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Société

Tollé autour du délit «<i>d’interruption involontaire de grossesse</i>»

Les députés ont adopté, jeudi, après une séance particulièrement agitée, un amendement qui crée un délit «d’interruption involontaire de grossesse». Il s’agit, selon le promoteur de ce texte l’UMP Jean-Paul Garraud, de combler un «vide juridique» et de sanctionner les «imprudences, maladresses» qui font perdre leur enfant à une femme enceinte. Mais pour l’opposition parlementaire et les associations qui défendent l’avortement, ce texte est susceptible de remettre en cause le droit des femmes à disposer de leur corps et à interrompre une grossesse non désirée.
Un an de prison : c’est la peine prévue pour les personnes reconnues coupables du nouveau délit d’interruption involontaire de grossesse par «maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité». Cette peine peut même être doublée lorsqu’une «violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité» est constatée. Elle peut aussi être assortie d’une amende de 15 000 euros.

Ce texte a été présenté par le député de Gironde Jean-Paul Garraud et a pour objectif de protéger les femmes enceintes contre des actes qui les empêcheraient d’aller au bout de leur grossesse. Dans ce sens, les personnes responsables notamment d’un accident de la route à la suite duquel une femme perdrait son bébé, mais aussi les médecins ayant commis une erreur de diagnostic ou de traitement, pourraient ainsi être sanctionnés. Il s’agit pour le président de la Commission des lois, Pascal Clément, d’assurer la protection «de la femme enceinte, pas de l’enfant qu’elle attend».

L’amendement de Jean-Paul Garraud a finalement été adopté par 30 voix contre 14. Mais il a suscité un débat tellement vif qu’une interruption de séance de dix minutes a été nécessaire pour calmer les esprits. L’opposition a, en effet, réagi très vivement à la présentation du texte dans le cadre du projet de loi sur la grande criminalité. Elle y a vu une tentative de «coup de force» susceptible de menacer le droit à l’avortement. Jean-Marie Le Guen, député socialiste de Paris, a même dénoncé un désir de «faire plaisir à la frange intégriste» des opposants à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Une brèche dangereuse

Les députés de l’opposition mais aussi les associations qui défendent le droit à l’avortement estiment que l’amendement adopté jeudi est dangereux car le nouveau délit qu’il crée pourrait, selon le socialiste Jean-Yves Le Bouillonnec, aboutir à «l’attribution d’un statut juridique au fœtus». L’avocate Gisèle Halimi a, quant à elle, dénoncé une «brèche dangereuse» ouverte dans le droit des femmes à «choisir leur maternité». La présidente du mouvement français du Planning familial, Françoise Laurent, a même estimé que ce texte ouvrait la voie à une «disparition de l’avortement» et que la prochaine étape pourrait être d’étendre la notion d’homicide au fœtus. Pour le moment, la Cour de cassation ne reconnaît pas le statut de personne humaine à l’embryon. Du coup, «l’incrimination réprimant l’homicide involontaire d’autrui» ne peut être étendu «à l’enfant à naître».

Les députés de l’opposition se sont aussi insurgés contre la méthode employée par le gouvernement pour réintroduire, dans le cadre du projet de loi sur la grande criminalité en cours d’examen, un texte déjà présenté et rejeté lors de la session sur le projet de loi contre la violence routière. Cette tactique a été mise sur le compte d’une volonté délibérée d’esquiver un débat difficile.

Le rapporteur du texte, Jean-Luc Warsmann, a tenté de mettre un terme à la polémique sur les intentions cachées du gouvernement en proposant une sous-amendement qui dit que cette disposition ne peut «en aucun cas faire obstacle au droit de la femme à recourir à un avortement volontaire». Le ministre de la Justice Dominique Perben a lui aussi pris parti dans le débat en se ralliant à la dernière version de l’amendement. Ces déclarations n’ont pas pour autant calmé l’opposition. Jean-Marie Le Guen a ainsi affirmé : «Vos arguments sont ceux des groupes ‘pro-life’ qui se battent contre l’IVG».

Alors qu’à l’intérieur de l’Assemblée nationale les députés s’écharpaient, dehors les pro et les anti-avortement se faisaient face un peu plus loin. A l’appel du Planning familial, les associations de défense des droits des femmes avaient, en effet, invité leurs partisans à manifester jeudi à Paris pour contrecarrer un défilé des militants des anti-avortement de l’association SOS tout-petits. Françoise Laurent a d’ailleurs saisi l’occasion pour dénoncer une «stratégie organisée visant à dessiner un nouvel ordre moral» et «l’entrée en campagne électorale du Front national, parti où milite [le président de SOS tout-petits] Xavier Dor». Ce dernier a, pour sa part, présenté le Planning familial comme une «organisation criminelle d’inspiration nazie».



par Valérie  Gas

Article publié le 28/11/2003