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Proche-Orient

La popularité de Sharon plombée par les affaires

Un an après avoir mené le Likoud à une victoire sans précédent, le Premier ministre israélien doit faire face à une baisse de popularité record. Rattrapé par les affaires de corruption, Ariel Sharon est également confronté à un scandale politique qui pourrait être fatal à sa carrière. Il est en effet accusé d’avoir caché des relations d’affaires avec la famille d’Elhanan Tannenbaum, cet Israélien prisonnier du Hezbollah et libéré il y a quelques semaines au terme d’un accord très contesté avec la milice chiite. Sur la défensive, le chef du Likoud dénonce «une campagne de calomnies sans précédent».
La cuirasse de celui que les Israéliens ont longtemps surnommé «Teflon», parce que les affaires glissaient sur lui sans affecter sa réputation, semble aujourd’hui se fissurer sous le coup d’un nouveau scandale. Ariel Sharon est en effet accusé de n’avoir pas informé son gouvernement, à l’époque majoritairement réticent à l’idée d’un échange de prisonniers avec le Hezbollah libanais, des liens d’affaires qu’il aurait entretenus avec le beau-père d’Elhanan Tannenbaum, libéré le 29 janvier dernier contre 400 prisonniers palestiniens et une trentaine de détenus arabes. Au terme de cet accord Israël avait pu également rapatrier les corps de trois soldats israéliens en échange des dépouilles d’une quarantaine d’activistes libanais. Cet accord, qualifié d’historique, n’avait été rendu possible que parce qu’Ariel Sharon avait pesé de tout son poids pour convaincre ses ministres d’y adhérer. Il n’avait été obtenu qu’à une seule voix de majorité.

L’échange avait d’ailleurs suscité une vive controverse en Israël où une grande partie de l’opinion publique avait jugé que le gouvernement payait un prix bien élevé pour la libération d’un homme à la réputation sulfureuse. Elhanan Tannenbaum, colonel de réserve de l’armée israélienne, est en effet accusé aujourd’hui d’avoir menti sur les conditions de son enlèvement. Certains enquêteurs le soupçonnent de s’être rendu volontairement au Liban pour des affaires douteuses –trafic de drogue– alors que lui affirme avoir été enlevé dans un pays du Golfe. Il est surtout également soupçonné d’avoir communiqué des informations de première importance sur l’armée israélienne auxquelles il avait eu accès dans le passé comme officier supérieur.

L’affaire est jugée très sérieuse au point qu’Ariel Sharon n’a pas hésité à sortir l’artillerie lourde pour se défendre, accordant trois interviews aux principales chaînes de télévision et un entretien au quotidien le plus populaire Yédiot Aharonot. «J’ignorais l’existence de relations familiales entre Elhanan Tannenbaum et Shimon Cohen –qui a dirigé dans les années 70 une société chargée de la gestion du ranch de la famille Sharon dans le désert du Neguev–. Je n’ai pas vu ce dernier depuis trente ans», s’est défendu le Premier ministre. Il a surtout fermement réaffirmé avoir accepté l’accord dans le seul but de «ramener un Israélien dans son foyer». «Je ne suis pas prêt à abandonner un Israélien civil ou militaire dans un pays arabe et encore moins aux mains d’une organisation terroriste comme le Hezbollah», a-t-il ainsi assuré. «Si j’avais su ce que l’on reproche à Tannenbaum, j’aurais agi de la même manière car c’est une question de principe», a martelé Ariel Sharon.

«Une campagne de calomnie»

Attaqué de toutes parts, le Premier ministre israélien a dénoncé «une campagne de calomnies sans précédent», proclamant qu’il n’avait aucunement l’intention de démissionner avant la fin de son mandat en 2007. Son entourage a même laissé entendre que les alliés du Likoud de l’extrême droite et de la droite ultra-nationaliste avaient orchestré cette campagne de dénigrement dans le but de discréditer son projet de séparation unilatérale d’avec les Palestiniens. Les attaques les plus virulentes sont toutefois venues de la gauche de l’échiquier politique. Un ténor du parti travailliste Haïm Ramon a en effet réclamé la mise en place d’une commission d’enquête sur «l’affaire Tannenabaum» tandis que le chef du groupe parlementaire travailliste, Ophir Pines, a demandé à ce qu’Ariel Sharon soit soumis au détecteur de mensonges.

En dépit de ses dénégations, le Premier ministre a aujourd’hui de plus en plus de mal à convaincre ses compatriotes de lui maintenir leur confiance. Selon un sondage publié vendredi par le quotidien Yédiot Aharonot, plus de la moitié des Israéliens, 53%, estiment en effet qu’Ariel Sharon doit démissionner de ses fonctions contre 43% qui souhaitent le voir rester à la tête du gouvernement. Sa crédibilité est également largement ternie puisque seulement 41% des personnes interrogées lui accordent encore leur confiance contre 57% alors qu’elles étaient 75% au début de son mandat. Concernant «l’affaire Tannenbaum», le jugement des Israéliens est par ailleurs sans appel dans la mesure où 47% d’entre eux pensent qu’Ariel Sharon était bien au courant des anciens liens d’affaires avec la famille de l’ancien colonel de réserve contre seulement 26% qui pensent le contraire.

L’accumulation des «scandales», dont «l’affaire Tannenbaum» n’est que le dernier épisode, est en grande partie responsable de la chute vertigineuse de la popularité d’Ariel Sharon. Le Premier ministre et ses fils Gilad et Omri sont en effet éclaboussés par plusieurs affaires de corruption dont deux pourraient leur valoir des poursuites judiciaires. Dans le dossier de «l’île grecque», le chef du Likoud, ministre des Affaires étrangères à l’époque des faits, aurait ainsi bénéficié de pots-de-vin pour aider un influent promoteur immobilier à débloquer un ambitieux projet touristique en Grèce qui n’a toutefois jamais vu le jour. Ariel Sharon a été interrogé à deux reprises ces dernières semaines par la justice israélienne. Dans l’affaire Cyril Kern, du nom d’un autre homme d’affaires sud-africain, le Premier ministre est soupçonné d’avoir bénéficié d’un prêt d’un million et demi de dollars pour l’aider à rembourser des contributions illégales au financement de sa campagne de 1999 pour les primaires du parti.

A la lumière de ces affaires, l’avenir politique d’Ariel Sharon paraît bien sombre. «Sharon est en situation de détresse. Il a longtemps servi de bouclier pour son gouvernement, mais il est désormais devenu un fardeau», souligne ainsi l’éditorialiste Sever Plotzker dans le Yédiot Aharonot.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 05/03/2004