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Proche-Orient

La bataille du «mur» s’engage à La Haye

«Clôture de prévention du terrorisme» pour les uns, «mur de l’apartheid» pour les autres, l’ouvrage qu’Israël érige depuis 2002 en Cisjordanie pour officiellement se prémunir de l’infiltration des kamikazes palestiniens divise la communauté internationale. Si cette dernière condamne certes majoritairement la construction de cet édifice qui s’enfonce dans les terres palestiniennes, elle rechigne en revanche à voir sa légalité examinée par la Cour internationale de justice de La Haye, invoquant notamment les répercussions qu’un avis défavorable à l’Etat hébreu aurait sur la reprise du processus de paix israélo-palestinien.
Israël ne se présentera pas lundi devant la Cour internationale de justice (CIJ) qui a été chargée en décembre dernier par l’Assemblée générale des Nations unies de donner un avis consultatif sur «les implications juridiques de la construction du mur en territoire palestinien occupé». L’Etat hébreu a en effet décidé de boycotter les audiences orales à La Haye, se contentant de la déposition écrite de 150 pages qu’il a présentée à la Cour et qui dénie à ce tribunal toute compétence pour statuer sur un ouvrage qu’il assure être «fondamental à sa défense». Les Palestiniens estiment au contraire que la CIJ a toute latitude pour examiner la demande de l’Assemblée générale dans la mesure où «le mur» construit par les autorités israéliennes s’enfonce largement dans leurs territoires et que son tracé aura pour conséquences d’enfermer les populations palestiniennes dans des espèces de bantoustans.

Mais au-delà d’une condamnation par la Cour internationale de justice de la «barrière de sécurité» que les experts israéliens jugent eux-même inévitable, les Palestiniens espèrent en réalité voir le principal organe judiciaire des Nations unies condamner l’occupation israélienne. Un avis favorable aux Palestiniens de la CIJ devrait en effet permettre de confirmer du point de vue de la légalité internationale le statut des territoires palestiniens où Israël n’a jamais reconnu formellement être une puissance occupante. «Nous sommes conscients que l’avis de la CIJ est consultatif», a ainsi confié Saëb Erakat, le ministre palestinien en charge des négociations. «Mais il faut noter qu’Israël n’a pas reconnu à ce jour qu’il est une force occupante et qu’il doit par conséquent appliquer les traités internationaux, notamment la IVème Convention de Genève» qui définit les obligations de la puissance occupante envers la population civile, a-t-il souligné. «Le monde entier sait qu’Israël est une force occupante mais il faut que ce pays le reconnaisse et ne se dérobe pas aux obligations que cela entraîne», a-t-il ajouté.

Une bataille médiatique

Une fois n’est pas coutume, le Comité international de la Croix-Rouge –organisation gardienne des Conventions de Genève de 1949 sur la protection des prisonniers et de civils en temps de guerre– a vivement critiqué ces derniers jours la «ligne de sécurité» érigée par Israël l’estimant contraire au droit humanitaire internationale. Le CICR a ainsi demandé dans un communiqué à l’Etat hébreu de «ne pas planifier, construire ou maintenir cette barrière en territoire occupé» en raison principalement des graves conséquences humanitaires et économiques pour des milliers de Palestiniens. «Dans les endroits où elle s'écarte de la Ligne verte –ligne de l’armistice de 1949 qui sépare Israël de la Cisjordanie– et empiète sur les territoires occupés, la barrière prive des milliers de Palestiniens d'un accès adéquat à des services essentiels comme l'approvisionnement en eau, les soins médicaux et l'éducation, ainsi qu'à des sources de revenu telles que l'agriculture et d'autres types d'emplois», ajoute notamment le texte.

Ce constat de la Croix-Rouge semble aujourd’hui largement partagé par la communauté internationale qui a majoritairement condamné le tracé du «mur». Mais paradoxalement, les pays de l’Union européenne et la Russie ont choisi de se ranger aux côtés des Etats-Unis qui se sont ouvertement opposés à une saisine de la Cour internationale de justice sur la légalité de la «barrière de sécurité». Ces pays, qui ont décidé de ne pas prendre la parole lors des audiences de la CIJ, estiment en effet qu’Israéliens et Palestiniens ont besoin de «dialogue» et que la saisine de cet organe ne va pas les aider à reprendre les pourparlers de paix. Les Européens ont toutefois transmis à la CIJ des mémoires écrits détaillant leur position sur l’ouvrage édifié par Israël.

Juridique, la bataille qui s’engage lundi à La Haye sera également menée sur le plan médiatique. Côté palestinien, le président Yasser Arafat a prévu de prononcer un discours à l’occasion du début des audiences de la CIJ. Après son intervention, les sirènes d’alarme et les cloches des églises doivent retentir et la circulation s’arrêter pendant cinq minutes. Les fonctionnaires et les employés du secteur privés doivent pour leur part observer un arrêt de travail d’une heure. Des marches et des manifestations sont également prévues dans les localités traversées par la «barrière de sécurité». Et la journée de lundi a été proclamée «journée nationale contre le mur».

Côté israélien et bien que les autorités aient choisi de boycotter la CIJ, l’Etat hébreu sera bien présent à La Haye avec la ferme intention de convaincre l’opinion publique internationale de son bon droit. Quelque 900 personnes ont ainsi prévu de défiler en brandissant chacune la photo d’une victime tuée dans les attaques palestiniennes, leur message étant de souligner que la «ligne de sécurité» permettra de sauver des vies. Une organisation juive ultra-orthodoxe a quant à elle choisi de présenter la carcasse calcinée d’un autobus détruit par un kamikaze. Et le ministère des Affaires étrangères a dépêché plusieurs fonctionnaires avec pour mission de défendre la position d’Israël.

Fermement campés sur leurs positions, Israéliens et Palestiniens n’ont donc apparement pas l’intention de reprendre des pourparlers de paix au point mort depuis près d’un an.

Ecouter également

l’Invitée de la mi-journée: Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit international à l'université de Genève et spécialiste des organisations internationales. Elle répond aux questions de Philippe Lecaplain (23 février 2004, 4'44").

En savoir plus:

Consulter le site Internet de la Cour internationale de justice.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 20/02/2004