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Mexique

La rue contre le libéralisme

Trois ans après son arrivée au pouvoir, le président Vicente Fox n’a pas atteint son objectif de transformer de fond en comble la société mexicaine. Il vient d’envoyer une nouvelle fois un projet de réformes structurelles au Congrès qui hésite à les adopter. Une immense manifestation s’est déroulée contre ces réformes jugées trop libérales.
De notre correspondant au Mexique.

Cinq cent mille mexicains, convoqués par les grands syndicats et organisations sociales, sont descendus dans les rues de la capitale et dans plus de 200 villes moyennes du Mexique pour manifester contre la dénationalisation et la privatisation du secteur énergétique, la réforme du droit du travail, la réforme fiscale qui prévoit l’application de la TVA sur les aliments et les médicaments, baisser les budgets de la recherche scientifique universitaire et couper les subventions à la culture.

Depuis trois ans, des projets successifs de réformes structurelles sont proposés par le gouvernement de Vicente Fox sans aucun résultat. Au nom de la modernisation du pays et de la globalisation, le gouvernement propose d’ouvrir largement l’économie mexicaine aux investisseurs étrangers, présentant comme unique possibilité la privatisation de tout ce qui est public. Les partis d’opposition (PRI et PRD), majoritaires à la chambre, ne veulent pas endosser ou soutenir des réformes jugées trop libérales, d’autant que les bases militantes et la population s’y opposent majoritairement. Ce mécontentement populaire se cristallise sur la réforme énergétique. Vicente Fox estime que pour continuer à produire de l’électricité, il faut ouvrir le capital des sociétés d’Etat aux investisseurs internationaux qui seraient les seuls à pouvoir apporter les 56 milliards dont a besoin la Compagnie fédérale d’électricité. Il tient le même raisonnement sur le développement de Pemex, la société nationale des pétroles. Les Mexicains, très nationalistes, réclament une restructuration de leurs entreprises d’Etat mais ne veulent en aucun cas ouvrir la porte aux transnationales américaines, soulignant que Pemex produit 3,8 millions de barils par jour (à 26 dollars le baril), dont la moitié est exportée aux Etats-Unis, ce qui permet une modernisation sur fonds propres.

Le Mexique comme le Brésil, la Colombie, l’Equateur, la Bolivie…

Cette manifestation, l’une des plus importantes de ces dernières décennies, est un sérieux avertissement au gouvernement. Mais c’en est un autre pour le PRI, le parti de l’ancien régime, première force politique du pays, dont les dirigeants semblent parfois prêts à succomber aux chants des sirènes du gouvernement. Il existe en effet au sein de ce parti un courant libéral et technocratique, proche de l’ancien président Carlos Salinas de Gortari qui, pour maintenir ses prébendes, accepterait volontiers de faire l’appoint nécessaire au Congrès pour permettre l’approbation de ces réformes structurelles. L’avertissement de la base vaut donc pour tous les acteurs favorables à une politique libérale, comme le démontraient les nombreuses pancartes ou les slogans dirigés contre l’hégémonie des Etats-Unis et des transnationales, contre les effets de l’ALENA (signé en janvier 1994), appelant à refuser la future ZLEA, l’accord de libre-commerce des Amériques.

En ce sens, le Mexique participe au mouvement qui touche toute l’Amérique latine. Comme au Brésil, en Colombie, en Equateur, en Bolivie, la société civile hausse le ton contre les politiques dictées par les institutions financières internationales, s’opposent à l’ouverture des frontières qui ne favorisent que les Etats-Unis et aux accords économiques bilatéraux qui n’ont engendré que la stagnation économique, le chômage et l’augmentation de la pauvreté.

Il est vrai que depuis la guerre en Irak, le sentiment anti-américain s’est considérablement renforcé. L’incident verbal du représentant du Mexique au Conseil de sécurité de l’ONU en est un bon exemple. Pour avoir déclaré que les Etats-Unis ne considéraient pas le Mexique comme un associé à part entière mais comme son arrière-cour, et qu’il fallait donc avaler des couleuvres, l’ambassadeur du Mexique à l’ONU, Adolfo Aguilar Zinzer, a été démissionné sous la pression «diplomatique» du secrétaire d’Etat Colin Powell, ce qui met en évidence le poids des Etats-Unis dans la politique mexicaine. Le limogeage de celui qui a défendu la position multilatérale du Mexique, aux cotés de la France et de la Russie lors des discussions sur l’Irak, illustre que le Mexique a du mal à défendre sa souveraineté, mais surtout qu’il n’a pas de politique d’Etat vis-à-vis de son puissant voisin, ce qui inquiète à juste titre l’ensemble de la population qui, par cette manifestation unitaire de milliers de personnes de tous bords, entend bien signifier au gouvernement qu’il doit en priorité défendre les intérêts du Mexique.



par Patrice  Gouy

Article publié le 28/11/2003