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Proche-Orient

Levée de boucliers contre le projet américain

Le projet américain de «Grand Moyen-Orient», conçu pour encourager les réformes démocratique et l’ouverture économique du monde arabo-musulman est au centre d’un vaste ballet diplomatique triangulaire, où se croisent à la fois Américains, Européens et Arabes. C’est dans ce contexte que l’administration israélienne vient d’annoncer qu’à la demande de Washington, elle renonçait à son plan unilatéral d’évacuation de ses colonies de peuplement de la bande palestinienne de Gaza.
Finalement, il ne se passera rien avant l’élection présidentielle américaine. Bien que Washington affirme dissocier son dossier politique intérieure et sa politique régionale en déclarant qu’elle «n’est liée à aucun calendrier électoral», une source militaire israélienne a expliqué à l’agence britannique Reuters que «les Américains ne veulent pas de chaos dans les territoires palestiniens avant l’élection» présidentielle américaine du mois de novembre. En tout cas Israël s’est incliné et sa décision unilatérale d’évacuer la plupart de ses colonies de la bande palestinienne de Gaza, annoncé le mois dernier, a été reportée.

Indépendamment de la crainte d’une évacuation marquée par une forte activité militaire accompagnée de violences, cette décision survient dans un contexte dominé par la singulière proposition américaine de remodeler le paysage régional, du Golfe à l’océan, du Pakistan au Maroc. Washington vient de prendre en début d’année une initiative contenue dans un plan de réformes du «Grand Moyen-Orient» qui donne lieu une agitation diplomatique considérable, notamment en raison de l’inquiétude qu’elle provoque. Nombre de pays arabes et européens estiment en substance que ce projet, a priori noble et généreux puisqu’il est question de développement, de démocratie et de lutte contre la violence politique, détourne la région de ses véritables enjeux, à savoir : la résolution du conflit israélo-palestinien selon les critères fixés par la communauté internationale et contenus dans la «feuille de route» élaborée par les parrains du projet, c’est à dire le quartet composé des Etats-Unis, de l’Union européenne, des Nations unies et de la Russie.

Le sous-secrétaire d’Etat américain bat la campagne pour expliquer le projet de son administration et, après le Maroc, l’Egypte, Bahreïn et la Jordanie, la dernière étape de Marc Grossman l’a conduit vendredi à Bruxelles où il a rencontré les ambassadeurs de l’organisation militaire Otan, appelée selon Washington à jouer un rôle majeur dans le volet sécuritaire du projet. Selon M. Grossman, qui a rappelé les objectifs économique, politique, d’éducation et de renforcement du rôle des femmes du projet, l’Otan pourrait notamment servir de trait d’union entre l’Europe et le Maghreb dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en Méditerranée et afin d’encourager les pays de la région à se joindre aux efforts de l’organisation militaire en acceptant de dépêcher des troupes sur les théâtres d’opérations où l’Otan déploie des hommes, comme l’Afghanistan.

Marc Grossman a voulu apaiser les inquiétudes en rappelant que la proposition de son administration ne visait pas à imposer des réformes contre la volonté des peuples, ni à se substituer «de quelque manière que ce soit à notre intérêt dans le processus de paix au Proche-Orient». Car c’est exactement l’un des points d’achoppement entre (certains) Européens et Washington. «Nous disons que nous devons déployer les mêmes efforts pour ce projet que pour trouver une solution au conflit du Proche-Orient», indiquait vendredi une source européenne à l’AFP. La France et l’Allemagne se démarquent plus nettement du projet en appelant l’Union européenne à définir une approche «distincte, complémentaire de celle des Etats-Unis», insistant sur la nécessité d’éviter «les piéges d’une approche globale qui ignore les caractéristiques nationales et stigmatise l’islam comme étant incompatible avec la modernité». Paris et Berlin soumettront lors du sommet européen de la fin mars une proposition alternative qui met davantage l’accent sur le développement que sur la sécurité. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, l’émissaire américain a souligné le caractère positif de l’élaboration simultanée de plusieurs projets, renvoyant le débat de fond à la réunion des trois importants sommets prévus en juin : G8, Etats-Unis-Union européenne, Otan.

La contre-offensive arabe

De son côté la partie arabe mène sa propre offensive diplomatique dont le président égyptien a été l’un des principaux porte-parole au cours de ces derniers jours. Hosni Moubarak a reçu les ministres de la Ligue arabe et a prévenu que le projet américain constitue «un processus qui peut prendre une, deux, trois, voire quatre années». Et à l’issue de leur réunion il a été convenu de renvoyer au sommet de l’organisation, les 29 et 30 mars, l’adoption d’une position commune. Cette question est évidemment très loin de faire l’unanimité, tant au sein des cercles dirigeants arabes qu’au niveau de l’opinion publique. Cette dernière manifeste une grande réticence à l’égard d’une idée parachutée de Washington et considérée comme potentiellement déstabilisatrice pour la société, tandis que les leaders la ressentent comme une menace potentielle pour leur propre pouvoir.

Parmi les pays arabes, l’Egypte, la Jordanie et le Yémen mènent la fronde et entendent bien poursuivre les réformes à leur rythme. Dés le mois de janvier, le président yéménite, Ali Abdallah Saleh a invité ses homologues à «aller de leur propre chef chez le coiffeur au lieu de se laisser tondre par d’autres». Pour sa part la Jordanie a appelé à «éviter ce qui pourrait aller à l’encontre des traditions nationales et religieuses des sociétés arabes». Et le roi Abdallah II et le raïs égyptien ont entamé une tournée européenne afin de consulter leurs partenaires européens sur la proposition américaine.

Paris a été, lors de cette semaine écoulée, au cœur de ces contacts arabo-européens. Jeudi, le président Jacques Chirac recevait le souverain jordanien. Vendredi, il déjeunait avec le prince héritier du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad al Thani et le soir il rencontrait son homologue égyptien Hosni Moubarak, qui venait d’effectuer une escale à Rome où il avait convaincu les autorités de la pertinence de ses réticences. «Nous sommes sur la même ligne», a déclaré le chef de l’Etat français lors de la conférence de presse à l’issue de cette dernière rencontre. «Concertation, modernisation, oui. Ingérence, obligation, non», a résumé Jacques Chirac pour qui le règlement du conflit du Proche-Orient et la normalisation de la situation en Irak constitue des préalables aux réformes envisagées par Washington. Le président égyptien devait ensuite s’envoler pour Londres afin d’y poursuivre sa mission de consultation.



par Georges  Abou

Article publié le 06/03/2004