Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Union européenne

Les nouveaux entrants provisoirement dans l’antichambre

Lundi, le Royaume-Uni a envisagé un éventuel refus d’accorder ses prestations sociales aux ressortissants des pays qui entreront dans la Communauté le premier mai. Cette possibilité lui est reconnue par les traités, pour une période limitée. Tous les Etats membres n’ont pas usé de cette faculté.
Le premier mai prochain, deviendront membres de l’Union européenne : Chypre, Malte, Estonie, Lettonie, Hongrie, Lituanie, Tchéquie, Pologne, Slovénie, Slovaquie. A terme, les ressortissants de ces pays bénéficieront pleinement des libertés qui sont déjà reconnues aux membres actuels. A savoir :

- liberté de circulation : c’est la faculté de passer librement les frontières d’un Etat à l’autre.

- liberté d’installation : c’est le droit de s’installer véritablement dans un autre pays membre de l’Union, d’y habiter, d’y travailler.

Toutefois, la liberté d’installation pour les nouveaux Européens peut être mise provisoirement entre parenthèses. Une période transitoire peut être décidée par un Etat déjà membre de l’Union si sa situation de l’emploi le justifie. Au cours de cette période, le pays déjà membre peut restreindre la liberté d’installation dont auraient dû pouvoir se prévaloir les nationaux de l’un des nouveaux entrants. C’est cette mesure, parfaitement légale, que le Royaume-Uni envisagerait d’utiliser pour limiter temporairement l’accès de nouveaux immigrants aux droits sociaux.

De plus, lorsqu’une certaine presse anglaise parle de « benefit tourists » (que l’on traduit en français par l’expression «tourisme social »), elle fait directement référence à des notions déjà connues du droit communautaire et de la Cour de Justice des Communautés Européennes (la CJCE, chargée de faire appliquer les traités européens), en dehors même du problème de l’élargissement. En effet, dans l’état actuel du droit communautaire, il est admis qu’un Etat membre peut refuser de considérer le ressortissant d’un autre Etat membre comme un migrant économique, au sens des traités européens, si ce ressortissant ne dispose pas de ressources suffisantes et vit à la charge des finances publiques de l’Etat où il s’est installé. Dès lors que ce ressortissant n’est pas considéré comme travailleur migrant, il ne bénéficie pas des droits reconnus à ces travailleurs, notamment les droits sociaux. Bien mieux, ce ressortissant peut ne pas bénéficier non plus du droit au séjour comme simple citoyen de l’Union. Ainsi, la CJCE doit prochainement donner son interprétation du droit communautaire dans une affaire opposant le Français Michel Trojani au Centre public d’aide sociale de Bruxelles. Trojani, sans abri, s’installe en Belgique. Il y est hébergé par L’Armée du Salut. Cette dernière lui donne aussi de l’argent de poche, en échange de quoi il lui fournit un travail (30 heures par semaine). Trojani prétend avoir droit à une prestation sociale belge, le minimex. Il revendique et cette prestation sociale et un droit au séjour en Belgique. Or, l’avocat général a demandé à la CJCE de dire que Trojani ne peut revendiquer ni le minimex, ni le droit au séjour, que ce soit comme migrant économique ou comme citoyen de l’Union. L’avocat général invoque notamment «les restrictions destinées à éviter que (…) les bénéficiaires du droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour les finances de l'État d'accueil. Cela permet d'empêcher le recours au droit de séjour à des fins de tourisme social à destination d'un État membre plus confortable en termes de sécurité sociale».

La France a déjà prévu une période transitoire

Il n’en reste pas moins que, si les propos de Tony Blair étaient suivis d’effets, cela constituerait un revirement. En effet, jusque-là, le Royaume-Uni faisait partie des Etats que l’on classait comme plutôt accueillants à la main-d’œuvre étrangère. Au point qu’en vue de l’élargissement, ce pays n’avait pas prévu de période transitoire. Il se rangeait ainsi du côté de l’Irlande, de la Suède, du Danemark et des Pays-Bas. Autant de pays que n’a pas imités la France. Celle-ci avait annoncé depuis longtemps une transition jusqu’en 2009. Mais elle a également indiqué qu’elle réexaminera la situation en 2006.

Car chaque pays peut décider d’une première transition d’au moins deux ans. Puis, elle peut la prolonger de trois ans (concernant la France, cela fait bien 2004 + 2 = 2006 + 3 = 2009). Enfin, un nouveau délai de deux ans peut être rajouté, si des perturbations graves risquent d’affecter le marché du travail. Il faut remarquer que la notion de perturbations graves, pour le dernier délai, est plus restrictive que la simple référence à la situation de l’emploi pour le premier délai. Autrement dit, une situation de l’emploi qui aurait pu justifier la première période transitoire, ne légitimera pas obligatoirement son rallongement au-delà de cinq ans. Quoi qu’il en soit, la transition ne doit donc pas dépasser sept ans en tout, ce qui peut mener jusqu’à 2011.

Lorsqu’un pays déjà membre a instauré une période transitoire, les restrictions au marché du travail concernent les nouveaux européens qui souhaitent travailler comme salariés. Ceux-ci doivent d’ailleurs solliciter une autorisation de travail, dont l’obtention obéit à des formalités qui varient selon les pays. Par contre, ceux qui veulent exercer en tant qu’indépendants, peuvent le faire. De plus, les ressortissants des nouveaux Etats membres doivent tout de même avoir le pas sur les étrangers hors Union : par rapport à ceux-ci, ils doivent, en principe, bénéficier d’une priorité pour répondre à une offre d'emploi. Notons cependant que cette dernière disposition peut demeurer purement théorique : dans des pays où l’offre et la demande s’exercent librement sur le marché du travail, l’employeur reste maître de choisir ses salariés. En France, par exemple, le contrat de travail est ce que l’on appelle un contrat conclu intuitu personae, c’est-à-dire en fonction de la personne avec laquelle on contracte : en clair, l’entreprise choisit l’individu qu’elle veut embaucher.

La période transitoire ne vise pas obligatoirement toutes les catégories de personnes. Ainsi, en France, doivent bénéficier pleinement de la liberté d’installation, dès le premier mai 2004 :

- les travailleurs des nouveaux Etats membres âgés de 18 à 35 ans et en formation dans des entreprises françaises pour une période de 3 à 24 mois;

- les professionnels de santé, sous réserve d'autorisations accordées par les directions départementales du travail, et à condition qu’ils soient titulaires d’un diplôme reconnu au niveau communautaire;

- les travailleurs saisonniers de certains futurs entrants dans l’Union, pour le secteur agricole (vendanges, cueillettes de fruits...);

- les professionnels dont les qualifications présentent un intérêt technologique ou commercial de pointe.
Enfin, des mesures spécifiques sont prévues concernant l'Allemagne, l'Autriche et Malte. Ainsi, en raison de sa position frontalière avec des pays nouveaux entrants, l’Autriche peut limiter l’accès des ressortissants de ces nouveaux membres dans certains secteurs économiques.



par Hédy  SELLAMI

Article publié le 24/02/2004