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Turquie

Istanbul n’est pas prête au grand séisme qui la menace

Malgré les images terribles de la grande secousse du 17 août 1999 et ses 20 000 morts (dont un millier à Istanbul), et de celui, qui, trois mois plus tard, fit encore 1200 morts dans la région, la métropole stanbuliote n’est pas armée pour affronter le choc sismique promis par les scientifiques.
C’est le seul signe visible d’une préparation concrète, dans cette grande ville de près de quinze millions d’habitants, à laquelle les scientifiques turcs et étrangers promettent un fort tremblement de terre dans les toutes prochaines décennies: des gros conteneurs métalliques orange, disposés bien en évidence dans des endroits dégagés de la métropole. En cas de catastrophe, chacun d’eux sera un point de rassemblement et de distribution du matériel de secours de première nécessité. Il y en a ainsi 760 disposé dans chacun des quartiers de cette gigantesque agglomération implantée sur deux continents, traversée par le détroit du Bosphore. C’est un signe visible qui a au moins le mérite de maintenir éveillée la vigilance de la population, qui aurait trop tendance à vouloir oublier le risque sismique, par fatalisme autant que par insouciance.
C’est aussi le premier –si ce n’est le seul– exemple de collaboration entre les différentes autorités (de la préfecture à la mairie de quartier) chargées de gérer la crise annoncée, qui risque fort d’être une catastrophe humanitaire en raison des nombreux secteurs d’impréparation: ceux qui alourdiront le bilan humain, au moment même de la secousse, et ceux qui compliqueront immanquablement la tâche des sauveteurs, après le choc, liste Jean-François Pérouse, qui dirige l’Observatoire urbain d’Istanbul à l’Institut français des études anatoliennes (Ifea, dépendant du CNRS): «Les deux principaux problèmes de la métropole d’Istanbul sont l’auto-construction, un phénomène massif et porteur de bien des incertitudes, et les difficultés de circulation et d’accès».

Travaux peu avancés

«Pour les bâtiments publics, le travail a été grosso-modo initié, à l’image de la grande mairie d’Istanbul, toujours en réfection», explique Jean-François Pérouse. Mais le renforcement des buildings appartenant à l’institution judiciaire et, plus grave, ceux abritant des hôpitaux, voire de certaines universités, est bien peu avancé. Seul secteur où le gouverneur d’Istanbul peut se féliciter d’avoir bien avancé le travail en raison de son caractère sensible pour l’opinion publique: les écoles. En août dernier, pour le quatrième anniversaire de la secousse de 7,2 sur l’échelle de Richter, il se félicitait d’avoir terminé le programme d’inspection du quartier pilote de Bakirköy, puis de renforcement d’une douzaine de ses écoles. «Dans deux ans, ce travail sera terminé pour l’ensemble de la mégapole, il en coûtera quelque 14 milliards d’euros», prévoyait-il.
Des codes barre sur les portes d’entrée des immeubles d’habitation attestent d’une volonté de répertorier systématiquement l’habitat existant, mais «cet inventaire n’est même pas terminé», se lamente M. Pérouse, ce qui veut dire qu’on est encore loin d’avoir circonscrit les problèmes. Et les mairies n’ont de toutes façons pas les moyens de forcer les habitants à faire des travaux de renforcement, encore moins d’expulser pour détruire des bâtiments qui pourtant, comme les séismes d’Izmit, Düzce et Bingöl l’ont montré, sont le plus souvent bâtis en dépit du moindre respect des normes existantes, des normes qui existent en Turquie depuis les années 70 et qui sont au niveau des standards internationaux, du moins sur le papier.
Une ballade sur les «axes rouges» d’accès d’urgence en cas de catastrophe fait comprendre l’ampleur de la tâche qui attend les forces de sécurité pour l’application des bonnes résolution: les voitures stationnées sur la chaussée ou à moitié sur le trottoir sont légion, et constitueront autant d’obstacle pour accéder aux victimes ou les acheminer vers les hôpitaux le jour du grand «boum». Certaines initiatives de quartier ont réussi à intéresser la mairie pour faire modifier le dessin des rues, ne laissant qu’une seule voie au stationnement. Mais les rues ainsi rendues plus étroites sont d’autant plus encombrées par les automobilistes qui se garent malgré tout, de manière encore moins organisée qu’auparavant, se lamente l’initiatrice de ce projet, Necile Demircioglu, de l’association pour l’embellissement de Cihangir.
Autre problème de fond: l’accès à des informations indépendantes, voire un problème de concurrence entre des instances officielles censées gérer le risque, voire évaluer la fragilité de certains bâtiments, comme le montrent des différends récurrents entre la mairie d’Istanbul et des équipe de recherche universitaire pourtant commissionnées par les autorités pour ce travail d’expert sur le terrain. Un point qui déçoit particulièrement Korhan Gümüs, urbaniste et animateur de l’association pour l’établissement humain, dont l’action bénévole, avec une poignée de volontaires, avait été louée par les services de l’état qui avaient même utilisé leur expérience de terrain. «On avait cru voir naître la société civile, à l’époque, à la faveur de la mobilisation de solidarité suivant le 17 août, mais elle a rapidement été broyée par le système, qui ne veut toujours pas reconnaître son utilité», est-il forcé de reconnaître.



par Jérôme  Bastion

Article publié le 26/01/2004