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Irak

Le pavé dans la mare de David Kay

L’argument de la menace des armes de destruction massive (ADM) irakiennes pour justifier la guerre contre le régime de Saddam Hussein vient de perdre de sa crédibilité après la démission du chef de la mission d’experts américaine David Kay, vendredi 23 janvier, et ses déclarations selon lesquelles «ces armes n’existent pas». L’affaire prend une tournure très embarrassante pour l’administration américaine et le gouvernement britannique.
Dans un entretien accordé à l’agence britannique Reuters, peu après sa démission vendredi, le responsable de la mission Irak Survey Group (ISG) révèle que son intime conviction est «qu’il y avait des stocks (importants d’armes chimiques) à la fin de la guerre du Golfe (en 1991) et que la conjugaison du travail des inspecteurs de l’Onu et des actions unilatérales irakiennes les a fait disparaître» après 1995. Concernant la partie nucléaire du dossier, David Kay évoque des activités qu’il qualifie de «rudimentaires». En conclusion, il déclare que les ADM irakiennes n’ont pas été détruites à la veille du déclenchement des hostilités pour la simple raison qu’elles n’existaient pas.

Pourtant lors de son discours sur l’état de l’Union, prononcé il y a quelques jours, le président américain s’était appuyé sur les travaux de la mission pour justifier une nouvelle fois l’intervention contre Bagdad, déclarant notamment que «le rapport Kay a identifié des douzaines d’activités liées à des programmes de destruction massive et une quantité significative d’équipement que l’Irak dissimulait aux Nation unies. Si nous n’avions pas agi, les programmes d’armes de destruction massive du dictateur continueraient aujourd’hui».

David Kay n’en conclut pas pour autant à une imposture présidentielle américaine. Selon lui, le président des Etats-Unis a agi de bonne foi et a été abusé par ses services de renseignements. Il estime «qu’en réalité ce sont les services de renseignement qui doivent fournir une explication au président». Interrogé sur la radio publique américaine National public radio, il a déclaré qu’«il ne s’agit pas d’une question politique mais de celle de la capacité des agences de renseignement à collecter des informations crédibles».

Toutefois, on relève des ambiguïtés dans les déclaration de M. Kay. Tantôt il précise ne pas avoir la preuve de transferts de matériels sensibles vers la Syrie, en dépit de l’observation d’un important trafic entre les deux pays à la veille de l’ouverture des hostilités. «Il y a des photos de satellites et des observations au sol qui ont montré un flot constant de camions, de voitures et de trains à la frontière (…) mais nous ne savons pas ce qui a été transporté», explique-t-il. Tantôt il ne laisse planer aucun doute. Dans une interview publiée dimanche dans le journal britannique Sunday Telegraph, il affirme en effet qu’une partie de l’arsenal secret de Saddam Hussein a été transféré en Syrie au mois de mars, peu avant le déclenchement de la guerre. «Nous ne parlons pas là d’une grande quantité d’armes. Mais nous savons, à la suite des interrogatoires d’anciens responsables irakiens, qu’une grande quantité de matériel est allée en Syrie avant la guerre, dont des composants du programme d’armes de destruction massive de Saddam Hussein». Accusations «mensongères et sans fondement» a aussitôt démenti le ministre syrien de l’Information selon lequel «l’objectif est de couvrir leur échec».

Semaine difficile pour Tony Blair

En tout cas, à l’orée d’une campagne décisive pour l’avenir politique du président américain, l’opposition démocrate s’empare d’un argument électoral qui tombe à pic. Selon le sénateur John Kerry, vainqueur des primaires dans l’Iowa, la semaine dernière, les membres de l’administration Bush «devraient être tenus pour responsables de l’exploitation de l’argument des armes de destruction massive». Les services de renseignement sont la cible des plus vives critiques. Les sénateurs démocrates du Connecticut et de Caroline du Nord réclament l’ouverture d’une enquête. «Il est de plus en plus évident que nos renseignements étaient faux», déclare le sénateur John Rockfeller. Le candidat à l’investiture Wesley Clarke affirme que «cela va au-delà de la communauté du renseignement, parce que je pense que cette administration a fait de la politique avec des renseignements et s’est réellement appuyée sur les services de renseignement pour obtenir les réponses qu’elle souhaitait».

Côté britannique, l’affaire survient à un moment délicat pour le Premier ministre. C’est en effet mercredi que sera rendu public le rapport sur le suicide de David Kelly. Ce dernier, expert en armes de destruction massive, avait été l’informateur du journaliste de la BBC Andrew Gilligan qui, sur la foi des renseignements de M. Kelly, avait accusé le gouvernement britannique d’avoir surévalué la menace irakienne pour justifier la guerre. Mardi, Tony Blair aura affronté un débat parlementaire houleux sur sa réforme très contestée des universités. Dès l’annonce de la démission de David Kay, les services du Premier ministre britannique diffusait un communiqué appelant à la patience. «Il est important que (…) nous laissions l’Irak Survey Group faire son travail. Il reste une tâche à accomplir et nous en attendons les conclusions. Mais notre position reste inchangée», déclarait vendredi un porte-parole de M. Blair.

Après l’annonce de la démission de M. Kay, la CIA a aussitôt annoncé qu’il était remplacé à la tête de la mission ISG par Charles Duelfer, l’ancien numéro deux de l’équipe d’experts en désarmement de l’Onu durant la période 1993-2000. Celui-ci déclarait récemment que si M. Kay et son équipe n’avait pas trouvé, c’est que les ADM irakiennes «n’existent probablement pas».



par Georges  Abou

Article publié le 26/01/2004