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Société de l''information

Daniel Stauffacher: «l’Afrique a raison de compter sur les nouvelles technologies»

L’ambassadeur Daniel Stauffacher est le délégué du Conseil fédéral suisse pour le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Il précise les points que la Suisse, hôte de la première phase, compte mettre en avant: la responsabilité des médias, la promotion des contenus locaux et de la diversité culturelle, l’importance du plan d’action. Il souligne également le rôle de partenaire que l’Afrique peut jouer dans la réussite de la rencontre.
RFI : Pourquoi la Suisse s’est-elle proposée pour accueillir le SMSI ?
Daniel Stauffacher :
Elle l’a fait dans un contexte particulier, qui est celui de notre entrée récente aux Nations unies, événement considérable pour notre pays. En outre, Genève, deuxième siège des Nations unies, abrite des agences qui ont beaucoup à dire dans la perspective de ce sommet: bien sûr l’Union internationale des télécommunications (IUT), mais aussi la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou du commerce (OMC), le Bureau international du travail (BIT), etc. Il faut créer des synergies avec et entre toutes ces agences.

Bien sûr, le SMSI, placé sous le haut patronage de Kofi Annan, est un sommet politique qui va accueillir beaucoup de chefs d’Etat. Il est nécessaire de travailler à ce niveau-là parce que les enjeux sont extrêmement importants : nous plaçons ce sommet sous l’angle du développement durable, et sous le grand « chapeau » des objectifs du Millénaire. Le clivage Nord-Sud est approfondi par les nouvelles technologies : il y a les pays, surtout du Nord, qui sont déjà partis dans un train à grande vitesse, et c’est difficile à rattraper si on ne fait pas quelque chose. Or il est de notre intérêt que ce clivage soit réduit. Le défi est de savoir comment mettre les nouvelles technologies au service du développement.

RFI : Quelles sont les pistes envisagées ?
D. S. :
Cette nouvelle thématique est vaste et compliquée. Nous sommes dans un début de réflexion, comme c’était le cas il y a une dizaine d’années pour l’environnement: les concepts étaient flous… Aujourd’hui, nous cherchons à cerner ce qu’il faut faire pour créer une société de l’information inclusive et équitable. C’est pourquoi tous les partenaires s’affrontent, négocient et travaillent pour s’accorder sur les grands principes et les mesures à prendre. Il s’agit de savoir ce qu’on fait avec l’information. Et comment on peut utiliser et partager le savoir.

Parmi les thèmes importants, il y aura le rôle des médias : quel est-il, dans cette nouvelle société de l’information ? La Suisse considère que c’est un point essentiel, et que les médias doivent y réfléchir eux-mêmes. Les médias, mais aussi les universités, les archives, toutes les sources d’information, ce que nous appelons les «content workers», les producteurs de contenu, doivent développer ensemble une stratégie permettant d’inclure les pays en développement et, pour les pays du Nord, d’inclure les couches désavantagées.

RFI : La Suisse va-t-elle défendre des points particuliers ?
D. S. :
Je viens de mentionner le rôle des médias: nous souhaitons que les textes officiels reconnaissent leur rôle de «stakeholder», de partie prenante aux côtés des gouvernements, ONG et autre secteur privé… Certains disent que ce qui compte c’est l’infrastructure, la connectivité. Mais ce n’est pas vrai: si vous mettez les câbles et les ordinateurs sans rien dedans… Donc le 2e point que nous défendons, c’est la promotion des contenus locaux et la diversité culturelle, car notre pays y est très attaché. En outre, bien sûr, cette nouvelle société doit être basée sur les droits de la personne.

Le 3e grand enjeu est opérationnel –pour nous, le plan d’action est aussi important que les grands principes de la déclaration. Les relations avec le secteur privé, les ONG, la société civile sont essentielles parce qu’on doit travailler ensemble, notamment pour les investissements et pour aboutir à un cadre juridique propice. En ce qui concerne les applications, on va travailler avec des écoles ou des universités mais aussi avec des ONG engagées dans le développement, et avec les médias. Dans la préparation du Sommet, on a fait beaucoup de progrès dans l’implication de tous ces partenaires.

RFI : La coopération suisse a-t-elle développé des initiatives en matière de nouvelles technologies ?
D. S. :
C’est encore tout nouveau, et l’idée de généraliser ces outils dans les programmes de développement n’est pas encore généralisée, que ce soit dans les ministères en charge de la coopération, dans les programmes nationaux des pays en développement ou chez les grands bailleurs de fonds. Mais il y a beaucoup de projets-pilote, partout. La problématique est de « scaling up », de passer à l’échelle supérieure, et ça c’est un souci pour les grandes agences, la Banque mondiale et les bailleurs bilatéraux. La grande plate-forme des Summit Events, les événements parallèles au sommet politique, sera très importante pour débattre de ce qui a marché ou non, de la « scalabilité » des projets-pilote…

RFI : Parce qu’à Genève, il y aura le in et le off ?
D. S. :
Oui, en quelque sorte. Mais le off se rapproche de plus en plus du in, car ces off vont faire rapport au Sommet et même contribuer aux annexes. Cette plate-forme s’ouvre, quelques jours avant le sommet, dans un cadre qui s’appelle ICT4D ; tous les acteurs auront la possibilité d’y montrer leur projet, et beaucoup de salles seront disponibles pour des ateliers, pour discuter, peut-être trouver des bailleurs pour des projets en gestation… En outre, des organismes comme le CERN, qui est à l’origine de la technologie du World wide web, vont réfléchir avec l’Unesco, qui organise un colloque de très haut niveau, sur le prochain pas de la technologie. Il y a aussi le Forum mondial sur les médias électroniques, qui réunira les entreprises publiques et privées du secteur, pour débattre du rôle des médias dans la nouvelle société… On attend, au total, de 5 à 6 000 personnes.

RFI : Quels sont les points possibles de contentieux ?
D. S. :
Ils sont nombreux: quelle gouvernance mondiale pour internet ? Comment assurer la sécurité du réseau sans limiter la liberté ? Le droit de communiquer est-il un nouveau droit de l’homme ? Comment considérer les médias, et leur liberté ? Comment financer les nouveaux projets ? Que recouvrent les droits de la propriété intellectuelle ? Tous ces points ne pourront pas être réglés à Genève, ce n’est d’ailleurs pas l’endroit indiqué. Mais il faudra sortir avec une déclaration de principes crédible et donc un plan d’action concret, avec des objectifs mesurables et des partenaires déterminés. L’implication du secteur privé et de la société civile notamment doit être précisée. Les chefs d’Etat, en lisant les documents, doivent pouvoir répondre à la question : « Si je viens à Genève, qu’est-ce que je peux ramener à la maison ?» Beaucoup de choses lancées à Genève seront évaluées à Tunis.

RFI : Que peut attendre l’Afrique d’un tel sommet ?
D. S. :
L’Afrique place beaucoup d’espoir dans cette société des nouvelles technologies et du savoir pour sauter des étapes, et je crois que cet espoir est pleinement justifié. La première conférence régionale a été celle de l’Afrique, en mai 2002, et elle a fait un travail de dégrossissage utile par la suite à tous. C’était symbolique. Il est également symbolique que nous ayons un président du Comité préparatoire venu d’Afrique. Nous savons que le Nepad et l’Union africaine portent attention aux nouvelles technologies. Pour nous, c’est très important: nous voyons un peu l’Afrique comme notre partenaire dans cette opération. A notre avis, ce sont les Africains qui devraient lancer un appel demandant aux chefs d’Etats du Nord de venir et de s’engager. La réunion de l’Union africaine à Maputo, en juillet, à laquelle nous avons participé avec le président Samassékou, a été pour nous très encourageante car nous y avons eu des réunions avec des chefs d’Etat importants qui sont prêts à répondre à notre invitation à venir à Genève.



par Propos recueillis par Ariane  Poissonnier

Article publié le 02/12/2003