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Agriculture

Des abeilles et des hommes

La firme agrochimique BASF Agro, fabricant de l’insecticide Régent TS, conçu pour protéger le tournesol, a été mise en examen pour sa responsabilité présumée dans la surmortalité du cheptel apicole dans le sud-ouest de la France. Pour les apiculteurs français, il s’agit d’une première victoire et de la reconnaissance d’un préjudice économique et écologique. Des conséquences sur la santé humaine restent à explorer.
Après deux ans de procédure un juge de Saint-Gaudens, dans le département de la Haute-Garonne, a prononcé mardi la mise en examen de l’entreprise BASF Agro, présumée responsable d’avoir contribué à décimer le cheptel apicole de la région en mettant à la disposition des agriculteurs un insecticide, le Régent TS, particulièrement nocif pour les abeilles.

L’information judiciaire du juge Jean Guary avait été ouverte voici deux ans pour «destruction de bien appartenant à autrui». Aujourd’hui, le géant mondial de l’industrie agro-chimique BASF et son PDG sont mis en examen pour «mise en vente de produits agricoles toxiques nuisibles à la santé de l’homme et de l’animal», «défaut d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire» et «tromperie sur l’aptitude à l’emploi d’un produit, les risques inhérents à l’utilisation, les contrôles effectués et les précautions à prendre concernant ce produit». L’entreprise est placée sous contrôle judiciaire et le juge a ordonné l’interdiction immédiate de la commercialisation de l’insecticide Régent TS, conçu pour enrober la semence du tournesol et permettre à la plante de se développer à l’abri des parasites.

Pour les apiculteurs, c’est un événement, une première victoire, ainsi que la reconnaissance qu’ils n’ont pas rêvé au cours de ces dernières années, au cours desquelles ils ont constaté une mortalité massive tout à fait anormale de leurs abeilles, au regard des maladies apicoles qu’ils doivent affronter ordinairement. Depuis de très nombreuses années, en effet, face à la destruction de leur cheptel, ils tiraient la sonnette d’alarme et le président de l’Union nationale des apiculteurs (Unaf) de France Jean-Marie Sirvins soulignait vendredi dans Libération le caractère inédit de l’événement : «c’est une première en matière environnementale, le résultat d’une bataille de dix ans». «En 1994, on comptait 1,5 million de ruches en France : 500 000 ont disparu. Nous importons aujourd’hui 20 000 à 24 000 tonnes de miel : c’est une absence de bon sens», expliquait M. Sirvins.

Mais ce n’est qu’une première étape. La molécule active du Régent TS, présumée responsable de l’hécatombe s’appelle le fipronil. Mais depuis une dizaine d’années, un autre principe actif, l’imidaclopride, contenu dans un autre insecticide protecteur du maïs, le Gaucho, avait ravagé les ruches françaises. Le Conseil d’Etat doit se prononcer prochainement sur son retrait définitif du marché.

L’homme ne survivra pas à la disparition des abeilles

Les apiculteurs français, dont le combat avait évidemment transcendé les clivages politiques, avaient été largement soutenu. Ils avaient notamment reçu l’appui du syndicat agricole Confédération paysanne, du Conseil général de Vendée et du député de Vendée Philippe de Villiers, où l’activité apicole traditionnellement florissante avait été considérablement affectée par la mortalité massive des abeilles.

La popularité du combat des apiculteurs contre les Régent TS et autre Gaucho vient également des préoccupations qui se manifestent parmi les chercheurs et au sein de l’opinion publique sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité. Indépendamment de la sympathie que l’on peut spontanément éprouver pour une profession qui tire l’essentiel de ses ressources d’une activité dite «naturelle», l’insecte dont elle tire son bénéfice accomplit un travail fondamental, invisible et méconnu de pollinisation des plantes dont Albert Einstein disait que l’homme ne lui survivrait guère plus de quelques années s’il venait à disparaître.

Néanmoins, en dépit de cet aspect capital de l’activité, et du soutien global du personnel politique, les apiculteurs estiment que non seulement ils n’ont pas été entendus des administrations publiques au cours de ces dernières années, mais qu’ils ont été sacrifiés sur l’autel de l’agro-industrie. Pour eux, le ministère de l’Agriculture demeurera longtemps encore le ministère de l’agrochimie. Le président de l’Unaf explique qu’il y a une omniprésence des firmes à toutes les étapes de l’homologation des produits et que les décisions officielles se prenaient en conséquence en connivence avec les firmes de l’agrochimie. Selon lui, d’autres mises en examen vont suivre, notamment parmi les anciens propriétaires des licences (Rhône-Poulenc, Aventis, Bayer), et entraîner la mise en cause de membres de l’administration qui, acculés, éprouveront eux-mêmes le besoin de se retourner contre des responsables politiques qui révéleront à leur tour le silence plus ou moins tonitruant des ministères successifs de l’Environnement. Car indépendamment des dénégations de BASF et du ministère de l’Agriculture, des chercheur, professeur, médecin, ont estimé que les études réalisés avaient sous-évalué la toxicité du produit et révélé des lacunes méthodologiques.

D’ores et déjà, le président de BASF Agro a déclaré vendredi qu’il souhaitait confirmer «avec la plus grande force que la Commission d’études de la toxicité des produits phytosanitaires qui dépend du ministère de l’Agriculture a confirmé en décembre dernier que le Régent TS ne présentait pas de risques pour le consommateur. Je suis sur ce point à la fois très serein et très solide sur mes argumentations», a déclaré Emmanuel Butstraten à la station de radio RTL. La société a fait appel de la suspension de la commercialisation de son produit et de sa mise en examen. BASF va notamment devoir démontrer que l’accumulation du fipronil, constatée dans le lait des vaches, n’affecte pas la chaîne alimentaire. M. Butstraten explique la surmortalité des abeilles par «la raréfaction des plantes mellifères (comme le trèfle), la réduction des surfaces cultivées en tournesol ou à des parasites ou des maladies comme le varroa ou les loques», spécifiques aux abeilles.



par Francine  Quentin

Article publié le 20/02/2004