Esclavage
Les faux semblants de l’esclavage et de son abolition
Dans un article du Monde diplomatique paru en 1998, Elikia Mbokolo, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Afrique, s’était déjà élevé contre une certaine tendance relativiste, concernant la Traite des Noirs.
D’abord en soulignant que, dans le vaste mouvement historique de l’esclavage «ce n’est pas un hasard si, parmi tous ces trafics, c’est «la traite» dans l’absolu, c’est-à-dire la traite européenne et transatlantique, qui retient le plus l’attention et suscite le plus de débats. Elle n’est pas seulement, jusqu’à ce jour, la moins mal documentée. Elle est aussi celle qui s’est attachée de manière exclusive à l’asservissement des seuls Africains, tandis que les pays musulmans ont asservi indifféremment des Blancs et des Noirs…»
Ensuite, et dès lors que le commerce humain prend une tournure organisée, c’est toute l’Europe qui se met à «la curée», «en multipliant les compagnies à monopole et les forts, comptoirs et colonies qui s’égrènent du Sénégal jusqu’au Mozambique. Seuls manquent à l’appel la lointaine Russie et les pays balkaniques…». Quant à la complicité des Africains, Elikia Mbokolo propose de l’examiner sous un autre éclairage. Avaient-ils le choix ? «Les États africains se sont, si l’on peut dire, laissé piéger par les négriers européens», quitte à en tirer profit et à tenter de limiter la traite «dans des limites strictes», conscients qu’il leur faut jouer adroitement pour ne pas se faire balayer. Leur profit, continue l’auteur ? «Les chargements des navires négriers, scrupuleusement comptabilisés en bonne logique marchande, nous en donnent une parfaite idée : fusils, barils de poudre, eaux-de-vie, tissus, verroterie, quincaillerie, voilà contre quoi on a échangé des millions d’Africains.»
Il insiste par ailleurs sur la résistance opposée par les sociétés africaines à la Traite, dont l’histoire fut marquée, côté africain, par des révoltes qui trahissaient aussi des mutations sociales et culturelles importantes. Montrer qu’il y avait donc une dynamique interne de résistance n’est pas innocent ; car on affirme trop aisément que la lutte contre l’esclavage est venue, comme la traite, de l’extérieur, ce que réfute l’historien : «Le désir de liberté et la liberté elle-même ne sont pas venus aux Africains de l’extérieur, des philosophes des Lumières, des agitateurs abolitionnistes ou de l’humanitarisme républicain ; ils sont venus de l’élan propre des sociétés africaines.» Des sociétés africaines, soutient-il encore, qui ont été «saignées» et humiliées durablement, au point de subir encore les méfaits de cette mémoire négative qui projette son ombre sur le présent.
L’Histoire, La vérité sur l’esclavage, n°280, octobre 2003
4, rue du Texel 75 014 Paris
www.histoire.presse.fr
Ensuite, et dès lors que le commerce humain prend une tournure organisée, c’est toute l’Europe qui se met à «la curée», «en multipliant les compagnies à monopole et les forts, comptoirs et colonies qui s’égrènent du Sénégal jusqu’au Mozambique. Seuls manquent à l’appel la lointaine Russie et les pays balkaniques…». Quant à la complicité des Africains, Elikia Mbokolo propose de l’examiner sous un autre éclairage. Avaient-ils le choix ? «Les États africains se sont, si l’on peut dire, laissé piéger par les négriers européens», quitte à en tirer profit et à tenter de limiter la traite «dans des limites strictes», conscients qu’il leur faut jouer adroitement pour ne pas se faire balayer. Leur profit, continue l’auteur ? «Les chargements des navires négriers, scrupuleusement comptabilisés en bonne logique marchande, nous en donnent une parfaite idée : fusils, barils de poudre, eaux-de-vie, tissus, verroterie, quincaillerie, voilà contre quoi on a échangé des millions d’Africains.»
Il insiste par ailleurs sur la résistance opposée par les sociétés africaines à la Traite, dont l’histoire fut marquée, côté africain, par des révoltes qui trahissaient aussi des mutations sociales et culturelles importantes. Montrer qu’il y avait donc une dynamique interne de résistance n’est pas innocent ; car on affirme trop aisément que la lutte contre l’esclavage est venue, comme la traite, de l’extérieur, ce que réfute l’historien : «Le désir de liberté et la liberté elle-même ne sont pas venus aux Africains de l’extérieur, des philosophes des Lumières, des agitateurs abolitionnistes ou de l’humanitarisme républicain ; ils sont venus de l’élan propre des sociétés africaines.» Des sociétés africaines, soutient-il encore, qui ont été «saignées» et humiliées durablement, au point de subir encore les méfaits de cette mémoire négative qui projette son ombre sur le présent.
L’Histoire, La vérité sur l’esclavage, n°280, octobre 2003
4, rue du Texel 75 014 Paris
www.histoire.presse.fr
par Thierry Perret
Article publié le 02/12/2003