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Reconstruction de l''Irak

La difficile mission de James Baker

Alors que la décision de Washington d’exclure des principaux contrats pour la reconstruction de l’Irak les entreprises des pays hostiles à une guerre contre le régime de Bagdad n’en finit pas de créer des remous, l’Américain James Baker a entamé ce lundi une délicate tournée qui doit notamment le mener en France, en Allemagne et en Russie. L’envoyé spécial de George Bush doit en effet tenter de convaincre, au lendemain de l'arrestation de Saddam Hussein, ces pays d’alléger l’imposante dette irakienne contractée par l’ancien pouvoir qui s’élève, selon le Fonds monétaire international, à quelque 120 milliards de dollars.
Il faudra à James Baker tout son talent de diplomate pour ne pas rentrer bredouille à Washington, car l’ancien secrétaire d’Etat américain, nommé il y a une dizaine de jours par George Bush «envoyé spécial pour la dette irakienne», va devoir affronter l’indignation des autorités françaises, allemandes et russes que le Pentagone a délibérément écartées des principaux contrats pour la reconstruction de l’Irak. Et si, à Washington, le président américain a défendu cette mesure pour ne pas avoir à désavouer publiquement son secrétaire adjoint à la Défense, le faucon Paul Wolfowitz, à l’origine de cette idée, il n’en demeure pas moins qu’à la Maison Blanche, l’embarras est de taille. Certains éditorialistes néo-conservateurs n’ont d’ailleurs pas hésité à qualifier de «bévue» l'initiative du Pentagone et invité M. Bush à la désavouer le plus vite possible, afin de réduire les «dégâts diplomatiques». Et ils ne sont pas les seuls puisque Howard Dean, l’un des candidats démocrates à l’investiture pour la présidentielle de l’an prochain, a qualifié George Bush de «vraiment stupide» en soulignant que l’Amérique avait besoin de l’aide de la France en Irak.

Il est vrai que les dégâts diplomatiques sont bien là. Si la France s’est contentée, dans un premier temps, de souligner qu’elle allait «étudier la compatibilité de ces décisions avec le droit international», l’Allemagne, elle, a déjà dénoncé une mesure «inacceptable». Et Gerhard Schröder a dit avoir «clairement indiqué» au président Bush que cette mesure marquait «un net retour en arrière» alors qu’à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies ils étaient «convenus de regarder vers l’avenir». Quant à la Russie, elle a d’ores et déjà fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention d’annuler la dette irakienne qui s’élève, pour elle, à la coquette somme de 8 milliards de dollars. «La Russie a d’importants intérêts économiques en Irak. Il ne convient pas de comparer ce pays à l’Afghanistan car l’Irak n’est pas un pays pauvre», a notamment insisté le ministre de la Défense Sergueï Ivanov.

C’est donc dans ce contexte de crispations que James Baker devra tenter, au cours de sa tournée, de «restructurer et de réduire la dette officielle de l’Irak», comme l’a précisé le département d’Etat. Le président Bush a, à cet effet, téléphoné à ses homologues français, allemand et russe pour leur demander de réserver à son envoyé spécial le meilleur accueil. Et même si, à Washington, les analystes sont nombreux à affirmer que l’initiative du Pentagone s’explique avant tout par des considérations électorales, Paris, Berlin et Moscou, qui comptent parmi les principaux créanciers de l’Irak, n’ont pas, semble-t-il, l’intention de céder à la demande pressante des Américains.

Le Club de Paris opposé «dans l’immédiat» à tout rééchelonnement

La dette contractée par l’ancien régime irakien s’élève, selon le Fonds monétaire international, à quelque 120 milliards de dollars, et ne comprend pas les réparations consécutives à l’invasion du Koweït qui bénéficient elles d’un régime spécifique. Un tiers de cette dette est dû aux pays membres du Club de Paris, qui compte justement comme principaux adhérents la France, la Russie et l’Allemagne. Cette institution avait, en juillet dernier, déclaré qu’elle était prête à «restructurer dès que possible» la dette irakienne et avait même accepté un moratoire jusqu’à la fin de l’année prochaine. Depuis, le Conseil de gouvernement transitoire irakien a lancé un appel à la communauté internationale lui demandant d’accepter un rééchelonnement de la dette du pays. Mais le Club a fait savoir qu’il n’en était pas question, «dans l’immédiat» arguant notamment que l’Irak, occupé par une coalition dirigée par Washington, n’était pas un Etat souverain.

Cette position d’attente, estiment les observateurs, ne signifie pas que le Club, le moment venu, ne fasse pas marche-arrière, mais à condition que les Etats-Unis reviennent eux aussi sur leur décision de garder pour eux le marché de la reconstruction de l’Irak. Les Russes, soulignent-ils, souhaitent naturellement récupérer les conséquents contrats pétroliers qui étaient les leurs sous le régime de Saddam Hussein et la France, comme l’Allemagne, étaient en Irak sur des marchés qu’ils n’entendent pas perdre. En matière commerciale, les relations entre Etats se sont toujours faites sur la base du «donnant-donnant», et il n’y a pas de raisons, estiment les spécialistes, qu’il n’en aille pas de même en Irak d’autant plus que les Etats-Unis, comme l’indique la chute vertigineuse du dollar, n’auront sans doute pas les moyens de tout gérer tout seuls, comme le rêvent les faucons du Pentagone.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 15/12/2003