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Immigration

La loterie du droit d’asile

«La roulette russe de l’asile à la frontière»: c’est le titre du rapport que publie en France l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafe).
La demande d’admission au titre de l’asile, est la demande que déposent les étrangers au moment où ils arrivent dans un port ou dans un aéroport, avant de franchir officiellement la frontière et de poser le pied sur le sol français. A cet instant précis, ce sont des agents du ministère des Affaires étrangères qui, les premiers, examinent leur demande. Ils la transmettent ensuite au ministère de l’Intérieur, qui décide, seul, sans être tenu par l’avis du ministère des Affaires étrangères, soit de juger cette demande recevable, soit de la juger «manifestement infondée». Dans le premier cas, l’étranger est autorisé à rentrer en France, et à déposer une demande d’asile en bonne et due forme auprès de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, qui lui donnera une réponse (positive ou négative) plusieurs mois, voir un ou deux ans plus tard. Dans le 2ème cas, la demande est jugée «manifestement infondée», et l’étranger n’est pas admis sur le territoire: il est renvoyé dans son pays, ou dans le dernier pays par lequel il est passé.

Selon les chiffres officiels, pour les neuf premiers mois de 2003, près de 97% des demandes d’asile déposées aux frontières sont jugées «manifestement infondées», contre 80% en 2001 et en 2002. C’est à dire qu’à l’heure actuelle, la plupart des étrangers qui arrivent aux frontières sont considérés comme des faux demandeurs d’asile motivés essentiellement par des raisons économiques.

De plus en plus de refus

Il est vrai qu’en l’absence de toute possibilité légale pour rentrer en France à des fins économiques (hors des procédures de regroupement familial), le seul moyen de parvenir malgré tout sur le sol français, est la demande d’asile. Certains candidats à l’immigration, qui ne font l’objet d’aucune persécution dans leur pays, tentent donc leur chance de cette manière. Mais il y a aussi les vrais demandeurs d’asile, ceux qui sont effectivement persécutés, menacés dans leur pays, et qui risquent de ne pas pouvoir entrer sur le sol français. C’est en tout cas ce que tente de démontrer l’Anafe, en citant dans son rapport une trentaine de cas concernant des étrangers qui, à ses yeux, auraient dû pouvoir entrer sur le sol français, et dont la demande a été jugée «manifestement infondée». Il s’agit notamment de personnes originaires du Congo, du Rwanda, de Sierra Léone, ou de Côte d’Ivoire.

Prenons l’exemple de ce Guinéen arrivé à l’aéroport de Roissy en octobre 2002. Il affirme que ses parents ont été tués par des rebelles, mais ses déclarations sont jugées dénuées de cohérence, car il explique que des agents du HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) l’ont conduit dans le camp de réfugiés de Kissidougou qui se trouve à «300 kilomètres de son village alors que des camps se situent à proximité de son lieu d’habitation». Pour les agents qui reccueillent sa déposition, c’est illogique donc peu crédible, et sa demande est rejetée. Mais selon l’Anafe, la pratique du HCR consiste, dans la mesure du possible, à installer les réfugiés le plus loin possible des frontières du pays qu’ils fuient afin, d’une part, de les protéger, et d’autre part, d’éviter que les camps de réfugiés servent de base à des mouvements armés. Pour l’Anafe, l’argument qui étaye le refus d’accès, n’est donc pas valable.

Autre exemple à la fois emblématique et kafkaïen: celui d’un Ivoirien arrivé à l’aéroport de Roissy en février 2003. A son arrivée, ses déclarations concernant ses activités politiques au sein du RDR sont jugées «dénuées de précisions», les agents chargés d’évaluer sa demande estiment également que cet Ivoirien n’apporte pas de «précisions» sur les sévices dont il dit avoir été victime. Demande rejetée, expulsion programmée. Seulement voilà, cet Ivoirien refuse à plusieurs reprises d’embarquer sur le vol du retour vers Abidjan, ce qui lui vaut d’être placé en centre de rétention, centre où les étrangers sont conduits avant une procédure de «reconduite à la frontière». Et c’est à ce moment là, parce qu’il est sur le territoire français, que cet Ivoirien parvient à saisir l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, d’une demande d’asile en bonne et due forme. Et quelques mois plus tard, en août, l’OFPRA conclue qu’il est effectivement persécuté dans son pays, et lui accorde l’asile en France.

Mais ses ennuis ne sont pas terminés, puisque cet homme a été condamné par la justice française à trois ans d’interdiction du territoire, en raison de ses nombreux refus d’embarquer, sur un vol à destination d’Abidjan. Et cette condamnation l’empêche aujourd’hui d’avoir des papiers, plus précisément un titre de séjour. Certes, le statut de réfugié le garantit contre toute tentative d’expulsion, mais sa situation n’est toujours pas définitivement régularisée.



par Catherine  Potet

Article publié le 26/11/2003