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Cameroun

Peur sur la capitale

Il ne se passe plus de jours dans la ville de Yaoundé, sans qu’on parle d’un citadin agressé et dépouillé par des malfrats, armés, et déguisés en chauffeur de taxi et passager. Beaucoup croient savoir que les bandits ont simplement changé de fusils d’épaule, face à l’action conjuguée des forces de l’ordre et aux dispositifs d’autodéfense mis en place par les populations. La police qui reconnaît que les brigands ne dorment jamais, se dit sereine, convaincue que la côte d’alerte n’est pas encore atteinte. Les citoyens ne demandent qu’à croire.
De notre correspondant à Yaoundé

Le scénario est, à, quelques détails près, toujours le même. L’identité propre des acteurs a beau varier, le profil des victimes changer, rien n’y fait. Toujours ces taxis de ville, qui attendent en général aux alentours des gares routières, ou font la file où se bousculent les usagers de retour de voyage ou au sortir des bureaux. Toujours ces deux occupants, dont un chauffeur, et un passager, qui n’en sont en réalité pas. Toujours ces changements brusques d’itinéraires, ces destinations déviées. Et ces arrêts impromptus à des endroits les plus obscurs au centre-ville ou à la périphérie. Et ces scènes que les victimes racontent dans un étonnant chœur saisissant de similitudes. Cette employée du projet Croix-rouge camerounaise/HCR, qui, s’est faite agresser un soir, après 19 heures, du côté de la «montée du parc», un endroit mal éclairé, vers la sortie nord de la capitale. Cette journaliste que les bandits ont, semble-t-il failli jeter dans le lac municipal, au cœur de la ville, et qui n’ a échappé au supplice que grâce à un militaire qui, incidemment passait par là. Ou encore cette dame, qui s’est retrouvée prise en tenailles, a manqué de se faire violer, un soir par un pseudo-chauffeur de taxi, et un soi-disant passager, dans la broussaille, sur le tronçon sans éclairage, entre les installations de certains services du ministère de la Santé publique et le dispensaire, en pleine ville. Et des dizaines d’autres, hommes et femmes, qui racontent, avec force détails, leur enfer. Les sévices subis, comme les objets dont ils ont été dépouillés : un téléphone portable, un sac main, de l’argent, des bijoux.

Le corps d’une dame, retrouvé un matin, aux alentours du ministère de la jeunesse et des sports, près du… cimetière du lieu dit «vallée de la mort», où serpente une ruelle non bitumée, et non éclairée, réputée pour faire partie des itinéraires de prédilection des bandits, est venu certes suggérer que parfois, la mort n’est pas loin. Mais, la plupart des témoignages sont ceux des «survivants». D’autant que dans bien des cas, opèrent avec des armes, après avoir pris le soin de s’encagouler.

«J’ai emprunté le taxi du centre-ville pour aller du côté de Mballa 2. En plus du chauffeur, un monsieur que je prenais pour un passager avait pris place à bord à la cabine. J’ai été surprise de m’apercevoir que non seulement le taxi n’a pas fait de ramassage, mais aussi que notre itinéraire avait été modifié. Nous sommes retrouvés dans une rue derrière un hôtel de grand standing au cœur de la ville. Je ne me souviens plus très bien de ce qui s’est passé. Mais je sais que le chauffeur a commencé à ralentir, son complice est sorti, m’a serré le coup. Puis, ils m’ont demandé ce que j’avais dans le sac à main. Je leur ai dit qu’il y avait un magnétophone, une somme de 7000 Fcfa, un téléphone portable. Après avoir fouillé mon sac à main, ils m’ont demandé si je n’avais plus rien. Puis, l’un d’entre eux s’est mis à fouiller sous mon soutien-gorge, et ne s’est pas gêné pour chercher de l’argent dans mes parties intimes», se souvient Irène Njabun, une journaliste, qui se remet péniblement de ses émotions.

Et la chronique des jours tragiques s’enrichit quotidiennement de ses témoignages poignants.

Chaque jour, de nouvelles méthodes pour les malfrats

Aux yeux de nombreux citadins, ces braquages s’apparentent à une réponse de malfrats, toujours inventifs, déjà cernés par les forces de l’ordre, et rendus quasi-inopérants dans les quartiers où les populations se sont organisées en «comité d’autodéfense». Mais il persiste une impression générale d’incapacité des forces de l’ordre à mener une réelle bataille aux malfrats. A la police, où l’on reconnaît qu’il s’agit d’une situation préoccupante, on récuse le constat d’un regain d’insécurité, et on se veut serein. «Nous n’avons pas encore atteint la cote d’alerte en la matière. Dans tous les cas, si les circonstances l’exigeaient, la police déclencherait tout de suite les dispositifs adéquats», explique, sourire en coin, un haut cadre de la Délégation générale de la Sûreté nationale. Allusion à la mise sur pied, il y a quelques années, de «l’Opération harmattan» pour faire face à l’insécurité dans la ville de Yaoundé. Une opération qui semble justement en veilleuse depuis quelques temps. Il est vrai aussi qu’en 2000, le président de la République avait dû ordonner par décret, la mise sur pied du «commandement opérationnel», une mesure exceptionnelle, circonscrite à la capitale économique Douala, et ses environs, pour répondre aux insomnies que donnaient aux forces de l’ordre, des bandes de malfrats semant terreur et désolation.

Mais comment convaincre les victimes des opérations de Yaoundé, que la situation n’est pas aussi grave qu’elles le pensent ? Comment rassurer les autres citoyens que la police veille à leur sécurité, lorsque, comme le reconnaissent des responsables à la police, les bandits continuent d’opérer, mettant au point chaque jour de nouvelles méthodes ?

C’est finalement la parole des policiers contre les craintes des citadins. «A la police, les plus hautes autorités s’attellent à mettre sur pied une police de proximité, ainsi qu’en témoigne la création de plusieurs nouvelles unités dans le corps, qui devront nous aider à prévenir l’action des bandits», affirme un officiel. Qui ajoute : «Dans cette perspective, nous comptons aussi sur le dynamisme de nos centaines de jeunes éléments frais émoulus de nos centre de formation qui sont déjà sur le terrain».

Les citadins ne demandent qu’à croire. Peut-être ne sont-ils pas les seuls à rêver d’une ville où ils peuvent se déplacer débarrassés de la peur au ventre, dans ce pays où l’insécurité a souvent été cité comme un facteur peu susceptible de rassurer les investisseurs étrangers.



par Valentin  Zinga

Article publié le 27/11/2003