Irak
Le «blues» des Anglais
Principal allié des Etats-Unis en Irak, les Anglais comptaient bien récolter eux aussi les fruits de la victoire. Or, un an après la chute du régime de Saddam Hussein, l’heure est au désenchantement. En privé, les officiels anglais ne cachent plus leur mécontentement devant le comportement des Américains. Les Britanniques se sentent marginalisés politiquement tandis que les entreprises britanniques n’ont pas obtenu les contrats de reconstruction espérés.
De notre envoyé spécial à Bagdad
Le silence de Sir Jeremy Greenstock, l’ambassadeur britannique auprès de la CPA est éloquent, ses déclarations se font de plus en plus rares. Une frustration d’autant plus grande que les Anglais peuvent difficilement afficher au grand jour leur différence avec les Américains, même si en coulissess les critiques sont acerbes.
«Les Américains ont une vision théorique et idéologique de la situation, commente une diplomate anglaise qui travaille dans la «green zone», l’ancien palais présidentiel de Saddam à Bagdad. Dans le domaine de l’éducation civique et de la promotion de la démocratie par exemple, ils ont des idées fixes qu’ils pensent pouvoir transposer en Irak sans avoir à tenir compte des réalités de la société irakienne. Et pourtant, ils ont souvent des responsables brillants mais ils ne sont pas en phase avec le terrain».
Parfois, la tension entre les deux alliés occidentaux éclate en public comme ce fut le cas lors d’une conférence de presse du général américain Mark Kimmitt, directeur adjoint des opérations militaires. Son collaborateur anglais traduisait en arabe les propos du général qui annonçait que la Coalition offrait une récompense pour la capture de Mohamed Younès, présenté comme l’un des chefs de la résistance.
L’assistant anglais se tourna vers lui et lui fit remarquer: «pour les Arabes, le prénom et le nom ne sont pas suffisants pour identifier une personne, il faudrait que vous donniez aussi celui de la tribu et du grand-père, en l’occurrence Al-Rawi». Le général américain prit alors la mouche: «vous ne croyez pas en notre cause! Vous sabotez notre mission!» lança-t-il tout haut à son collaborateur anglais devant des journalistes médusés par cette fureur soudaine.
Les entreprises anglaises marginalisées
Côté médiatique, les journalistes d’outre-Manche se sentent pour leur part frustrés et mis à l’écart. «Au début, nous obtenions des informations auprès des responsables anglais, constate le correspondant d’un journal londonien, mais aujourd’hui, ceux-ci n’ont plus rien à leur dire, faute d’avoir accès aux sources. Les Américains ne les informent plus ou de moins en moins».
«Toute l’information destinée aux journalistes est orientée vers les grands networks de télévision américains à cause de la campagne présidentielle. Les conférences de presse ont lieu à 18 heures pour tenir compte du décalage horaire avec les États-Unis afin de satisfaire les médias américains. Les responsables de l’administration de Paul Bremer se contrefichent de plaire à la BBC ou à Al-Jazira», poursuit ce journaliste.
Sur le plan économique, les sociétés anglaises ont elles aussi été marginalisées. Le ministre britannique du commerce Mike O’Brien, accompagné de Brian Wilson chargé du dossier de la reconstruction en Irak, se sont d’ailleurs rendus récemment à Washington pour plaider la cause des entreprises britanniques. Très peu d’entre elles ont en effet remporté des contrats d’importance, sauf dans le domaine de la sécurité. En janvier dernier, le groupe d’ingénierie britannique AMEC a été écarté au profit d’une filiale d’Halliburton associée au géant de la construction Parsons et à l’australien Worley Group, pour la réhabilitation du secteur pétrolier. Une affaire de 1,2 milliard de dollars.
Les Britanniques pensaient pouvoir rouvrir prochainement l’aéroport de Bassorah, fermé à l’aviation civile mais qui fonctionne pour des vols militaires. Un porte-parole anglais de la Coalition invoque des «raisons techniques et d’assurance» pour justifier le retard, avant de lâcher avec un petit sourire: «nous ne voulons pas devancer nos collègues américains de Bagdad». Une façon de dire que les Américains s’opposent en fait à la réouverture de l’aéroport de Bassorah pour ne pas faire la part belle aux succès Britanniques dans le sud.
Fin connaisseurs des réalités locales irakiennes, notamment du système tribal, les Anglais, qui disposent de 15 000 soldats et de 900 personnels travaillant à l’administration civile d’occupation, ont su éviter les pièges de l’après-Saddam, contrairement aux Américains harcelés par la résistance.
Mais les Britanniques ignorent quel sera leur sort après le 1er juillet, date de la dissolution de l’administration civile d’occupation. «Théoriquement, nos contrats prennent fin le 30 juin, explique une diplomate anglaise. Nous ne savons pas ce qui va se passer ensuite. Très probablement, l’ambassade anglaise sera installée dans la ‘green zone’ comme l’ambassade américaine et un consulat britannique sera ouvert à Bassorah» . En attendant, les Britanniques devront encore supporter l’hégémonisme de l’Oncle Sam…
Le silence de Sir Jeremy Greenstock, l’ambassadeur britannique auprès de la CPA est éloquent, ses déclarations se font de plus en plus rares. Une frustration d’autant plus grande que les Anglais peuvent difficilement afficher au grand jour leur différence avec les Américains, même si en coulissess les critiques sont acerbes.
«Les Américains ont une vision théorique et idéologique de la situation, commente une diplomate anglaise qui travaille dans la «green zone», l’ancien palais présidentiel de Saddam à Bagdad. Dans le domaine de l’éducation civique et de la promotion de la démocratie par exemple, ils ont des idées fixes qu’ils pensent pouvoir transposer en Irak sans avoir à tenir compte des réalités de la société irakienne. Et pourtant, ils ont souvent des responsables brillants mais ils ne sont pas en phase avec le terrain».
Parfois, la tension entre les deux alliés occidentaux éclate en public comme ce fut le cas lors d’une conférence de presse du général américain Mark Kimmitt, directeur adjoint des opérations militaires. Son collaborateur anglais traduisait en arabe les propos du général qui annonçait que la Coalition offrait une récompense pour la capture de Mohamed Younès, présenté comme l’un des chefs de la résistance.
L’assistant anglais se tourna vers lui et lui fit remarquer: «pour les Arabes, le prénom et le nom ne sont pas suffisants pour identifier une personne, il faudrait que vous donniez aussi celui de la tribu et du grand-père, en l’occurrence Al-Rawi». Le général américain prit alors la mouche: «vous ne croyez pas en notre cause! Vous sabotez notre mission!» lança-t-il tout haut à son collaborateur anglais devant des journalistes médusés par cette fureur soudaine.
Les entreprises anglaises marginalisées
Côté médiatique, les journalistes d’outre-Manche se sentent pour leur part frustrés et mis à l’écart. «Au début, nous obtenions des informations auprès des responsables anglais, constate le correspondant d’un journal londonien, mais aujourd’hui, ceux-ci n’ont plus rien à leur dire, faute d’avoir accès aux sources. Les Américains ne les informent plus ou de moins en moins».
«Toute l’information destinée aux journalistes est orientée vers les grands networks de télévision américains à cause de la campagne présidentielle. Les conférences de presse ont lieu à 18 heures pour tenir compte du décalage horaire avec les États-Unis afin de satisfaire les médias américains. Les responsables de l’administration de Paul Bremer se contrefichent de plaire à la BBC ou à Al-Jazira», poursuit ce journaliste.
Sur le plan économique, les sociétés anglaises ont elles aussi été marginalisées. Le ministre britannique du commerce Mike O’Brien, accompagné de Brian Wilson chargé du dossier de la reconstruction en Irak, se sont d’ailleurs rendus récemment à Washington pour plaider la cause des entreprises britanniques. Très peu d’entre elles ont en effet remporté des contrats d’importance, sauf dans le domaine de la sécurité. En janvier dernier, le groupe d’ingénierie britannique AMEC a été écarté au profit d’une filiale d’Halliburton associée au géant de la construction Parsons et à l’australien Worley Group, pour la réhabilitation du secteur pétrolier. Une affaire de 1,2 milliard de dollars.
Les Britanniques pensaient pouvoir rouvrir prochainement l’aéroport de Bassorah, fermé à l’aviation civile mais qui fonctionne pour des vols militaires. Un porte-parole anglais de la Coalition invoque des «raisons techniques et d’assurance» pour justifier le retard, avant de lâcher avec un petit sourire: «nous ne voulons pas devancer nos collègues américains de Bagdad». Une façon de dire que les Américains s’opposent en fait à la réouverture de l’aéroport de Bassorah pour ne pas faire la part belle aux succès Britanniques dans le sud.
Fin connaisseurs des réalités locales irakiennes, notamment du système tribal, les Anglais, qui disposent de 15 000 soldats et de 900 personnels travaillant à l’administration civile d’occupation, ont su éviter les pièges de l’après-Saddam, contrairement aux Américains harcelés par la résistance.
Mais les Britanniques ignorent quel sera leur sort après le 1er juillet, date de la dissolution de l’administration civile d’occupation. «Théoriquement, nos contrats prennent fin le 30 juin, explique une diplomate anglaise. Nous ne savons pas ce qui va se passer ensuite. Très probablement, l’ambassade anglaise sera installée dans la ‘green zone’ comme l’ambassade américaine et un consulat britannique sera ouvert à Bassorah» . En attendant, les Britanniques devront encore supporter l’hégémonisme de l’Oncle Sam…
par Christian Chesnot
Article publié le 05/03/2004