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Afghanistan

Une <i>Loya Jirga </i>décisive pour l’avenir du pays

Plus de deux ans après la chute du régime des Taliban, l’Afghanistan poursuit sa difficile reconstruction politique. Un demi-millier de délégués de la Loya Jirga, cette grande assemblée traditionnelle afghane qui regroupe les représentants des différentes ethnies et communautés, se retrouvent en effet à partir de dimanche pour débattre de la future Constitution. Son adoption doit ouvrir la voie à une échéance politique cruciale pour le pays, le scrutin présidentiel prévu en juin 2004. La tenue de la Loya Jirga intervient dans un climat de violence, les Taliban ayant menacé de mort toute personne y participant. Elle intervient également au moment où les forces américaines ont décidé de lancer une vaste offensive, baptisée Avalanche, dans le sud, l’est et le sud-est du pays et considérée comme la plus grande opération terrestre jamais menée contre les anciens maîtres de l’Afghanistan. Une opération qui à peine lancée est déjà entachée de plusieurs bavures.
C’est sous très haute sécurité que doivent s’ouvrir ce dimanche à Kaboul les travaux de la Loya Jirga. La capitale afghane est en effet depuis plusieurs jours quadrillée par les forces de police assistées par un grand nombre de soldats de la toute nouvelle armée afghane (ANA) déployés à tous les carrefours de la ville et par les membres de l’ISAF, la Force internationale d’assistance à la sécurité. Le périmètre de l’Ecole polytechnique, où doivent se dérouler les débats, a été placé sous très haute surveillance et ses abords ont été interdits au public et à la circulation. Les autorités afghanes, tout comme les responsables militaires américains ne cachent en effet pas leur inquiétude quant au regain d’insécurité de ces dernières semaines. «Dans les prochains jours, les Taliban, al-Qaïda et les partisans du Hezb-i Islami vont être plus actifs et augmenter leurs attaques», a notamment affirmé le nouvel ambassadeur américain à Kaboul. Il a souligné que les Afghans étaient déterminés à ce que la Loya Jirga ait lieu. Mais, a-t-il prévenu, «ceux qui ne veulent pas que ce pays avance vont agir et accroître leurs efforts pour empêcher son déroulement».

Les travaux de cette assemblée traditionnelle sont cruciaux pour l’avenir du pays puisqu’ils doivent conduire à l’adoption de la future Constitution de l’Afghanistan comme le stipulent les accords inter-afghans signés fin 2001 à Petersberg, près de Bonn en Allemagne. Ces accords avaient, outre la mise en place d’un gouvernement de transition, décidé d’un calendrier très précis en prévision de la tenue d’élections libres à l’été 2004. Une commission constitutionnelle avait par la suite été créée avec pour unique mission de travailler à l’élaboration d’une loi fondamentale. Après près d’une année de travaux menés à huis clos sous l’égide des Nations unies et sans véritable consultation publique, cette commission a soumis début novembre au président Hamid Karzaï et aux plus hautes autorités du pays un projet officiel de Constitution. Le texte, qui comporte 160 articles et 12 chapitres, fait de l’Afghanistan «une république islamique, indépendante, unie et indivisible», conciliant les valeurs de l’islam et celles de la démocratie occidentale.

Un régime présidentiel fort

La nouvelle Constitution prévoit par ailleurs l’instauration d’un système présidentiel fort, vaguement inspiré du modèle américain. Le chef de l’Etat est élu directement au suffrage universel pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois et se voit octroyer presque tous les pouvoirs. Commandant en chef des armées, il désigne les ministres et les membres de la Cour suprême, nomme les gouverneurs des provinces ainsi que les principaux responsables de l’armée, de la police, des services de sécurité, de la justice et de l’Etat. Seule lui échappe la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale qui représente le «plus haut organe législatif du pays» et qui peut à ce titre ratifier, modifier ou abroger les lois et les décrets.

Depuis sa divulgation, ce projet de loi fondamentale, qui défend également la tolérance en matière religieuse et prône la parité homme-femme en matière d’éducation, est la cible de nombreuses critiques. La société civile afghane, les organisations de femmes en tête, réclame ainsi que le principe d’égalité entre hommes et femmes figure explicitement dans la nouvelle Constitution, soulignant que l’actuel texte, qui interdit «toute forme de discrimination entre les citoyens qui sont égaux devant la loi», pouvait être facilement mal interprété. Ces associations ont d’ores et déjà proposé toute une série d’amendements visant à garantir les même droits politique économique et sociaux aux hommes et aux femmes et à abolir les violences qui leur sont faites.

De nombreuses voix se sont également élevés contre ce projet de loi fondamentale dans les rangs des leaders moudjahidine, fortement représenté au sein de la Loya Jirga, et des chefs de guerre qui dénoncent le pouvoir trop puissant accordé au chef de l’Etat. Un pouvoir également contesté par les étudiants qui ont récemment manifesté dans les rues de Kaboul sous les cris : «Nous voulons un Premier ministre et un parlement fort qui représente tout le peuple afghan, pas une dictature présidentielle !».

Dans ce contexte et au vue de la configuration de la Loya Jirga, le président Hamid Karzaï aura inévitablement à faire des concessions s’il tient vraiment à ce qu’une Constitution soit adoptée et le calendrier électoral respecté.. Sur les 500 délégués qui doivent prendre part aux débats, nombreux sont ceux qui sont en effet soit membres soit sympathisants des mouvements de moudjahidine, hostiles à l’actuel chef de l’Etat. Car si Hamid Karzaï a pu désigner 50 membres de la Loya Jirga, 344 ont été élus par les représentants de la population et 70% d’entre eux adhèrent à cette mouvance. Les 42 délégués restants, dont 20% de femmes, ont été élus par leurs communautés et représentent les réfugiés, les déplacés, les nomades et les minorités hindoues et sikhs. Soixante-quatre femmes ont enfin été désignées par les représentantes des femmes afghanes. Ces élections se sont déroulées sous l’égide des Nations unies et de très rares irrégularités ont été enregistrées. Mais à en croire de nombreux observateurs, les discussions devraient durer plusieurs mois.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 12/12/2003