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Chine

L’appel de Libreville

Pour sa première tournée africaine (26 janvier - 4 février), commencée au Caire et qu’il poursuit ce 3 février à Alger, le président de la République populaire de Chine, Hu Jintao, avait choisi Libreville comme unique escale subsaharienne pour appeler «l’ensemble de l’Afrique» à rejoindre Pékin dans un front commun chargé de promouvoir un nouvel ordre économique mondial. Affichant son intérêt pour la «stabilité» et l’entregent du petit Gabon d’Omar Bongo, pétrolier en perte de vitesse mais expert en relations franco-africaines, Hu Jintao lui a offert le 2 février un prêt sans intérêt. En retour, Pékin sera désormais approvisionné en brut gabonais comme le prévoit un contrat signé entre Total-Gabon et la principale compagnie pétrolière publique chinoise.
A Libreville, le 2 février, devant les députés et les sénateurs réunis dans les bâtiments de l’Assemblée nationale construits par la Chine (à la fin des années quatre-vingt-dix), le nouveau numéro Un chinois a exposé les grandes lignes d’une diplomatie sino-africaine qui, selon lui, doit servir un intérêt commun à rechercher dans la transformation de l’actuel ordre économique mondial dominé par les Etats-Unis. C’est possible, dit-il, parce que «la Chine est le plus grand pays en développement dans le monde tandis que l’ Afrique est le continent qui regroupe le plus grand nombre de pays en développement». C’est crucial, ajoute Hu Jintao, car Pékin entend cultiver dans l’univers en développement «un point d'appui majeur de sa politique étrangère». Dans cette perspective, la Chine promet de renforcer sa coopération dans tous les domaines, dans un souci de «co-prospérité sino-africaine» et sans poser «aucune condition politique» à ses partenaires africains.

Hu Jintao le dit clairement : «La Chine et l'Afrique ont d'énormes potentialités de coopération car elles sont complémentaires du fait que l'Afrique abonde en ressources naturelles et humaines et que la Chine possède des techniques et des expériences adaptées, sans compter leurs immenses marchés respectifs». Il promet d’accroître son aide au fur et à mesure de l’essor économique de son pays continent. Mais il n’était pas venu les mains vides au Gabon où l’équipage du président Hu Jintao a conclu un accord de coopération économique et technique en forme de «don destiné à la réalisation de projets à déterminer» pour un montant de 10 millions de yuans (environ 800 millions de francs CFA), un prêt sans intérêts de 50 millions de yuans (près de quatre milliards de CFA) pour finaliser des projets de coopération engagés précédemment et surtout un contrat entre la pétrolière chinoise Sinopec et la filiale franco-gabonaise Total-Gabon.

En remerciement, le président Omar Bongo a produit un communiqué dans lequel il réitère son «ferme appui à la réunification de la Chine au sein d'une seule Chine dont le gouvernement de la République populaire de Chine est l'unique et légal représentant». Exit Taiwan et ses dollars. Omar Bongo est invité en Chine, cette année. Le pétrole commence à tarir au Gabon mais il en reste encore et dans ce domaine comme en d’autres, aux yeux des Chinois, «l’influence» du doyen africain vaut de l’or. Dans l’immédiat, comme l’explique le ministère gabonais des Mines, de l'Energie, du Pétrole et des Ressources hydrauliques, Pékin et Libreville marquent leur volonté commune «en matière d'exploration, d’exploitation, de raffinage et d’exportation de produits pétroliers». Du brut gabonais sera livré en Chine. C’est une première.

Total-Gabon (filiale locale du pétrolier privé français) produit quelque 42% de l’or noir gabonais. Unipec est une filiale du mastodonte d'Etat chinois Sinopec, capable de raffiner 2,4 millions de barils chaque jour et qui occupe plus de la moitié du marché chinois de la distribution. Aucun chiffre n’a été rendu public, mais Total-Gabon peut dire que son contrat annuel avec Unipec est «significatif en termes de quantité».Il est également «important à un moment où il y avait d'énormes spéculations sur la production de pétrole gabonais», souligne Libreville qui ajoute : «qu'un raffineur tel que Sinopec s'intéresse au pétrole gabonais, cela veut dire qu'il y a toujours du pétrole au Gabon». Nul n’en doutait, même si les experts annoncent une chute de moitié de la production de pétrole gabonais, d’ici 2010. Elle est déjà tombée de 18,5 à 12,5 millions de tonnes entre 1997 et 2002. Les réserves exploitées s’épuisent. Omar Bongo ne désespère pas d’en trouver d’autres. Il se réclame notamment d’un accord signé en 1974 avec l’ancien président équato-guinéen Macias Nguema pour revendiquer l’îlot de Mbanié et la zone pétrolière off-shore sur laquelle il ouvre souveraineté.

Pékin joue la «carte Bongo»

Le pétrole n’a jamais été au rendez-vous de la prospérité espérée en vain par la majorité des Gabonais qui sont pourtant moins de deux millions. Il a toutefois permis au président Bongo d’huiler les rouages nationaux, mais aussi d’entretenir et de multiplier ses relations à l’intérieur comme à l’extérieur du continent. Jadis adoubé par l’éminence grise gaullienne, Jacques Foccart, le franc-maçon Omar Bongo s’est grandement irrité des embarrassantes déclarations de ses amis de la défunte Elf qui ont tenté de lui faire porter le chapeau de détournements à multiples sorties. Criblé de dettes (plus de la moitié du produit intérieur brut en 2002), le Gabon est en délicatesse avec le Fonds monétaire international qui lui demande notamment des comptes transparents et des relations publiques moins prodigues. Dans la perspective de voir disparaître la manne pétrolière qui a contribué pendant des décennies à plus de 60% de ses ressources budgétaires, Libreville a multiplié ces derniers mois les appels du pieds aux investisseurs pour tenter de diversifier son économie dans les secteurs du bois ou du tourisme. Deux domaines qui intéressent aussi la Chine.

Au Gabon, Pékin compte visiblement faire d’une pierre plusieurs coups. Ce serait en retour une occasion de «rebondir» pour l’inusable Omar Bongo, après 37 ans de coulisses franco-africaines, de chausse-trappes pétroliers et autres portes dérobées, en Afrique centrale et bien au-delà. Hu Jintao a manifesté de l’intérêt pour son carnet d’adresses et Omar Bongo peut d’ailleurs revendiquer l’établissement des relations diplomatiques sino-gabonaises, en 1974. Depuis lors, la coopération chinoise s’est assez mollement manifestée dans quelques bâtiments administratifs, une entreprise de pêche industrielle, des scieries ou un hôpital. Les échanges commerciaux bilatéraux ont quand même suivi le regain d’intérêt marqué par Pékin pour l’Afrique, passant d’une centaine de millions de dollars au début des années quatre-vingt-dix à quelque 300 millions de dollars en 2003, sur un montant total des échanges entre la Chine et l’ensemble du continent estimé à environ 10 milliards de dollars.

L’année dernière, les importations chinoises d’or noir ont représenté un tiers de l’accroissement de la demande mondiale, devant le Japon et tout juste derrière les Etats-Unis. Au total, elles ont augmenté de 30 %. La Chine se fournit pour moitié au Moyen-Orient et pour le reste aussi bien en Afrique qu’en Asie du Sud-Est, en Russie, au Kazakhstan ou en Amérique du Sud. La concurrence est rude et Pékin paie cher les restes concédés par les grands pétroliers au Soudan, au Pérou ou au Kazakhstan. En outre, pour sécuriser les approvisionnements et éviter les pénuries qui ont déjà freiné intempestivement fin 2003 le «grand bond en avant» de ses sociétés d’Etat, il faut diversifier les fournisseurs. La Chine ambitionne aussi de jouer dans la cour des géants du pétrole. Autant d’arguments ajoutés à la menace de «l’hégémonie américaine» – et de ses jeux dangereux dénoncés par Pékin au Moyen-Orient – qui justifient les efforts chinois pour enfoncer un coin dans la compétition jusqu’ici réservée aux pétroliers américains et européens autour des puits africains. En l’occurrence, la percée de Pékin s’appuie sur l’axe Paris-Libreville.



par Monique  Mas

Article publié le 03/02/2004