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Culture

«Confucius à l’aube de l’humanisme chinois»

Guimet, le musée national des arts asiatiques à Paris, rend hommage au plus célèbre penseur de l’empire du Milieu. Une exposition réalisée dans le cadre de l’année de la Chine à Paris, jusqu’au 29 février 2004.
Enigmatique Confucius ! Apparemment, son nom est universellement connu. Il est sans aucun doute l’un des penseurs les plus influents de la culture chinoise, considéré comme un maître immortel de sagesse et de sainteté. Mais il demeure mystérieux pour bon nombre d’Occidentaux. Normal : si de nombreux textes parlent de K’ong fou tseu, Kongzi, ou Kong fuzi, «le maître Kong», occidentalisé «Confucius» n’existe pas aux yeux des archéologues: il ne subsiste pas le moindre vestige matériel du Sage. Il ne resterait en somme qu’une famille qui s’honore d’être sa descendance, et quelques textes dont nul n’est très sûr : c’est donc un voile de mystère qui entoure la vie et l’œuvre du penseur fondateur du confucianisme.

Pourtant, la Réunion des musées nationaux et le musée Guimet ont voulu relever le défi, et offre aujourd’hui aux visiteurs une remarquable exposition, aussi belle que pédagogique pour tenter d’expliquer en quelques salles la vie de fantôme du philosophe à la légende dorée, et son enseignement pieusement recueilli par ses disciples. A l’entrée de l’exposition, une initiative originale : la transposition en français d’une bande dessinée chinoise mise en images par le peintre Ye Xin, qui retrace les grandes étapes de la vie supposée de Confucius.

C’est dans l’Etat de Lu (province de Shandong) que le Sage –souvent représenté en docte vieillard doté d’une longue barbe blanche– a vu le jour, en un temps capital de l’Histoire. Nous sommes alors au Vème siècle avant Jésus-Christ, celui de la grande fermentation intellectuelle des Périclès, Socrate, Platon, Epicure, Aristote ; un siècle qui fut aussi celui du père du taoïsme, Laozi, et de Bouddha.

En Chine, les filles ne pouvant pas assurer les rites des ancêtres, la naissance de Confucius fut très bien accueillie par ses parents ; malheureusement, son père, qui était alors gouverneur de la province de Lu -une des quinze provinces chinoises d’alors- mourut trois ans après sa naissance. K’ong tseu fut alors élevé dans la pauvreté, mais éduqué selon les valeurs de l’aristocratie, suivant une éducation de haut niveau, nourrie des traditions culturelles. La première salle de l’exposition atteste de ce concept clef du culte des ancêtres, et présente une vingtaine de bronzes archaïques magnifiques et de vases cérémoniels remontant à la dynastie des rois Shang (une lignée dont serait issu Confucius); certaines pièces, provenant des familles nobles de la province natale de Confucius, apprennent aux visiteurs comment le souverain qui gouverne par les armes et la guerre, n’oublie jamais pour autant de maintenir les liens avec les esprits des ancêtres et d’exprimer ainsi son respect de la vie et de la mort.

Adulte, Kongzi occupe le poste d’archiviste historiographe de la famille Ji; puis il accède à la fonction de ministre des Travaux publics avant d’entamer une carrière d’enseignant ; c’est alors qu’il voyage, militant pour un monde meilleur, et qu’il entreprend de dispenser son enseignement à un petit groupe de disciples qui le suit. Nommé magistrat à l’âge de 50 ans, il est ensuite chargé de la justice dans l’état de Lu, où il s’emploie à faire des réformes. Enfin il passe les dernières années de sa vie retiré, écrivant des commentaires sur les auteurs classiques. Enterré à Ch’u Fu (Shandong), il repose aujourd’hui dans la forêt K’ung. Les auteurs de l’exposition ont eu la très jolie idée de symboliser cette place de l’arbre dans la forêt en érigeant toute une série de colonnes sur lesquelles figurent des pensées du maître Kong, et parmi lesquelles le visiteur peut circuler pour lire une série de sentences et de préceptes. Dans la toute enière salle, une vidéo nous promène sur le site même du temple de Confucius.

L’enseignement de Confucius, Maître des printemps et des automnes

Cet enseignement est entièrement pratique et d’ordre éthique. L’exposition présente l’un des plus anciens exemplaires exhumés sur papier, datant du XIIIème siècle : en fait, l’ensemble des écrits exprimant la quintessence de la pensée de Confucius fut gravé sur pierre pour la première fois au IIème siècle, et les textes furent consignés par écrit, beaucoup plus tard. Pour présenter quelques éléments de cette pensée, une idée originale : des rouleaux de papier pendent du plafond d’une des salles de l’exposition, portant des anecdotes, des aphorismes, et des histoires illustrant la pensée du Sage.

Maître des printemps et des automnes ? Parce qu’à cette époque les gouvernements changeaient beaucoup. Maître Kong déplorait le désordre et le manque d’éthique sous la dynastie Chou. Et, selon lui, un bon gouvernant devait lui-même mener une vie exemplaire pour entraîner les citoyens à observer la même conduite; l’Etat dès lors ne connaîtrait plus que prospérité et bonheur. Confucius, reconnu de son vivant comme un grand penseur, fut considéré par la suite comme un être surnaturel -un paradoxe si on considère que toute sa vie il prôna l’agnosticisme. Le confucianisme fut érigé en orthodoxie d’Etat.

Dans la grammaire chinoise même les notions de sujet et d’individu sont très relatives, et à ce titre le concept d’humanisme attaché à Confucius pourrait être contestée par des historiens pointilleux. Pourtant, Confucius enseigne que l’«homme de bien» doit chercher à se dépasser en développant ses qualités de cœur et d’esprit, que l’homme doit se conduire avec bonté, bienséance, droiture, loyauté, et qu’il doit respecter ses parents. Tout homme est perfectible, et l’apprentissage de la sagesse doit passer par l’étude des six liu yi, littéralement «les six arts», qui doivent placer l’Homme en harmonie avec la nature, et lui apprendre à rester humble; ces six disciplines sont les rites et la musique, l’écriture et la science des nombres, la conduite de char et le tir à l’arc. Grâce à des prêts exceptionnels de pièces -un très beau carillon de cloches, un char, ou bien encore des robes et des ornements- l’exposition rend compte du statut particulier, auréolé de prestige, auquel accédaient alors les lettrés.

En somme, si le pari de vouloir exposer une légende et une doctrine à partir d’objets de collection était audacieux, il est légitime de saluer ici la réussite du projet, qui donne ainsi au visiteur une des clefs pour comprendre cette culture millénaire. L’exposition quittera Paris fin février pour s’installer à Barcelone.



par Dominique  Raizon

Article publié le 08/01/2004