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Kurdistan irakien

Quel avenir pour les partis kurdes<nbsp>?

C’est une véritable révolution: une manne financière considérable est en train de s’abattre sur le Kurdistan. Financée par les Américains, transitant par la CPA (Autorité Provisoire de la Coalition) et divers ministères à Bagdad (ministères des Finances, de l’Intérieur, de l’Education, de la Santé), cette manne alimente les budgets des gouvernements kurdes d’Erbil et de Souleimania, dont les ministres soulignent au passage qu’il s’agit de «leur» argent car les Américains ne font, selon eux, que redistribuer l’argent du pétrole de Kirkouk.
De notre envoyé spécial

Depuis 1996, les Kurdes ont géré des budgets relativement importants dans le cadre de l’application de la résolution 986 «Pétrole contre Nourriture», mais cela sous la double supervision des Nations unies et de Bagdad. «Désormais nous allons pouvoir réaliser nos propres plans, sans entraves administratives. Rien que pour le gouvernorat de Dohok nous allons pouvoir embaucher 3 000 personnes pour les départements des Municipalités et de l’Agriculture», annonce Nechirvan Ahmed, le gouverneur (PDK) de Dohok, qui a l’intention d’en profiter pour réduire le chômage dans la génération montante en recrutant de jeunes diplômés. «Nous avons obtenu 600 millions de dollars pour les gouvernements d’Erbil et de Souleimania (dont la population atteint environ 3,7 millions de personnes) pour les six derniers mois de l’année», révèle Sami AbderRahman, vice-Premier ministre du gouvernement (PDK) d’Erbil. «Cette somme va nous permettre de régler les salaires et les coûts de fonctionnement, et de financer les investissements».

A Souleimania, Aso Ismail, directeur des affaires économiques dans le cabinet de Berham Saleh, le Premier ministre du gouvernement de l’UPK, ne sait plus où donner de la tête: sa table de travail est encombrée de projets de reconstruction, les visiteurs se bousculent dans son bureau et font la queue dans le couloir, et il parle avec enthousiasme d’un plan de reconstruction d’un milliard de dollars pour la seule région de Souleimania pour les deux années à venir (2004-2005). Ce pactole va permettre de reconstruire des infrastructures ruinées par des décennies de négligence. Mais il va aussi saper les bases sur lesquelles repose le pouvoir des partis kurdes qui contrôlent la région kurde semi-indépendante du nord de l’Irak.

Le pouvoir kurde est-il soluble dans l’argent ?

«Nous avons perdu notre principale source de revenus propres depuis que les Américains ont supprimé les droits de douane sur les importations en Irak», reconnaît Sami Abder Rahman, vice-Premier ministre du gouvernement d’Erbil et membre du bureau politique du PDK de Massoud Barzani. Longtemps resté la principale source de revenus du PDK (1,2 million de dollars par jour selon des sources bien informées), le poste frontalier avec la Turquie d’Ibrahim Khalil grève aujourd’hui le budget du gouvernement d’Erbil. Au lieu d’en rapporter, il coûte de l’argent. Et sur un budget d’environ 250 à 300 millions de dollars pour 6 mois, les ressources propres du gouvernement d’Erbil ne s’élèvent plus qu’à 26 millions de dollars, le reste étant financé par les Américains.

Pendant plusieurs mois le gouvernement d’Erbil, victime d’une grave crise financière, avait été dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires et ses pechmergas (maquisards). Il a dû demander l’aide financière des Américains, trop contents de le tirer d’affaire et de pouvoir faire pression sur lui. Les fonds du CPA peuvent être utilisés pour payer les salaires des fonctionnaires des gouvernements kurdes, mais pas pour payer les salaires des membres et des cadres des partis.

«Aujourd’hui, le gouvernement et le parti, à Erbil comme à Souleimania, c’est la même chose», souligne un dirigeant du PDK particulièrement lucide, «mais à l’avenir, quand il y aura des élections, les partis actuellement dominants risquent de perdre. Que deviendra un parti qui n’a plus de ressources ?». Les partis kurdes se sont en effet ralliés une importante clientèle en recrutant des membres attirés par le versement d’une allocation mensuelle, ou par la possibilité d’obtenir un emploi dans l’administration locale, ou encore par l’incorporation dans une force de pechmergas pléthorique. Réalisant qu’ils doivent désormais leur salaire aux Américains, et pas à tel ou tel parti, de nombreux Kurdes risquent de voter pour le parti qui a véritablement leur sympathie, et non plus pour celui qui assurait leur gagne-pain. Les prochaines élections au Kurdistan risquent de réserver des surprises. On s’interroge beaucoup sur le score éventuel des islamistes et sur le taux d’abstention.

«Si nous voulons gagner les élections de demain, il faut amener des investisseurs, créer des emplois, agir dans le domaine économique et social», bref, avoir un programme, se comporter comme un véritable parti, pas comme une milice, ajoute ce dirigeant du PDK qui conclut: «Les mouvements de libération qui arrivent au pouvoir ont parfois tendance à se comporter en dictateur pour garder ce pouvoir... La présence des Américains est peut-être notre chance: cela nous évitera de tomber sous une dictature kurde». Le sujet est tabou au Kurdistan, mais la question obsède de nombreux Kurdes: les Américains ont-ils l’intention de dissoudre le pouvoir kurde dans l’argent ?



par Chris  Kutschera

Article publié le 29/11/2003