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Proche-Orient

Le «Grand Moyen-Orient» américain rend perplexe

Nul ne sait avec précision ce que contient l’initiative pour le «Grand Moyen-Orient», ce plan de réformes que l’administration Bush souhaite appliquer, avec l’aide de la communauté internationale, dans une région allant du Maroc à l’Afghanistan. Mais déjà le projet monopolise les débats et nombreux sont ceux qui refusent d’y voir autre chose qu’une énième tentative américaine de se désengager du bourbier irakien. Les principaux pays concernés par ce plan qui prévoit démocratisation, développement et sécurité s’y sont d’ores et déjà déclarés opposés, refusant de se voir imposer «des recettes de l’extérieur». En Europe, le projet est également loin de faire l’unanimité et certains pays comme la France ne cachent pas leurs réserves quant à une initiative qui vise à stabiliser la région et qui ne fait pas de la résolution du conflit israélo-palestinien une de ses priorités.
Le président George Bush a évoqué à plusieurs reprises ces derniers mois un plan de «remodelage» du Moyen-Orient supposé apporter stabilité et prospérité dans la région, une autre façon, selon de nombreux observateurs, de justifier l’intervention américano-britannique contre le régime de Saddam Hussein. Dans son discours sur l’état de l’Union en janvier dernier, il évoquait ainsi «la stratégie américaine de liberté au Proche-Orient». «Tant que le Proche-Orient restera en proie à la tyrannie, au désespoir, à la colère, il continuera à produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité de l’Amérique et de nos amis», affirmait-il en s’engageant à «défier les ennemis de la réforme». Cette volonté américaine de «remodelage» de la région a désormais un nom, l’initiative du «Grand Moyen-Orient». Elle se décline sur trois volets, politique, économique et sécuritaire et se donne comme ambitieux objectif de s’inscrire dans une région allant du Maghreb à l’Afghanistan. Les réformes économiques et politiques devraient être présentées officiellement lors du sommet du G8 qui doit se tenir du 8 au 10 juin aux Etats-Unis, les mesures concernant le volet sécuritaire devant être abordées au sommet de l’Otan à Istanbul les 28 et 29 juin prochain.

Concernant la démocratisation de la région, l’initiative du «Grand Moyen-Orient» suggère ainsi de favoriser la tenue d’élections libres par une assistance technique. Les femmes étant minoritaires dans la vie politique et sociale, le projet préconise également la création de centres de formation pour toutes celles qui souhaitent se présenter à des élections ou travailler dans des organisations non gouvernementales. Une aide financière est notamment prévue pour soutenir le travail des ONG. S’agissant du développement, l’administration Bush se propose de «bâtir une société de la connaissance». Elle se fixe pour objectif de diminuer de moitié le taux d’analphabétisme d’ici 2010 et de former à l’horizon 2008 quelque 100 000 enseignants. Pour réduire le retard économique, l’initiative américaine appelle enfin à une «libération du potentiel du secteur privé» et préconise la méthode du micro-financement dont les demandes dans la région ne sont acceptées qu’à hauteur de 5%. Une Banque du développement du «Grand Moyen-Orient», créée sur le modèle de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), permettrait de financer le développement économique de la région.

Au nom de l’exception culturelle

Dans l’absolu ces projets de réforme sont à l’honneur des Américains puisque pour la première fois l’administration Bush semble reconnaître la nécessité de s’attaquer au sous-développement, à la pauvreté et aux retards économiques si l’on veut éviter de voir proliférer le terrorisme. Cette initiative, toute théorique, ne semble toutefois pas prendre en considération la réalité du terrain. Les premières réactions dans les pays concernés ont d’ailleurs été négatives, les dirigeants soupçonnant les Etats-Unis de vouloir créer une diversion par rapport au conflit israélo-palestinien. Ils ne comprennent en effet pas comment l’initiative américaine pourra apporter stabilité et prospérité dans la région sans résoudre cet épineux dossier. Ces pays, qui n’ont à aucun moment été mis formellement au courant des projets de la Maison Blanche, mettent en outre en garde contre toutes «recettes imposées de l’extérieur». Ils rappellent notamment qu’imposer des réformes «non compatibles avec les spécificités des populations de la région peut entraîner le chaos», comme c’est notamment le cas actuellement en Irak.

Chez certains Européens, à qui Washington a proposé de s’allier à l’initiative du «Grand Moyen-Orient», la prudence est également de mise. Ils font notamment valoir que l’Union n’a pas attendu les Etats-Unis pour proposer la mise en place de réformes politiques et économiques avec les pays de la région. Le processus de Barcelone, engagé en 1995 avec les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, a justement pour objectif de stabiliser la région en encourageant au développement économique et à la modernisation des sociétés civiles. L’Europe a d’ailleurs consacré plusieurs milliards de dollars à cette politique là où les Etats-Unis évoquent aujourd’hui des crédits se chiffrant tout au plus à 150 millions de dollars. De quoi rendre sceptique quand on voit les ambitions de l’initiative du «Grand Moyen-Orient».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 01/03/2004