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Congo démocratique

Réfugiés en Zambie

Le président de la République Démocratique du Congo est en tournée en Europe à la recherche de soutiens et d’investissements. A Paris, devant les décideurs politiques et les chefs d’entreprises, Joseph Kabila a vanté la réconciliation nationale et le retour à la paix dans son pays. Mais dans certaines régions du Congo, notamment au Katanga et au Sud-Kivu, la réalité est tout autre. Des groupes armés incontrôlés commettent des pillages, des meurtres, des viols. Des réfugiés continuent d’arriver à la frontière zambienne, dans deux camps déjà surpeuplés.
De notre envoyé spécial en Zambie

A la frontière nord de la Zambie avec la RDC, la grande forêt vient à la rencontre de la savane. De grands arbres, des rivières tumultueuses, des rochers, des cascades forment un paysage digne des films de Tarzan. Mais c’est une tragédie quotidienne qui se joue dans ce décor. Le père de famille pousse sa vieille bicyclette chinoise surchargée de ballots, la mère suit avec un bébé dans le dos, et deux autre enfants portent des marmites et un sac de charbon. «Nous avons quitté Moba il y a trois semaines», explique Norbert. Moba est une petite ville sur la rive congolaise du lac Tanganyka. «Chez nous, on ne sait plus qui commande, tantôt des Maï-Maï , tantôt des FAC (Forces armées congolaises). Ils viennent voler, brûler. On avait peur, on est parti».

Norbert a abandonné l’Institut des techniques médicales où il poursuivait des études chaotiques, sa femme a laissé les plantations. La petite famille vient d’être accueillie au camp de Kala, géré par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies. Le HCR avait espéré entamer les rapatriements en 2002. Mais c’est l’inverse qui se produit, et des petits groupes continuent à arriver. Mardi 3 février, 67 nouveaux réfugiés sont enregistrés. On leur attribuera un petit carré de terrain pour construire une case en torchis couverte de paille. Kala n’est pas un camp de toile comme on en voit partout ailleurs, c’est un village africain aux dimensions inhabituelles qui ne cesse de s’agrandir. Les allées à angle droit séparent les quartiers nommés «Bukavu» ou «Kalemie», témoins d’un regroupement par région d’origine et d’une nostalgie tenace des réfugiés. Ils sont 26 000 à Kala, et à peu près le même nombre dans l’autre camp de Mwange, à 150 kilomètres de là.

Norbert a de la chance : mardi est jour de distribution de nourriture. Elle n’a lieu que toutes les deux semaines. Une grande pinte de grains de maïs, une plus petite de haricots, de l’huile, du sel, du sucre… La distribution se déroule dans un hangar au centre du camp sous le regard sévère des ménagères qui ne veulent pas être lésées d’un seul gramme de nourriture. Les responsables du Programme alimentaire mondial (PAM) ont même installé des balances le long du hangar pour que les bénéficiaires puissent contrôler immédiatement leur ration en cas de contestation.

«2 100 kilocalories par personne et par jour»

Dans la longue file d’attente, c’est la grogne : «ce n’est pas assez, on n’arrive pas à tenir 15 jours avec ça», dit une femme. Une autre, sortant du hangar, montre un morceau de savon : «voyez, avec ça on doit faire la lessive et nous laver nous-mêmes jusqu’au 18 février ! Ah non, ça va pas !». Le responsable local du PAM, Omar Abdelhamed, ne se laisse pas impressionner : «c’est une distribution standard, conforme aux règles des Nations unies : 2 100 kilocalories par personne et par jour». «Vous savez, ajoute-t-il, ils se plaignent toujours, cela fait partie du rituel des distributions». Omar Abdelhamed est un vétéran dans sa spécialité. Il gère l’alimentation ici depuis la création du camp, il y a cinq ans.

Les réfugiés se débrouillent par ailleurs pour planter des légumes, ou travailler chez des agriculteurs zambiens. Mais dans cette zone peu peuplée les débouchés sont maigres. Quelques courageux parcourent jusqu’à 200 kilomètres sur leurs éternels vélos chinois pour ramener du poisson séché du lac Mweru. C’est grâce aux Congolais que le poisson arrive sur les tables de Kawambwa, l’agglomération principale de la région. Mais ils traînent aussi une mauvaise réputation. Dans le seul hôtel de Kawambwa, un avis affiché dans les chambres prévient les clients : «fermez bien votre porte à clef, il y a des réfugiés congolais dans les parages».

Dans le camp de Kala, la nuit est tombée. A 20 heures 30 précises, une musique électrique envahit tout l’espace : l’indicatif d’«Afrique-soir», sur RFI. Les hommes sont assis sur leurs talons devant les cases, transistor ondes-courtes à l’oreille. C’est le deuxième objet de valeur après la bicyclette. Ils entendent que le président Kabila est allé à Paris, que le patronat français est intéressé par l’investissement au Congo. Norbert, qui n’a pas encore sa case et dormira dans un abri de passage, ne sait trop que penser : «Quand on a annoncé la paix à Sun-City, j’ai dit Sun-City c’est loin. Pour le gouvernement de transition, j’ai dit Kinshasa c’est loin. Alors Paris…».



par Bruno  Minas

Article publié le 05/02/2004