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Belgique

Dutroux change sa version des faits

Le procès du violeur Marc Dutroux s’est ouvert le 1er mars dans la ville d’Arlon. Le palais de justice, où doivent avoir lieu les audiences, a été placé sous haute surveillance pour assurer la sécurité des participants et notamment des défenseurs de l’homme qui est accusé d’avoir enlevé, séquestré et violé six jeunes filles dont quatre sont mortes. Mais «le monstre de Charleroi » a relancé le débat avant même l’ouverture du procès, en envoyant aux médias une lettre dans laquelle il enfonce ses co-accusés et accrédite la thèse du réseau pédophile.
Le procès de Marc Dutroux n’est pas le procès d’un criminel comme les autres. C’est celui du «monstre» que toute la Belgique a honni lorsqu’elle a appris comment il avait torturé six jeunes filles avec la complicité de sa femme et de plusieurs acolytes. C’est aussi celui d’un système judiciaire qui a tellement mal fonctionné dans le cadre de cette affaire que les Belges en ont été amenés à se demander s’il ne couvrait pas les actes de personnalités impliquées dans cette sordide histoire.

Dans ces conditions, les autorités ont pris un maximum de précaution pour assurer la sécurité des participants à ces audiences à haut risque. Plus de trois cents policiers spécialement formés ont été mobilisés pour surveiller le Palais de Justice autour duquel a été mis en place un périmètre de sécurité, où personne ne peut pénétrer sans être fouillé. A l’intérieur du tribunal, les accusés, Dutroux, mais aussi sa femme, Michelle Martin; son complice, Michel Lelièvre et un autre malfrat qui nie tout -mais est soupçonné d’avoir participé aux enlèvements- Michel Nihoul, comparaissent dans un box protégé par une vitre blindée. Des accès spéciaux ont aussi été aménagés pour permettre, notamment aux avocats de Dutroux qui ont reçu de nombreuses menaces, de se rendre aux audiences sans risquer d’être agressés. Cet imposant dispositif paralyse la petite ville d’Arlon qui a, en plus, été prise d’assaut par la presse belge et internationale qui entend suivre ce procès de bout en bout.

«J’ai deux filles, dont une qui s’appelle Julie»

Dans un climat aussi tendu, les magistrats risquent d’avoir du mal à assurer la sérénité des débats qui devraient durer environ deux mois et voir défiler plus de 500 témoins à la barre. La première étape du procès, à savoir la sélection des 12 jurés et des 12 suppléants, qui auront la tâche de juger les accusés, a déjà été une épreuve de force. Parmi les 180 personnes convoquées, un grand nombre ont essayé d’échapper à leur sort en invoquant tous les prétextes possibles. Certains ont mis en avant de classiques contraintes professionnelles ou familliales mais d’autres ont simplement décrit leur émotion à l’idée d’être face à un homme considéré comme l’ennemi public numéro un ou ont avoué avoir un a priori très fort en faveur de la culpabilité des accusés. Une mère de famille a ainsi déclaré aux magistrats en guise d’explication de son incapacité à juger de manière impartiale Marc Dutroux : «J’ai deux filles, dont une qui s’appelle Julie» [comme l’une des petites victimes du violeur].

Tout cela s’est déroulé devant un Dutroux très calme, voire somnolent à certains moments. Après avoir décliné son identité, l’accusé qui a refusé d’être photographié pendant l’audience, a semblé faire abstraction des débats. Une attitude particulièrement étonnante et choquante, notamment pour le président du tribunal qui l’a notée et pour les parents très émus de deux des victimes, An et Eefje, les seuls à être venus puisque ceux des deux autres petites filles retrouvées mortes, Melissa et Julie, refusent de prendre part à ce qu’ils estiment être un «cirque».

Malgré cette indifférence affichée durant la première audience, Marc Dutroux qui risque une condamnation à perpétuité, a engagé sa nouvelle stratégie de défense en faisant savoir par voie de presse juste avant l’ouverture de son procès, qu’il allait faire des révélations sur les tenants et les aboutissants de l’affaire. Il a, en effet, envoyé une lettre à la chaîne de télévision flamande VTM dans laquelle il déclare qu’il a été «instrumentalisé» et met en avant les responsabilités de ses co-accusés : «Martin, Lelièvre, Nihoul, sont accusés de faits nettement moins importants que ceux qu’ils ont réellement commis». Il accrédite aussi la thèse de l’existence d’un réseau pour lequel il aurait kidnappé des jeunes filles et met en cause directement Michel Nihoul : «C’est lui la charnière». Mais surtout, il explique son silence durant les sept années de l’instruction sur sa participation à un réseau pédophile par la peur d’être éliminé.

C’est en effet cette théorie d’un Dutroux agissant comme rabatteur pour d’autres malfrats que ses défenseurs ont choisi de plaider. La lettre envoyée par l’accusé aux médias tombe donc à pic pour relancer le débat sur une théorie à laquelle croient 68% des Belges, mais qu’aucune preuve n’est venue étayer durant l’instruction. L’un des avocats de Dutroux a même annoncé que celui-ci ferait des révélations durant le procès : «Nous allons laisser le scoop à Marc Dutroux».

Face à ces annonces de dernière minute, l’avocat de Michel Nihoul, Arnaud de Cléty, a fait part de son scepticisme: «C’est un peu tard et dénué de toute crédibilité». Quant à l’avocat de l’une des deux victimes retrouvées vivantes, Laetitia Delhez, maître Georges-Henri Beauthier, a estimé lui aussi que les récentes déclarations de Dutroux n’étaient pas très convaincantes : «C’est peut-être une nouvelle perversion d’un homme qui n’a rien à perdre. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les faits et rien que les faits».



par Valérie  Gas

Article publié le 01/03/2004