bien fondé des arguments avancés jusqu’ici par le gouvernement américain pour justifier sa position sur la détention de quelque 660 prisonniers, soupçonnés d’appartenir à Al Qaïda, capturés en Afghanistan ou au Pakistan, et transférés d’office à Guantanamo, au motif que leur incarcération constituait un élément de la guerre globale contre le terrorisme. Et que dans ce cas de figure, le secret auquel ils sont soumis –les prisonniers ne peuvent communiquer ni avec leur famille, ni avec leurs avocats et ne connaissent pas les charges retenues contre eux– est justifié par la nécessité d’empêcher ces hommes, considérés comme des combattants illégaux et non des prisonniers de guerre (qui seraient donc protégés par les Conventions de Genève), de contrarier les efforts pour lutter contre le terrorisme.

Jusqu’à la décision de la Cour suprême, les juges fédéraux qui ont eu à statuer sur les différentes requêtes des avocats des familles des prisonniers de Guantanamo les ont toujours rejetées en argumentant autour du fait que cette base navale se situait hors des Etats-Unis et que les «règles de l’Habeas Corpus ne s’appliquaient donc pas à des étrangers en dehors du territoire américain.» Un point de vue tout à fait satisfaisant pour Washington. Condoleezza Rice, conseillère du président George W. Bush pour la sécurité nationale, a d’ailleurs estimé que l’examen de la situation par la Cour suprême ne remettait pas en cause la position des autorités américaines en déclarant : «Nous croyons que la loi est de notre côté».

Une détention illégale ?

Pour les associations de défense des droits de l’homme, il n’en va pas de même. Amnesty international, par exemple, n’a cessé de dénoncer les conditions de détention des prisonniers de Guantanamo. L’association a ainsi estimé que leur situation était «un scandale pour les droits de l’homme qui viole les lois internationales». Dans ce contexte, Amnesty international a réagi très positivement à l’annonce de la décision de la Cour suprême : «Nous espérons que la Cour suprême va mettre un terme au trou noir légal dans lequel les détenus de Guantanamo ont été jetés et assurer la justice pour eux et leur famille».

Les avocats des 16 prisonniers, qui agissent sans lien avec les détenus eux-mêmes qui n’ont aucun moyen de connaître l’état d’avancement des procédures, ont aussi fait part de leur satisfaction. Ils plaident pour faire respecter le droit de leurs clients à bénéficier d’une défense et d’un procès équitable et dénoncent les abus dont ils sont victimes en étant détenus «arbitrairement» à Guantanamo. Michael Rather, le président du Centre pour les droits constitutionnels qui défend les prisonniers australiens et britanniques, a ainsi déclaré : «L’un principes démocratiques les plus fondamentaux est en jeu dans ce cas : à savoir si le gouvernement peut détenir des personnes sans charge et leur dénier le droit de tester la légalité de leur détention dans un procès public». Les avocats ont reçu le soutien dans leur démarche d’un groupe d’anciens militaires, juges et de diplomates américains qui craignent que ce qu’ils considèrent comme des atteintes aux droits constitutionnels des prisonniers de Guantanamo ne puisse avoir des répercussions sur les droits de tous les Américains dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. De même, ces opposants à la politique de George W. Bush estiment que le traitement actuel des prisonniers de Guantanamo fait perdre aux Etats-Unis «l’autorité morale» qui pourrait leur permettre par la suite de réclamer un traitement «équitable et humain» pour des détenus américains.

Dans ce contexte, la décision de la Cour suprême qui n’interviendra pas avant le mois de juin 2004, une fois que les parties auront exposé leur point de vue sur cette détention jugée «illégale» durant une heure chacune, est particulièrement attendue. Mais même si le fait que la Cour suprême ait accepté d’examiner la question de la compétence des tribunaux américains pour juger les prisonniers de Guantanamo va dans le sens des demandes des défenseurs, rien ne peut laisser présager de la décision finale qu’elle prendra. Les neuf juges qui composent cette instance ont en effet des points de vue différents sur la question. Le président William Rehnquist a ainsi déjà émis l’opinion selon laquelle les droits individuels doivent être limités en cas de guerre. Alors qu’un autre juge, Stephen Breyer, a déclaré pour sa part que «la Constitution compte toujours, peut-être et surtout en cas d’urgence».



par Valérie  Gas

Article publié le 11/11/2003